En pleine canicule, l’enfer de vivre dans une « bouilloire thermique »

Une femme retraitée dans son appartement dans la cité Bourbaki à Toulouse, le 14 juillet 2022. - © AFP / Fred Scheiber
Une femme retraitée dans son appartement dans la cité Bourbaki à Toulouse, le 14 juillet 2022. - © AFP / Fred Scheiber
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Social Climat Habitat et urbanismeMauvaise isolation, absence de volets… De nombreux logements ne sont pas adaptés aux fortes chaleurs, au risque de devenir invivables pour leurs habitants. Témoignages.
« J’ai accroché des couvertures de survie sur mes fenêtres. Cela me permet de gagner quelques degrés, mais elles s’envolent avec le vent, et il faut les enlever à chaque fois qu’on veut de la lumière », raconte Bertille [*]. Depuis plusieurs semaines, cette habitante du 19e arrondissement de Paris se prépare nerveusement au retour de la canicule. Dès le mois de juin, son thermostat affichait déjà 27 °C chez elle, alors qu’il faisait 23 °C à l’extérieur.
Son rêve ? Installer des stores ou des volets. Mais dans sa copropriété d’un peu plus de 300 habitants, c’est le parcours du combattant : « Je vais devoir attendre la prochaine assemblée générale, l’année prochaine, pour faire valider mon choix. Faire passer l’esthétique avant la vie des gens, c’est de la folie ! » s’emporte cette mère célibataire. L’été dernier, elle a dû appeler le Samu, inquiète pour son bébé qui souffrait de la fièvre, alors que le mercure dépassait les 30 °C à l’intérieur.
Près de 60 % des Français ont souffert de la chaleur
Bertille est loin d’être la seule à étouffer à cause des fortes chaleurs. À l’été 2022, 59 % des personnes interrogées ont déclaré en avoir souffert, chez eux, d’après le baromètre du Médiateur national de l’énergie. « Les personnes précaires qui habitent en ville semblent être particulièrement touchées », dit Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
C’est le cas de Nathan. Âgé de 22 ans, il paye 560 euros par mois pour vivre dans un studio situé au dernier étage d’un immeuble, dans le Nord-Est parisien. Après avoir grelotté de froid tout l’hiver, il n’arrive plus à dormir et il saute des repas, tant la chaleur lui coupe l’appétit. Heureusement, des amis lui ont proposé de l’héberger pour l’aider à écrire son mémoire. « La semaine dernière, je n’ai pas passé plus de deux nuits chez moi. Et je vais bientôt avoir les moyens de déménager », se réjouit-il. Mais l’état de l’appartement l’inquiète, « pour les futurs locataires ».
« Il faut mettre en œuvre d’urgence un “plan volet” »
Face à la précarité énergétique d’été, la Fondation Abbé Pierre en appelle à un sursaut : « Il faut mettre en œuvre d’urgence un “plan volet”, avec une prise en charge des frais pour les ménages les plus modestes, dit Manuel Domergue. Il faut aussi que les bailleurs sociaux installent des stores et sécurisent l’ouverture des fenêtres, tout en simplifiant les règles dans les zones soumises à l’appréciation des Architectes des bâtiments de France. »
À l’échelle urbaine, la Fondation insiste sur la nécessité de « végétaliser les villes » ou de peindre les toits en blanc. Enfin, tous ces dispositifs ne doivent pas faire oublier « la rénovation énergétique globale des cinq millions de passoires thermiques en priorité, mais aussi, à terme, de tous les logements ».
Le risque, si l’on n’agit pas maintenant ? Voir proliférer les climatisations, alors qu’elles rejettent de l’air chaud et des fluides frigorigènes à effet de serre, en plus d’être un marqueur d’inégalités sociales. 37 % des catégories supérieures en possèdent une, deux fois plus que les ménages sans emploi ou inactifs, selon une étude de l’Ademe.
« J’étouffe à cause de la chaleur »
Dans sa petite maison HLM, à Drefféac (Loire-Atlantique), Angela n’y songe pas. Cette demandeuse d’emploi âgée d’une cinquantaine d’années préfèrerait des travaux pour rénover sa passoire thermique : « J’étouffe à cause de la chaleur, et ce n’est encore rien comparé aux pics de température. »
Mais son bailleur social « ne veut pas changer des carreaux cassés, des travaux comme ça… » Elle n’ose pas demander. En attendant, elle arrose les plantes de son jardin, qui lui apportent « un peu de fraîcheur... ». Le plus dur, ce n’est pas la température, estime-t-elle : « J’ai déjà de la chance d’avoir un logement ». Ce qui la mine, c’est de penser « aux dérèglements climatiques et à tous les efforts qu’on ne fait pas à temps ».