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TribuneCulture et idées

En 2022, l’entrée fracassante d’une mésange à l’Élysée

Comment écouter, enfin, le point de vue du vivant non humain, ce « grand muet » ? En élisant une mésange pour présidente, proposent les auteurs de cette tribune.

Manon Loisel et Nicolas Rio sont consultants-chercheurs en action publique locale.


Une mésange à l’Élysée ?! La proposition a de quoi faire sourire. Mais au-delà de la boutade, cette candidature fictive invite à conjurer la morosité de la campagne présidentielle et à bousculer un peu notre démocratie pour qu’elle intègre davantage le défi écologique. La mésange futée du dessinateur Alessandro Pignocchi nous y encourage.

Faire entrer le vivant non humain à l’Élysée, c’est une proposition qui ne sort pas de nulle part. Elle s’inscrit dans le prolongement d’un foisonnement d’initiatives visant à lui rendre sa place au cœur de notre société. On pense aux travaux précurseurs de l’anthropologue Bruno Latour et à son expérimentation Make it Work, fin mai 2021. Il invitait à la table des négociations d’une COP21 fictive des écosystèmes tels que l’Amazonie, les océans, les pôles… On pense aussi aux écrits de Baptiste Morizot, qui, en partant des controverses autour de la présence du loup en France, soulignent la nécessité de bâtir une diplomatie interespèces pour permettre aux humains une meilleure cohabitation et un enrichissement au contact des autres vivants.

C’est également l’expérience du Parlement de Loire, conduite par l’écrivain Camille de Toledo et le Pôle arts et urbanisme (Polau) de Tours, et celle du plaidoyer de Notre affaire à tous, qui militent pour considérer les fleuves comme des sujets de droit. Sur un autre registre, c’est à la Zad de Notre-Dame-des-Landes que le vivant a fait son entrée en politique la plus fracassante, à travers le slogan : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend ! »

À Notre-Dame-des-Landes, lors de l’anniversaire des deux ans de l’abandon du projet d’aéroport, en 2020. © Yves Monteil/Reporterre

Si diverses soient-elles, toutes ces expériences ont en commun de se tenir à distance de la vie politique. Mais si le droit et la lutte sont des outils décisifs pour redonner le pouvoir au(x) vivant(s), le vote pourrait aussi être un levier pour inciter nos gouvernants et nos institutions à prendre cette question à bras-le-corps. Et quoi de mieux qu’une élection présidentielle pour lancer la dynamique ? Agriculture, énergie, fiscalité, industrie, affaires étrangères… la plupart des politiques nationales ont un effet direct sur le(s) vivant(s). Il serait donc logique d’écouter enfin le point de vue de ces « grands muets » que sont les plantes, les animaux… pour ouvrir le débat largement. Davantage en tout cas que ne le permettent le Parti animaliste ou le Mouvement de la ruralité (anciennement Chasse, pêche, nature et traditions) [1].

Avec la mésange, réapproprions-nous cette campagne qui nous égare et ne nous parle pas.

Déjouer la dérive réactionnaire des débats

À lire les bandes-dessinées de l’anthropologue Alessandro Pignocchi, on mesure tout l’intérêt et le réconfort que l’on peut trouver à écouter le point de vue d’une mésange : curieuse, avisée, drôle, elle incarne une voix critique, non dupe des incohérences humaines, croissance verte et tutti quanti. Dans une campagne présidentielle qui s’embourbe, ce petit oiseau pourrait apporter une voix salutaire, qui nous aiderait à recadrer le débat. Il est en effet fort à parier que, comme nombre d’experts, il n’associerait pas insécurité avec immigration, mais avec pesticides, sols morts, sécheresse… Il demanderait sûrement aussi que la mortalité des abeilles, du fait de ces substances toxiques, soit intégrée aux statistiques de la délinquance, et que des lois soient proposées pour condamner sévèrement leurs promoteurs. En bref, la mésange pourrait déjouer la dérive réactionnaire des débats et, en nous permettant de nous « décaler », nous aiderait à prendre les positions les plus ambitieuses sur le plan écologique.

Lire aussi : Donner des droits à la nature : une idée qui fait son chemin

Se placer du côté des espèces menacées d’extinction serait également un moyen pour nous de retourner l’accusation d’« écologie punitive », souvent utilisée à l’encontre des écologistes. Car la vraie punition en matière d’écologie, c’est la sixième extinction des espèces. Pour la mésange, le « pouvoir de vivre » [2]… est devenu une revendication vitale !

Pour nous, humains, l’identification à une mésange invite à d’autres façons de faire de la politique. Ce petit oiseau si vulnérable pourrait même devenir notre meilleur allié pour relayer la parole des sans-voix et construire des coalitions de combat. Sa vulnérabilité n’est-elle pas aussi celle de tous les êtres humains privés d’existence digne ? Défendre le vivant, c’est affirmer la force de nos interdépendances malgré l’hétérogénéité de nos conditions.

Et si on permettait à une forêt de s’exprimer sur ses besoins en sondant son sol ?

Venons-en au concret, car imaginer la candidature d’une mésange à l’élection présidentielle pose une série de problèmes pratiques.

  • Problème numéro 1 : impossible de faire parler les non-humains. C’est vrai. Mais les politiques, et les chroniqueurs, passent leur temps à faire parler les Français sans jamais leur donner l’occasion de s’exprimer directement. Alors, ne pourrait-on permettre à la mésange de parler en interrogeant ses lieux de vie favoris ? À une forêt de s’exprimer sur ses besoins en sondant son sol ? Il suffirait de nous associer avec des scientifiques, des chercheurs, etc., qui pourraient en témoigner.
  • Problème numéro 2 : seuls les humains ont le droit de vote. De fait, il existe un décalage entre la population qui vote et la population impactée par l’élection. C’est un vrai gros problème, qui est loin de se limiter aux non-humains : la jeunesse et les générations futures mériteraient elles aussi d’être au cœur de l’élection. Comme le dit le rappeur Orelsan, « tous les vieux votent, ils vont choisir notre avenir / mamie vote Marine, elle a trois ans à vivre ».
  • Problème numéro 3 : tous les vivants n’ont pas les mêmes enjeux à défendre. Avec cette candidature de la mésange, ne risque-t-on pas de mélanger choux et carottes, ou de tomber dans une logique catégorielle où chacun cherche à défendre ses animaux préférés ou ses végétaux favoris ? On peut aussi se dire, à l’inverse, que c’est la force de la démocratie et l’intérêt d’une campagne électorale de nous donner l’occasion de dépasser nos divisions, pour souligner ce qui nous unit et ainsi reconfigurer les clivages qui nous traversent. La mésange pourrait être notre meilleur dénominateur commun pour s’engager dans cette voie.

Peut-on vraiment faire entrer le vivant non humain dans la campagne présidentielle ? On ne sait pas, mais on vous propose d’essayer. Rendez-vous le mercredi 2 février à La Base, à Paris, pour imaginer le programme potentiel de #Mésange2022.

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