Appartements en surchauffe : « L’État doit agir »

40 millions de Français souffrent de la chaleur dans leur appartement en France. - © Laure Boyer / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
40 millions de Français souffrent de la chaleur dans leur appartement en France. - © Laure Boyer / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Climat Habitat et urbanismeSoumis aux fortes températures, les habitants de « bouilloires thermiques » trinquent. Pour Maïder Olivier, de la Fondation Abbé Pierre, l’État doit urgemment agir face à cet « enjeu de santé publique et de dignité ».
Fournaise, étuve, sauna… Les mots semblent faibles pour décrire l’intensité de la vague de chaleur qui s’abat cette semaine sur l’hémisphère Nord. Dès mardi 18 juillet, certaines régions françaises pourraient connaître des températures avoisinant les 40 °C. Si cet épisode de chaleur risque d’avoir des effets dévastateurs sur les végétaux, les oiseaux ou encore les animaux de ferme, les êtres humains ne sont pas en reste. Un grand nombre de Françaises et Français vivent aujourd’hui dans des logements inadaptés aux températures extrêmes. Ces « bouilloires thermiques » sont insuffisamment prises en compte par les pouvoirs publics, selon Maïder Olivier, chargée d’étude à la Fondation Abbé Pierre et autrice d’un récent rapport sur le sujet.
Reporterre — Les logements des Français sont-ils suffisamment protégés contre les fortes chaleurs ?
Maïder Olivier — Non. En 2022, selon les chiffres du médiateur de l’énergie, 59 % des Français et des Françaises souffraient de la chaleur dans leur logement – soit 8 points de plus qu’en 2020. 40 millions de personnes sont concernées. C’est un phénomène massif, et qui risque de s’intensifier dans les années à venir.
Tout le monde ne souffre cependant pas des « bouilloires thermiques » de la même manière. Les personnes âgées meurent de manière exacerbée dans leurs logements pendant l’été. Les jeunes, qui habitent dans des logements plus exigus et sous les toits, sont aussi beaucoup plus exposés à la chaleur. Les habitants des quartiers populaires sont également très vulnérables : une enquête a montré qu’il faisait trop chaud dans 70 % des quartiers prioritaires l’été (contre 56 % à l’échelle nationale), parce qu’il y a beaucoup moins d’espaces verts et de lieux où se rafraîchir. C’est donc aussi un enjeu de justice sociale.
Cette question est-elle prise en compte par les acteurs de la rénovation thermique et par le gouvernement ?
Il y a peu de dispositifs pour évaluer la qualité thermique des logements en été et faire des rénovations performantes. Depuis quelque temps, le confort d’été peut être inscrit dans le diagnostic de performance énergétique, mais uniquement à titre indicatif. Il n’est pas suffisamment fait, ni réglementaire. Les locataires et les acheteurs peuvent savoir si leur logement est froid en hiver, mais pas nécessairement comment on y vit en été.
En plus de cela, les travaux de rénovation des passoires thermiques ne prennent pas toujours en compte le confort d’été. Les travaux d’isolation sont parfois faits avec des fibres synthétiques qui aggravent le phénomène. On se retrouve avec des personnes qui continuent de souffrir de la chaleur, voire en souffrent encore plus à la suite des travaux.
Le gouvernement doit donner des orientations sur cette question. Les professionnels du bâtiment doivent également se former pour utiliser des matériaux adéquats. Certains en utilisent déjà, et les résultats sont très probants. À Rosny-sous-Bois, le recours à des fibres naturelles – qui permettent d’isoler les logements à la fois l’hiver et l’été – a permis de faire baisser la température estivale dans les salles de classe de six degrés.
Quels autres freins à la lutte contre les bouilloires thermiques identifiez-vous ?
Beaucoup de règlements de copropriétés continuent d’interdire l’installation de volets. C’est un levier qui doit être levé rapidement. Il devrait être facile pour quelqu’un d’installer des volets chez soi sans passer par des démarches administratives énormes.
Les architectes des bâtiments de France bloquent également certains travaux de lutte contre les bouilloires thermiques, comme le fait de repeindre en blanc les bâtiments ou d’installer des volets, sous prétexte que ces logements sont situés près des bâtiments historiques. C’est un non-sens total que des personnes soient contraintes de vivre dans des logements où il fait 46 °C parce qu’elles habitent à côté d’une église.
Aujourd’hui, quand on est locataire, on a assez peu de manière de se protéger de la précarité énergétique d’été. Les propriétaires doivent assurer une température minimale dans le logement de 18 °C. Si cette température n’est pas assurée, les locataires peuvent demander un gel des loyers, ou des travaux de rénovation. Ce n’est pas le cas pour la précarité énergétique d’été. On a des témoignages de personnes chez qui il fait 35 °C la nuit en continu, et qui ne peuvent pas exiger de travaux à leur propriétaire.
L’une de nos principales demandes, c’est d’inclure les travaux de lutte contre la précarité énergétique estivale dans [le dispositif d’aide à la rénovation énergétique] MaPrimeRénov’ : l’installation de volets et de protections solaires, le travail sur la ventilation, l’isolation adaptée à la chaleur… Ils doivent être financés au même titre que les travaux qui réduisent la précarité énergétique en hiver, car ils recouvrent exactement les mêmes enjeux de santé publique et d’économie d’énergie.
Les villes ont-elles également un rôle à jouer ?
Bien sûr, puisque ce sont les endroits où il y a le plus de personnes qui sont victimes de la précarité énergétique d’été. Pendant la canicule de 2003, il y a eu une surmortalité de 141 % à Paris, versus 40 % dans des petites et moyennes villes. Avec le béton, le trafic routier, l’intensité des activités, notre modèle d’urbanisme exacerbe le problème des bouilloires thermiques. Au-delà du travail qu’il y a à faire sur les logements, un travail de végétalisation doit être fait.

C’est la méthode la plus efficace pour réduire la température dans les villes et atténuer le réchauffement climatique. La végétalisation ne doit pas être laissée au bon vouloir des villes. C’est le devoir de l’État d’allouer du budget à ce chantier, en ciblant prioritairement les quartiers les plus sensibles.
Pourquoi la question des bouilloires thermiques mobilise-t-elle moins que celle des passoires thermiques ?
L’une des raisons est qu’il existe des solutions rapides à ce problème, comme la climatisation par exemple. Les climatiseurs prolifèrent : 14 % de ménages en étaient équipés en 2016, et 25 % en 2020. Il s’agit d’une mal adaptation au réchauffement climatique, puisque les climatiseurs contribuent à aggraver le phénomène en émettant des gaz à effet de serre. Par ailleurs, les populations les plus pauvres ne peuvent pas s’acheter un dispositif de climatisation très performant, et dépensent donc énormément d’argent l’été pour se refroidir. Encore une fois, c’est une question de justice sociale.
On est dans une course de vitesse. Il y a urgence à ce que le gouvernement lance un grand plan d’adaptation à la précarité énergétique d’été. Tout comme le froid l’hiver, c’est un enjeu de santé publique et de dignité. Ce n’est pas une question de confort : c’est une question de survie des personnes, et d’habitabilité de nos logements.