En Aveyron, des activistes éventrent des sacs de « nouveaux OGM »

Les Faucheurs volontaires chez le semencier RAGT, le 10 novembre 2021. - © Grégoire Souchay/Reporterre
Les Faucheurs volontaires chez le semencier RAGT, le 10 novembre 2021. - © Grégoire Souchay/Reporterre
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OGM LuttesSacs éventrés, Faucheurs volontaires satisfaits. Le 10 novembre dans l’Aveyron, des militants ont mis hors d’état d’usage des semences de variétés rendues tolérantes aux pesticides. Le gouvernement, lui, refuse d’encadrer celles-ci, en dépit du droit européen.
Calmont (Aveyron), reportage
« RDV sur tel parking, à telle heure. » Vingt-deux ans après leur naissance, les Faucheurs volontaires sont toujours aussi peu bavards quand il s’agit de suivre leurs opérations de désobéissance civile. La cible du moment : les variétés rendues tolérantes aux herbicides (ou VRTH). Des semences obtenues en laboratoire par mutagenèse, via des procédés brevetés par les géants de la chimie.
Ainsi, la technologie du « clearfield » brevetée par BASF est « basée sur la combinaison efficace entre l’herbicide Pulsar 40® à base d’imazamox, de BASF, et des variétés naturellement tolérantes à cet herbicide », explique la notice de l’entreprise. Or, justement, c’est un champ de tournesol VRTH, le Vollcano CLP, qui a été partiellement détruit en août dernier à Ambeyrac. « À la suite de cette action, on a pu retracer la destination des récoltes jusqu’ici », explique Christine, faucheuse de l’Aveyron.

Une « inspection citoyenne » à la recherche de semences spécifiques
Ici, c’est Calmont, au sud-ouest de Rodez, dans les entrepôts du semencier RAGT, qui compte plus de 1 350 salariés et fournit plus de 200 variétés sur le marché européen. Ce 10 novembre, plus de 70 Faucheurs venus d’Aveyron et des départements voisins se sont donc introduits sur le site de la RAGT pour mener une « inspection citoyenne ». Les consignes aux participants étaient très claires : « Pas de violence, on laisse le personnel tranquille, on ne vise que les semences VRTH, si on en trouve. »

Sans grande difficulté technique, les différents groupes ont exploré le site industriel et fini par trouver dans l’un d’entre eux un petit stock de grands sacs estampillés « Nizza CL (Clearfield) : colza hybride ». Bingo : « On a la certitude que ces semences-là ont été obtenues par mutagenèse appliquée sur cellule in vitro. Or c’est le curseur imposé par le Conseil d’État pour réglementer la commercialisation : demande d’autorisation, étiquetage, traçabilité, séparation des filières », énumère Robert [*], un des participants. Au total, sept sacs d’une tonne chacun ont été ouverts, répandus par terre en mélangeant du maïs avec du tournesol.
« On est dans le symbolique. On sait très bien que la RAGT a tous les moyens industriels pour récupérer ces semences », dit Camille. Au bout d’une heure, la troupe quittait le site sans encombre sous l’œil d’une dizaine de gendarmes, en chantant son slogan fétiche : « Ni dans les champs ni dans les usines, les OGM, on n’en veut pas. »

L’entreprise « visitée », elle, ce sont des Faucheurs dont elle ne veut plus. Dans un communiqué, Laurent Guerreiro, directeur général de RAGT Semences, « s’inscrit en faux contre toutes les allégations des Faucheurs », des « hors-la-loi » et des « marchands de peur » qui ont « détruit des milliers de doses de semences de tournesol [à une période] où les disponibilités constituent un réel enjeu » pour les agriculteurs. Il assure que « ce qu’[ils font] est totalement légal ». Dès lors, « il n’est plus supportable que ces individus agissent ainsi en toute impunité ».

La France dans l’illégalité vis-à-vis du droit européen et français
L’enjeu de la légalité de la culture de ces VRTH fait précisément l’objet de nombreux débats juridiques actuellement. Alors qu’au début des années 2000, les Faucheurs se battaient pour interdire des OGM, aujourd’hui ils se retrouvent pour « simplement faire appliquer la loi ». Mais laquelle ? En la matière, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), déjà saisie par le Conseil d’État français, a conclu en 2018 que « les organismes obtenus par mutagenèse constituent des OGM et sont, en principe, soumis aux obligations prévues par la directive sur les OGM ». À sa suite, en février 2020, le Conseil d’État enjoignait au gouvernement « d’identifier » sous neuf mois « les variétés de plantes agricoles obtenues par mutagenèse inscrite au catalogue officiel » sans qu’elles aient été « évaluées de la même manière que des OGM ».
Un an et demi a passé et aucune mesure de contrôle ni d’évaluation des risques n’a été engagée par le pouvoir. Alors, de nouveau saisi par les associations anti-OGM et la Confédération paysanne, le Conseil d’État s’est prononcé une seconde fois ce 8 novembre 2021.
Cette fois, s’il redemande à la CJUE des précisions techniques sur les contours de sa décision, il menace en même temps directement l’État français de sanctions financières s’il ne réglemente pas la culture de ces VRTH d’ici au 8 février 2022.