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Effondrement du vivant : l’État absent de son propre procès

Les membres des associations impliquées dans le procès «Justice pour le vivant» rassemblés à Paris le 1ᵉʳ juin 2023.

L’audience du procès « Justice pour le vivant », porté par cinq ONG contre les défaillances de l’État dans la protection de la biodiversité, a eu lieu le 1ᵉʳ juin. Les représentants du gouvernement ne s’y sont même pas déplacés.

Paris, reportage

Il était presque 14 heures quand les membres de Pollinis, Notre Affaire à Tous, Biodiversité sous nos pieds, Anper-Tos et l’Aspas, mobilisés dans le cadre du procès « Justice pour le Vivant », ont peu à peu rempli la salle du tribunal administratif de Paris. Un nombre de personnes mobilisées qui tranchait avec l’absence de représentants du gouvernement ce 1ᵉʳ juin. Les cinq ONG avaient déposé en janvier 2022 un recours contre l’État pour son inaction face à l’effondrement de la biodiversité.

À l’audience, la rapporteuse publique a commencé par rappeler que la notion de préjudice écologique avait déjà été évoquée dans l’enceinte du tribunal dans le cadre de l’Affaire du siècle en février 2021. Et ses conclusions sont claires : l’État ne respecte pas ses objectifs de réduction de l’usage des pesticides. Elle propose de déclarer l’État fautif de carence « dans les procédures d’évaluation et la gestion de suivi des risques » des produits phytos, dans le « non-respect de la trajectoire [des différents plans éco-phyto] » et dans la « non-protection des eaux ». Elle préconise de lui donner un an pour agir.

Une abeille sur 2 000

La rapporteuse a aussi cité le manque de pertinence des tests de toxicité « qui se limitent aux abeilles domestiques alors qu’il existe 2 000 autres types d’abeilles », ou bien à une espèce de vers de terre « moins sensible que d’autres aux pesticides ». Elle a également déploré l’absence de prise en compte des effets cocktails et d’une exposition chronique qui peut entraîner « une mortalité différée », « des problèmes de reproduction », ou encore « une altération du comportement, comme les pesticides neurotoxiques qui perturbent l’orientation des abeilles ».

Selon elle, la France pourrait, notamment via l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), demander des tests supplémentaires en cas de doute, « édicter des utilisations restrictives », ou encore alerter la Commission pour suspendre la mise en vente d’un produit. Les États membres ont donc des marges de manœuvre. Dans le cas où l’État ne serait toutefois pas jugé responsable des carences reprochées, les associations devraient saisir la cour de justice européenne.

« Cette absence est assez représentative de leur désintérêt du dossier »

La rapporteuse a conclu en recommandant à l’État de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour réparer le préjudice écologique et rétablir la trajectoire de réduction des pesticides, le 15 juin 2024 au plus tard. Les trois avocats qui représentaient les associations ont ensuite pris tour à tour la parole, et abondé dans le sens de la rapporteuse.

Le dossier, considéré « historique » et « vital » par l’une des avocates des associations, le semble moins pour le gouvernement, dont aucun des ministères n’était représenté. Pour Julia Thibord, responsable juridique chez Pollinis : « Cette absence est assez représentative de leur désintérêt du dossier. »

Plusieurs dizaines d’activistes se sont rendus au rassemblement en soutien au procès « Justice pour le vivant ». © Pollinis

Autre surprise, c’est un des principaux lobbies des pesticides, le syndicat Phytéis, qui a présenté les arguments en faveur de l’État devant le tribunal. Leur avocat a dénoncé « des articles scientifiques à charge » et l’absence de consensus scientifique sur « la contamination généralisée » pourtant largement documentée par les conclusions de la rapporteuse.

Il a également affirmé ne pas accorder d’importance à « l’affiliation du travail scientifique, qu’il soit académique ou financé par des industries ». De quoi faire réagir la salle, pour qui l’étude indépendante n’a certainement pas la même valeur que celle commandée par un lobby. Ce public devra attendre le 15 juin pour savoir si les juges suivront ou non les recommandations de la rapporteuse publique d’enjoindre l’État à réparer le préjudice écologique, d’ici à juin 2024.

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