Expérimentations animales : un long chemin vers les alternatives

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Animaux SantéLa science et la médecine procèdent encore largement par expérimentation animale. Sans qu’il paraisse possible de s’en passer tout de suite ni entièrement, les solutions de rechange se développent.
Souris, rats, lapins, grenouilles, reptiles, macaques, moutons, porcs, chiens, chats, poules… Chaque année en France, près de deux millions d’animaux sont utilisés à des fins médicales et expérimentales dans les laboratoires et dans les universités. Certains animaux en ressortent indemnes, quand cela est possible, et sont réhabilités. D’autres (les rongeurs, notamment) sont voués à une mort inévitable. Certes, ce chiffre est dérisoire en comparaison du milliard d’animaux terrestres abattus en France chaque année pour la consommation alimentaire. Il paraît aussi insignifiant par rapport à ce qui se passe spontanément dans la nature [1].
Néanmoins, la question peut difficilement être occultée à l’heure où des voix s’élèvent pour une meilleure réflexion sur le bien-être animal et où le mouvement antispéciste [2] prend de l’ampleur.
Il serait dangereux de vouloir arrêter subitement les expérimentations sur les animaux. « Il est impossible de se passer de la recherche animale en l’état actuel des connaissances. Ni à court ni à moyen terme », insiste Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM Téléthon. Impossible, car ces expériences permettent notamment de faire avancer la science et la médecine. Il s’agit d’étudier la biologie du développement pour, à terme, mieux comprendre le mécanisme d’apparition des maladies et trouver les outils pour s’en défendre. Sans les animaux, Watson et Crick n’auraient pas découvert la structure de l’ADN. Sans les animaux, de nombreux traitements de tous types n’auraient jamais pu voir le jour. Sans les animaux, la médecine aurait moins de réponses au cancer, au diabète, au sida, aux maladies génétiques…
« Il ne faut pas penser que cela amuse les chercheurs d’utiliser des animaux »
Les expérimentations animales permettent aussi de vérifier l’innocuité des traitements avant la phase d’essai clinique chez l’homme, qui précède leur mise sur le marché. « Le recours à la recherche animale est toujours motivé par l’intérêt scientifique et dans un objectif de santé publique », résume Bruno Verschuere, directeur opérationnel du Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (Gircor). « Cette recherche s’inscrit aussi dans le cadre d’exigences légales. Il est par exemple obligatoire de tester les médicaments sur les animaux avant de les tester sur l’homme. C’est une question de sécurité élémentaire. »

Une directive européenne datant de 2010 (2010/63/EU), transposée en France en 2013 (décret n° 2013-118), impose cependant aux États membres d’utiliser des méthodes de substitution à l’expérimentation animale, lorsque celles-ci existent. Parmi ces méthodes, certaines — tests à partir de cultures de cellules souches in vitro notamment — sont au point et sont largement utilisées, notamment dans l’industrie cosmétique, qui n’a d’ailleurs plus l’autorisation d’utiliser d’animaux dans le cadre de ses tests.
De plus, un principe dit des « trois R » (remplacement, réduction, raffinement) n’a pas attendu de réglementation pour être adopté par les scientifiques. « Il ne faut pas penser que cela amuse les chercheurs d’utiliser des animaux. En général, ils vont chercher la méthode la plus simple, la plus rapide, la plus solide et la moins coûteuse pour leurs recherches. Or, quand une méthode alternative existe, elle répond à tous ces critères », explique Bruno Verschuere, évoquant les cultures de cellules souches.
La directive européenne impose aussi qu’un comité d’éthique soit consulté avant chaque utilisation animale. Il ne s’agit pas de discuter du bien-fondé de l’utilisation des animaux en recherche, mais de déterminer si ces derniers sont employés dans des conditions conformes à la réglementation. C’est ce point qui agace les associations de défense animale.
« Dans ces comités, il n’y a aucun représentant de méthodes substitutives », dénonce Arnaud Gavard, militant et chargé de communication pour l’association de défense animale Pro-anima. « Nous pensons qu’il y a un vrai manque de volonté politique et même scientifique de voir se développer des méthodes nouvelles qui n’en sont qu’à leurs balbutiements, alors que l’espoir existe. Il faut mettre de l’énergie et de l’argent dans ces méthodes, plutôt que de manipuler des animaux de façon excessive », ajoute le militant.
« Il suffit de s’en donner les moyens »
Même son de cloche du côté de l’association Antidote Europe, qui milite pour une « science responsable » et pour la promotion de « méthodes plus modernes et plus fiables ». « Si on peut le faire en cosmétologie, on peut le faire en toxicologie. Il suffit de s’en donner les moyens », estime André Ménache, vétérinaire à la retraite et conseiller scientifique de l’association. « Pour six des huit tests à faire pour la toxicité des produits cosmétiques sans utilisation animale, on a déjà les réponses. Il n’en manque plus que deux. Il faut continuer à investir dans ces recherches pour que cela devienne réalisable », confirme François Busquet, directeur de la société Altertox, chargé de l’information des méthodes alternatives à l’expérimentation animale et ancien employé de l’Eurl-Ecvam (European Union Reference Laboratory for Alternatives to Animal Testing, soit le Centre européen de validation des méthodes alternatives) de la Commission européenne. Ce docteur en toxicologie n’hésite pas à citer comme modèle les Pays-Bas, qui auraient, à l’horizon 2025, l’objectif de supprimer totalement l’expérimentation animale dans le domaine de la toxicologie (domaine qui représente 10 % environ des expérimentations animales).
Il admet en revanche que ces solutions seraient difficilement transposables à la recherche fondamentale (41 % des animaux utilisés), qui consiste à étudier les mécanismes du vivant. « Il existe des solutions dans ces domaines, mais elles ne sont pas toujours à la hauteur des espérances », explique-t-il. Organoïdes [3], impression d’organes en trois dimensions, cellules souches pluripotentes, modélisation : ces techniques pourraient à terme offrir une alternative à la recherche animale.

Pour François Busquet, d’Altertox, la France serait « immobile » voire « en retard » en matière de développement de nouvelles méthodes. « Les investissements français ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. L’exemple des Britanniques, qui ont dépensé dans ce domaine près de 65 millions d’euros depuis 2004, rend flagrant le retard de la France, qui ne dispose que d’une représentation nationale (Francopa) fondée sur le bénévolat. »
Bruno Verschuere, du Gircor, n’adhère pas à cette analyse. « En France, il n’y a pas de budget dédié aux méthodes alternatives. Les financements sont accordés par l’Agence nationale de recherche (ANR) en fonction des projets de recherche. L’enveloppe est la même pour tous et les méthodes de substitution sont bien sûr encouragées », commente-t-il.
« Il ne suffit pas d’avoir une volonté politique et budgétaire pour résoudre le problème. Ce sont les avancées de la science qui décident, et il s’avère qu’à l’heure actuelle, la science n’a pas les solutions », ajoute Serge Braun, de l’AFM Téléthon.
NEUF SONDÉS SUR DIX FAVORABLES À L’UTILISATION DE MÉTHODES ALTERNATIVES « SI ELLES EXISTENT »
Selon un sondage réalisé par l’Ifop pour la fondation 30 millions d’amis le 6 et 7 février dernier, 90 % des personnes interrogées sont favorables à l’interdiction totale de toute expérimentation animale lorsqu’il est démontré que des méthodes substitutives peuvent être utilisées. Un résultat en progression de cinq points par rapport à 2003.
À L’ORIGINE DE LA RÉGLEMENTATION, LE PROCÈS DE NUREMBERG
Le procès de Nuremberg, tenu de 1946 à 1949 pour juger les criminels de la Deuxième Guerre mondiale, a été l’occasion de publier le Code de Nuremberg qui réglemente les expériences médicales réalisées sur l’homme. Dix règles ont été fixées. La troisième précise que toute expérience sera fondée sur les résultats de l’expérimentation animale (et non sur des sujets humains) et sur la connaissance de la maladie étudiée, et qu’elle sera justifiée par les résultats attendus.