François de Rugy : « Je suis pragmatique »

François de Rugy vient d’être nommé ministre de la Transition écologique et solidaire, mardi 4 septembre 2018. Nous l’avions rencontré en 2015. Entretien intéressant à relire.
Article initialement publié le 17 octobre 2015 - C’est avec trente minutes de retard, et injoignable à cause d’un téléphone « en rade », que le député de Loire-Atlantique s’est présenté au rendez-vous au Palais-Bourbon. « Je suis en plein déménagement de bureau, mon successeur (Cécile Duflot) tenait visiblement à occuper le même », se justifie-t-il en décochant la première flèche d’une longue série. François de Rugy a envie de parler. Tellement, qu’il en a décalé son train de retour à Nantes : « Parce que je tiens à ce que mes réponses soient précises et argumentées, même si je ne vous convaincs pas. » Tellement, qu’il en a oublié de payer son café.
Reporterre — Comment s’amorce la cohabitation avec Cécile Duflot, qui vous succède à la co-présidence du groupe écologiste à l’Assemblée nationale ?
François de Rugy — C’est une cohabitation dans le même groupe entre des personnes qui ont fait des choix politiques différents. Il fallait conserver un groupe écologiste. Et puis, il faut être 15 pour faire un groupe et nous sommes partagés en deux sous-groupes de neuf députés chacun. L’autre sous-groupe conteste que nous soyons « hors-EELV ». Mais les écologistes n’étaient pas regroupés à l’Assemblée sous le nom d’EELV : on n’a jamais voulu lier notre sort à un parti.
N’avez-vous pourtant pas été élu grâce à l’étiquette d’EELV ?
Je n’ai pas été élu grâce aux Verts. J’ai été élu député en 2007 dans le cadre d’un accord départemental Verts-PS. Et en 2012 grâce à un accord de majorité, également avec le Parti socialiste. Cette stratégie d’alliances a été rompue par EELV sans explication politique convaincante. Pas par moi. Je veux qu’on me reconnaisse de faire preuve de suite dans les idées. J’ai toujours été dans la même stratégie, depuis 24 ans que je suis engagé en politique : c’est l’écologie.
Une écologie que vous présentez donc comme « réformiste »
Pragmatique et responsable. Quand je me suis lancé en politique, en 1991, j’ai adhéré à Génération écologie. Pas aux Verts, qui défendaient le ni gauche ni droite et refusaient des accords majoritaires qui permettent d’exercer des responsabilités. Je suis écologiste, mais je me sens de gauche - plutôt de centre-gauche, d’ailleurs - et je pense que les écologistes doivent exercer des responsabilités sans attendre d’être majoritaires.

Pourquoi avoir rejoint les Verts ensuite, qui ont toujours eu des positions ancrées à gauche ?
J’ai adhéré aux Verts en 1997, quand ils ont accepté un accord avec le Parti socialiste et d’entrer au gouvernement. Vous dites que le parti est marqué à gauche… Mais alors pourquoi, aux élections départementales, y a-t-il des régions où EELV n’a pas choisi entre des candidats de gauche et de droite, voire entre des candidats de gauche et d’extrême-droite ? Dans un canton de ma ville de Nantes, il y a eu un duel PS – Front National. La candidate EELV, alliée par ailleurs au Parti de gauche, a refusé d’appeler à voter pour le candidat socialiste. Si c’est ça, être à gauche...
Mais il y a une confusion sur ce terme aujourd’hui, de quelle gauche parle-t-on ?
Quelqu’un de gauche, c’est d’abord quelqu’un qui se dit de gauche. Le deuxième critère, c’est d’appeler au rassemblement de la gauche. Ensuite, on peut avoir une définition plus philosophico-politique. Pour ma part, être de gauche c’est être pour la solidarité. Je défends une écologie solidaire. Car, contrairement à ce que certains affirment, on peut faire une écologie sans solidarité. Par exemple, on peut décider d’augmenter arbitrairement les prix de l’énergie pour lutter contre le réchauffement climatique. À la guerre comme à la guerre, et tant pis si des gens ont froid l’hiver si les émissions de CO2 baissent.
Cela ressemble à l’« écologie punitive » de Ségolène Royal…
Il y a une écologie autoritaire. Certains considèrent que nous sommes quasiment dans un état de guerre qui nécessite de telles décisions. Moi, je suis pour une écologie démocrate, qui passe par des compromis. C’est certes un peu plus long. Mais je préfère l’élection et les moyens légaux à la casse ou au sabotage.
« Mais parfois, on perd »
À qui pensez-vous ?
Aux zadistes, par exemple. Pas tous, parce que zadiste est devenu un terme-valise. Ou aux mouvements « ecowarrior ». Sur le Lyon-Turin, plutôt côté italien, des gens prônent l’action violente. Moi, je suis un démocrate. Et républicain aussi.
Au printemps, vous aviez dit : « Les zadistes ne sont pas ma famille politique. »
Je le confirme. Ils sont plus anars qu’écolos. J’ai encore eu un tag sur ma permanence cette semaine, « ZAD » avec un « A » comme ça [il mime le A cerclé, symbole anarchiste]. Et un peu plus loin, sur un autre immeuble, « ACAB » pour « All Cops are Bastards », « tous les flics sont des bâtards ». Ce tag était peinturluré partout lors de cette manifestation de février 2014 à Nantes qui a fait tant de dégâts. On a réussi à remonter la pente pour dire que la lutte contre le projet de Notre-Dame-des-Landes n’était pas ça.
Quels autres moyens a-t-on, sur un tel projet, face à la violence de l’appareil d’État ?
La voie démocratique. Les travaux n’ont toujours pas démarré alors que c’était prévu pour 2012. Parce qu’il y a eu un affrontement vigoureux sur le terrain, mais aussi parce que nous avons mené la bataille politico-juridique. Et nous continuons de la mener avec ce compromis trouvé : pas de travaux tant que les recours ne sont pas épuisés. Pourtant, la loi permettrait de les commencer avant la fin des recours. C’est la conjonction de l’action politico-juridique et citoyenne et de la mobilisation pacifiste qui permet d’espérer gagner. Mais parfois, on perd.
On perd souvent, en ce moment : la ferme des Bouillons, le grand stade à Lyon, le Lyon-Turin, la recrudescence de grands projets inutiles…
Mais des fois, on gagne. Souvenez-vous la lutte contre l’EPR au Carnet, près de Nantes, en 1996. On a manifesté pour s’opposer à la déclaration d’utilité publique signée par le premier ministre Juppé. Jospin a promis d’abandonner le projet s’il gagnait les élections législatives de 1997. Les Verts se sont alliés, ils sont entrés au gouvernement, et Jospin a abrogé le décret. C’est aussi l’action politique et institutionnelle qui fait changer les choses.
Mais l’EPR se fait finalement, quelques années plus tard, à Flamanville.
Parce que la droite a gagné les élections. Si Jospin avait été élu en 2002, Flamanville n’aurait pas été lancé.

Et l’écotaxe plus récemment, vous n’avez pas pu peser.
Je l’ai toujours dénoncé ! Heureusement, la loi n’a pas été abrogée.
Mais vous étiez au gouvernement, pourtant !
Si les écologistes gagnaient toujours alors qu’ils recueillent entre 5 et 10% des voix, ce serait étonnant d’un point de vue démocratique. Je suis écologiste depuis 24 ans, je suis payé pour savoir que l’écologie est un combat de tous les instants et qu’on ne gagne pas à tous les coups. Est-ce une raison pour abandonner le combat ? Je ne me dérobe pas par rapport aux responsabilités.
Mais pourquoi s’allier avec des forces politiques qui mènent des politiques que vous combattez ? Prenons l’exemple de la loi Macron.
La loi Macron a une portée minime. Qu’on me démontre, d’un point de vue écologique, social, économique ou démocratique, que ce serait une loi mauvaise. Je sais bien qu’on crie à la régression, mais objectivement…
Et la libéralisation des autocars ?
Je suis pour. C’est un transport en commun non subventionné. Si les cars sont vides, ils ne rouleront pas. Je soutiens le transport ferroviaire, mais il a connu un tel sous-investissement pendant des décennies…
Le meilleur moyen pour le relancer serait de le concurrencer par des autocars ?
Ça ne fait pas concurrence au train, ça fait surtout concurrence au covoiturage. En revanche, c’est une offre supplémentaire, là où le transport ferroviaire est défaillant.
« Je suis pragmatique »
Ce n’est pas en mettant des cars sur les routes qu’on va inverser la tendance d’un transport ferroviaire défaillant.
Les « cars Macron » ne sont pas responsables. C’est le résultat de choix politiques qui ont tout investi sur la route et désinvesti dans le ferroviaire. Mais, comme nous avons un réseau routier extrêmement développé, il faut l’utiliser. On ne va pas fermer les autoroutes non plus ! À court-terme, si on veut réduire le CO2 et changer les modes de déplacement, il faut d’abord développer des transports en commun sur la route. Comme le covoiturage, avec Blablacar. C’est bien, le covoiturage : quatre personnes plutôt qu’une dans une voiture.
Mais à quelques semaines de la COP21, c’est quand même difficile de tenir une telle position, non ?
Le car n’a pas forcément un impact plus négatif que certains trains.
Vous pouvez me dire qu’un Paris-Lyon en train, c’est moins écologique qu’en bus ?
Non, moi je suis pour le TGV, contrairement à beaucoup d’écologistes. Donc Paris-Lyon en TGV, c’est bien, en bus, c’est moins bien. Mais dites-moi pourquoi ça peut quand même répondre à un besoin ? Quelle est la différence entre le car et le TGV ?
Le prix
C’est une offre de transport en commun moins cher. Il faudrait que le train soit au prix du car Macron. Mais où trouver les subventions pour aligner ainsi le prix du billet TGV ?
Et la fin des subventions au diesel ?
On est en train de le faire. La hausse sur le gasoil sert à financer l’Agence française d’investissement pour les infrastructures de transport, dédiée essentiellement au ferroviaire.
La loi Macron, c’est aussi l’intrusion au dernier moment de Cigéo, le centre de stockage des déchets radioactifs...
Cigéo est typique d’un rapport de force politique devenant défavorable. C’est un vieux sujet, présent dans chaque négociation depuis des années. Tant que nous sommes au gouvernement, le projet ne se fait pas ! L’écologie ne consiste pas seulement à réaliser des choses, mais aussi à en empêcher des mauvaises. Quand nous étions au gouvernement, on a empêché les OGM, les gaz de schistes et Cigéo. Mais nous l’avons quitté. En politique, la stratégie et la tactique sont obligatoires. C’est de la négociation, du compromis, du donnant-donnant, comme dans la vie.
« C’est le principe de réalité »
Vous pensez retrouver du poids en lançant successivement Écologistes ! et l’UDE ?
Il fallait une clarification politique. Dans un premier temps, cela se paye par des divisions. EELV était devenu un conglomérat avec des lignes politique antagoniques, cela n’avait plus aucun sens.
Mais cela ne vous empêche pas de garder un groupe en commun à l’Assemblée nationale ?
C’est le principe de réalité. Quel serait le gain politique pour les écologistes à ne plus avoir de groupes à l’Assemblée ? C’est ce déni de réalités politique, économique et électorale qui caractérise EELV aujourd’hui.
Pourquoi alors créer deux mouvements distincts ?
Écologistes ! est un mouvement qui rassemble des déçus d’EELV. Son nom dit son projet : être écologiste avant tout. Puis, on a accepté de travailler dans une structure confédérale ouverte à des mouvements de centre-gauche et de sensibilité écologiste.
Vous y retrouverez vos anciens camarades de Génération écologie ?
Non, ils ont décidé de ne pas y participer. Ils veulent garder leurs liens avec le Parti radical. Ce n’est pas grave, les partis ne sont pas une fin en soi. On va s’adapter mais notre objectif est clair : s’inscrire dans la durée.
- Propos recueillis par Barnabé Binctin