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Chartreuse : un marquis privatise la montagne, les randonneurs s’insurgent

Dans le massif de la Chartreuse, le 15 octobre 2023.

Des centaines de personnes ont manifesté dans le massif de la Chartreuse contre un marquis qui interdit de traverser ses terres. Elles réclament un véritable droit d’accès à la nature.

Massif de la Chartreuse (Isère), reportage

« Entends nos voix, marquis de Quinsonas… » Malgré la fraîcheur de cette matinée de dimanche, ils étaient plusieurs centaines, jeunes et vieux, à être venus pousser la chansonnette au col de Marcieu (Isère), aux pieds des falaises du massif de la Chartreuse. L’objet de leur chanson et de leur colère ? Bruno de Quinsonas-Oudinot, marquis et propriétaire d’une zone de 750 hectares au cœur de la Réserve naturelle des Hauts de Chartreuse, et sa décision, il y a quelques semaines, d’en fermer l’accès aux randonneurs.

C’est fort d’une loi du 2 février 2023, qui sanctionne le fait de pénétrer sans autorisation dans une « propriété privée rurale et forestière » [1] que le marquis a fait poser pendant l’été des panneaux « Propriété privée » aux abords de son terrain. Et si ces panneaux changent la donne, c’est parce qu’ils sont désormais suffisants pour verbaliser le randonneur qui voudrait entrer ici, chamboulant ainsi des siècles de culture de partage des montagnes.

Plusieurs centaines de personnes sont venues manifester au pied du terrain du marquis Bruno de Quinsonas-Oudinot, en Chartreuse. © Raphaëlle Lavorel / Reporterre

Immédiatement après la découverte de ces panneaux, une pétition rédigée par le collectif Chartreuse a été publiée en ligne, réclamant « la liberté d’accès à tout-e-s à la Réserve naturelle des Hauts de Chartreuse » et récoltant plus de 35 000 signatures en quelques semaines. Ciblant le « cas » de la Chartreuse, elle s’oppose « plus globalement à l’accaparement du milieu naturel par quelques personnes pour des objectifs financiers, au détriment du reste de la population », souligne le collectif.

Car c’est aussi ce qui cristallise la grogne des manifestants en Chartreuse. Tout en fermant l’accès de son terrain aux randonneurs et autres usagers de la montagne, le marquis de Quinsonas y autorise des parties de chasse privée au chamois, autorisées par le règlement de la réserve naturelle, que paient de fortunés clients étrangers.

« C’est complètement hypocrite »

« C’est complètement hypocrite », disent Stan et Chloé, deux grenoblois âgés d’une trentaine d’années, alors que le marquis avait justifié sa décision par la nécessité de protéger la faune et la flore de son terrain des dommages causés par le passage des randonneurs.

« On n’a rien contre les chasseurs, et les conflits d’usage ont toujours existé. Mais on dénonce le fait qu’il y a deux poids, deux mesures », explique Adrien Vassard, président du comité Isère de la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), venu « déguisé » en marquis pour mieux moquer le propriétaire des lieux.

« On n’a rien contre les chasseurs, et les conflits d’usage ont toujours existé. Mais on dénonce le fait qu’il y a deux poids, deux mesures », dit Adrien Vassard depuis son costume de marquis. © Raphaëlle Lavorel / Reporterre

Beaucoup de manifestants craignent que l’initiative du marquis ne fasse des émules parmi les propriétaires privés d’espaces naturels, alors que 75 % de la forêt française est privée. « On n’est pas là pour remettre en cause la propriété privée, mais un propriétaire ne peut s’octroyer le droit d’accès à toute une montagne, il faut laisser un droit de circulation », martèle Denis Simonin, habitant du massif et bénévole du collectif Chartreuse.

Propriété privée contre liberté d’accéder à la nature, faudra-t-il choisir ? Les députés Les Écologistes de l’Isère Jérémie Iordanoff et de la Vienne Lisa Belluco ont en tout cas annoncé leur volonté de déposer un projet de loi pour abroger la contravention instaurée par la loi de février 2023, pour ensuite engager « un travail commun vers un vrai droit d’accès à la nature ». Rejoignant les revendications des manifestants, toujours en chanson : « Sache que les gueux ne s’arrêt’ront pas là, notre droit d’accès, oui on l’obtiendra ! »

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