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Animaux

Éoliennes : comment éviter la mort des oiseaux ?

Les oiseaux ont une mauvaise perception des contrastes, ce qui les empêche de discerner les éoliennes.

Les dispositifs installés sur les éoliennes pour épargner les oiseaux restent largement inefficaces. Des études expliquent pourquoi les oiseaux n’évitent pas ces moulins géants.

Les oiseaux continuent d’être happés par les éoliennes. En moyenne, sept par éolienne sont ainsi tués chaque année en France. Ce chiffre, tiré d’une étude de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) en 2017, fait aujourd’hui référence dans l’Hexagone. Problème : l’installation ces dernières années de dispositifs sur les éoliennes supposés protéger les oiseaux n’ont pas eu les effets escomptés. Le cas d’un parc de l’Hérault, qui a installé ces dispositifs depuis 2016, est emblématique. « 2021 a été une année noire avec douze cadavres de faucons crécerellettes retrouvés entre avril et août », dénonce l’ornithologue Nicolas Saulnier, directeur de la LPO de l’Hérault.

À l’origine du programme de recherche sur la réduction de la mortalité aviaire dans les parcs éoliens (Mape), une demande de la LPO d’évaluer ces fameux dispositifs que les industriels ont l’obligation d’installer. Il s’agit de caméras ou radars pour détecter les oiseaux à l’approche. Si un oiseau est repéré, soit la machine envoie un son strident pour l’effaroucher, soit les pales ralentissent pour éviter la collision.

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« Aujourd’hui, la performance des dispositifs de détection est fournie par les industriels et il n’y a pas de protocole standardisé pour évaluer leur efficacité sur la mortalité des oiseaux », pointe Olivier Duriez, chercheur au laboratoire d’écologie fonctionnelle Cefe de Montpellier. Mais le spécialiste des rapaces voit, lui, facilement les limites : « Les détecteurs d’oiseaux supposés ralentir les pales à l’approche d’un animal volant le détectent à 200 m, alors qu’un rapace doit être détecté à 900 m, sinon le temps de ralentissement de l’éolienne sera bien trop lent comparé à sa vitesse de vol. »

Un oiseau mort, et tout est dépeuplé

Cette mortalité des oiseaux due aux éoliennes a des conséquences sur le long terme : « La mort d’un passereau ou d’un rapace n’a pas du tout le même impact selon les populations d’oiseaux », expliquent Olivier Duriez et Aurélien Besnard, chercheurs au laboratoire Cefe de Montpellier.

Démonstration à l’appui : si deux aigles royaux adultes sont tués chaque année pour une population d’une cinquantaine d’individus, la population sera éteinte d’ici vingt ans. Impliqués dans le programme de recherche Mape, les deux écologues ont développé un outil — l’application Eolpop — qui permet de prédire l’impact démographique des mortalités causées par les collisions avec les éoliennes. En rentrant dans Eolpop l’espèce et le nombre de cadavres retrouvés, chacun peut évaluer l’ampleur des dégâts.

La mort d’un oiseau peut à terme amener à l’extinction de toute une population. Pixabay/CC/hapr80

Si l’outil est intéressant, les données manquent. Depuis 2018, les parcs éoliens ont l’obligation de fournir des chiffres sur les cadavres d’oiseaux retrouvés au pied des mâts. Mais ces données, produites par les exploitants, restent pour l’instant inexploitées à l’échelle nationale. L’étude plus poussée de certains parcs montre cependant les dégâts infligés. Par exemple, les parcs éoliens d’Aumelas (Hérault) sur le faucon crécerellette, « une espèce emblématique sauvée in extremis de l’extinction », souligne Aurélien Besnard du CNRS. La LPO de l’Hérault a suivi pour le compte de l’exploitant EDF la mortalité de cette espèce migratrice qui ne passe sur le territoire français que la moitié de l’année. Bilan : plus de 150 faucons crécerellettes tués en huit ans. Et si cette population croît malgré ces victimes, sur trente ans, elle compte 40 % d’oiseaux en moins avec le parc, selon une publication scientifique parue en 2022 dans Animal Conservation.

« Mais ni les données sur l’impact des éoliennes sur les oiseaux, ni le rapport en manquement de la Dreal Occitanie [1] contre l’exploitant EDF qui n’a pas d’autorisation de destruction d’espèces protégées, ni le verdict de la Cour de cassation en novembre 2022 contre les destructions illégales d’EDF n’ont permis pour l’instant de faire bouger les choses », se désole Nicolas Saulnier, directeur de la LPO de l’Hérault.

« Peindre les éoliennes pour augmenter les contrastes »

D’autres raisons peuvent expliquer pourquoi les oiseaux se prennent dans les éoliennes : plus inattendu, les chercheurs impliqués dans Mape ont découvert que certains oiseaux voient mal les pales qui tournent très vite, mais aussi celles qui tournent doucement. Le ralentissement des éoliennes pourrait donc être contre-productif.

D’autres recherches étudient la vision des oiseaux pour mieux comprendre pourquoi ils évitent mal ces moulins géants. Dans le cadre de sa thèse à l’université de Montpellier, Constance Blary constate que les oiseaux ont une mauvaise perception des contrastes, ce qui les empêche de discerner les éoliennes réalisées justement pour être les moins visibles par l’humain. « Une des pistes est de proposer de peindre les éoliennes pour augmenter les contrastes », explique la doctorante en écologie évolutive. Une première expérimentation est prévue en Aveyron.

L’une des idées : changer le contraste des couleurs des pales. Ici, des éoliennes au Danemark. Flickr/CC BY-NC 2.0/Wind Denmar

Les trajectoires de vol, la vitesse et la perception du mouvement varient selon les espèces d’oiseaux. Autant de résultats qui montrent la complexité d’anticiper la réaction des oiseaux aux éoliennes. Parfois, la seule solution efficace serait l’arrêt complet des éoliennes, pendant les périodes de migration par exemple. Ou leur interdiction dans des zones sensibles. Dans un rapport publié en 2021, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) ne dit pas autre chose en pointant le « problème crucial des ENR [énergies renouvelables] dans les zones Natura 2000 », où l’éolien « tue deux fois plus d’oiseaux qu’ailleurs et cela concerne plus qu’ailleurs des espèces patrimoniales ».

Avant 2004, 80 % des parcs étaient installés loin des habitations dans des espaces naturels, et dans des couloirs nécessairement ventés. Des sites donc susceptibles d’accueillir de nombreuses espèces, comme le parc d’Aumelas. Depuis, les sites éoliens sont plus souvent dans des zones agricoles. « Mais de nouveaux projets de parcs continuent de voir le jour dans des parcs naturels et dans des zones Natura 2000 », déplore Nicolas Saulnier.

« Incompatible avec la survie de nombreuses espèces »

Pour le CNPN, « l’État doit faire la preuve que les parcs éoliens n’ont pas d’effets négatifs notamment sur l’avifaune de ces secteurs [Natura 2000] dont l’enjeu est majeur, ce qu’il est incapable de faire dans l’état actuel de ses connaissances, d’où l’application nécessaire du principe de précaution inclus dans la Constitution ». Une déclaration qui ne suffit pas à rassurer écologues et naturalistes, alors que les énergies renouvelables sont amenées à se développer rapidement et que la loi Asap de 2020 simplifie les autorisations environnementales.

Les mesures prises en faveur des chauves-souris montrent pourtant des solutions. La nuit par vent faible, ces chiroptères sillonnent le ciel pour se nourrir. Une période particulièrement meurtrière pour les animaux si les éoliennes tournent, mais en revanche peu productive pour les exploitants. L’Agence de la transition écologique (Ademe) encourage ainsi les parcs à arrêter leurs éoliennes lors de ce type d’épisodes météo, sachant que le manque à gagner est faible selon les calculs de l’agence. Certaines préfectures ont pris des mesures en ce sens, comme dans les Ardennes. Et l’Ademe de se féliciter qu’au moins un quart des parcs ont adopté cette régulation.

Si le tableau est déjà sombre, une nouvelle donnée vient le noircir un peu plus : l’éolien marin. « Nous n’avons aujourd’hui pratiquement aucune connaissance sur l’impact des parcs marins sur les migrateurs et les oiseaux marins », souligne Olivier Duriez. Assez quand même pour que le CNPN conclue : « L’objectif de la Commission européenne qui pourrait se traduire par l’équivalent de 34 000 éoliennes offshore en 2050, dont 7 100 pour la France, semble clairement incompatible avec la survie de nombreuses espèces d’oiseaux marins. »

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