En France, 47% de la pêche industrielle a lieu… dans des zones protégées

Navire de pêche. - Pixabay/CC/Anestiev
Navire de pêche. - Pixabay/CC/Anestiev
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Pêche Océans AnimauxEn 2021, près de la moitié du temps de pêche des navires industriels a eu lieu dans des aires marines dites « protégées », selon un rapport de Bloom. Pour l’association, le gouvernement se targue de protéger ses eaux tout en les sacrifiant.
Les aires marines protégées françaises sont une coquille vide. C’est ce que l’on comprend en lisant le dernier rapport de l’association Bloom, publié le vendredi 7 octobre. Selon les calculs de l’association, près de la moitié de la pêche industrielle ayant lieu dans la zone économique exclusive française — c’est-à-dire l’espace maritime sur lequel l’État dispose de tous les droits en matière d’exploitation des ressources naturelles — se déroule dans des zones dites « protégées ».
Afin de parvenir à ces résultats, les auteurs de cette étude ont croisé les données de la plateforme Global Fishing Watch, qui répertorie les activités des navires de pêche à travers le monde, et les données cartographiques du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur les aires marines protégées. Cela leur a permis d’estimer le nombre d’heures passées par des navires de pêche de plus de 15 mètres au sein des zones supposément préservées par l’État français.
Résultat : en 2021, la flotte industrielle a passé 47,2 % de son temps de pêche dans des aires marines françaises dites « protégées ». Ce pourcentage a globalement augmenté au cours des dernières années. En 2015, « seulement » 21,8 % de l’effort de pêche industrielle avait eu lieu au sein de réserves, de parcs naturels, de zones Natura 2000 et autres types d’espaces destinés à la protection de la biodiversité marine. « On crée de plus en plus d’aires marines protégées, mais elles n’ont aucun effet, les bateaux continuent à suivre les mêmes stratégies de pêche, analyse Swann Bommier, chargé du plaidoyer et des campagnes de Bloom et coauteur de cette étude. À ce rythme-là, on pourrait avoir 100 % d’aires marines protégées, et 100 % de zones chalutées. »

« Une imposture »
Ces incursions industrielles sont, dans leur immense majorité, parfaitement légales. Comme l’expliquait Reporterre dans une enquête, la plupart des aires marines protégées sont trop permissives pour avoir de réels effets sur les écosystèmes. Chaluts, dragueurs, senneurs et autres engins de pêche industriels peuvent y exercer librement, en dépit de leurs effets délétères sur la biodiversité. Les aires marines protégées occupent 43,5 % de la zone économique exclusive de France métropolitaine. Selon une étude scientifique publiée en 2021 dans la revue Marine Policy, seulement 0,03 % de sa surface bénéficie d’une « protection stricte », c’est-à-dire sans aucune pêche.
En 2021, au moins 1 066 navires industriels ont arpenté les aires marines protégées de France métropolitaine, selon Bloom. Parmi eux : le Carolien, monstre néerlandais de 126 mètres de long. « La France ne veut pas protéger, elle veut afficher un discours de protection, dénonce Swann Bommier. On se targue d’avoir créé la deuxième plus grande aire marine protégée au monde, d’avoir dépassé l’objectif de protection de 30 % des espaces maritimes français. Mais en réalité, le gouvernement donne un blanc-seing aux lobbies de la pêche industrielle. » L’absence de réglementation au sein des aires marines protégées françaises contrevient « à toutes les recommandations scientifiques », souligne-t-il. La plupart des études estiment en effet que 30 à 50 % de la surface de l’océan devrait bénéficier d’une protection haute ou stricte, les autres niveaux étant bien souvent inefficaces.
Le laxisme de la France relève, selon Swann Bommier, d’une politique « voulue et assumée ». Il en veut pour preuve un décret, paru le 12 avril dernier au Journal officiel, qui propose de labelliser comme « zones de protection forte » des espaces au sein desquels aucune activité industrielle ne serait formellement interdite. « Tout sera au cas par cas », s’insurge-t-il. Ce texte entérine selon lui une « politique d’affichage » trompeuse, laissant croire au commun des mortels que les eaux françaises sont efficacement protégées sans qu’il n’en soit rien. « C’est une imposture », estime-t-il. L’association a décidé d’attaquer ce décret devant le Conseil d’État.
La France doit aligner sa politique sur les standards scientifiques internationaux, selon Bloom, et interdire la pêche industrielle au sein de ses aires marines protégées. L’association recommande également d’interdire tous les types de pêche (industrielle et artisanale) dans au moins 10 % de ses eaux. Seules ces mesures pourraient permettre à l’océan de se régénérer, et, par extension, sauver la pêche artisanale des « coups de boutoir » de la pêche industrielle, selon Swann Bommier. La difficulté n’est « pas d’ordre juridique », insiste-t-il. « C’est un choix politique. »