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Climat

Gaz à effet de serre : la croissance folle

« Nous sommes loin d’être sur la bonne voie. » Le constat du bulletin annuel de l’Organisation météorologique mondiale est sans appel : le taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère progresse de façon alarmante. Résultats : de fortes températures et plus de phénomènes extrêmes sont à prévoir.

L’intensification de l’effet de serre, due aux émissions humaines de gaz à effet de serre (GES), est la principale cause du réchauffement climatique observé depuis un demi-siècle. Malheureusement, la concentration de ces gaz dans l’atmosphère continue d’augmenter de façon vertigineuse. C’est ce que révèlent les experts en météorologie de l’Organisation des Nations unies (ONU), dans leur bulletin annuel publié ce lundi 25 octobre.

« Ce bulletin contient un message scientifique brutal à l’intention des négociateurs du changement climatique à la COP26, a déclaré dans un communiqué Petteri Taalas, secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Au rythme actuel d’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre, nous assisterons d’ici la fin du siècle à une hausse des températures bien supérieure aux objectifs fixés par l’Accord de Paris. » « Nous sommes loin d’être sur la bonne voie », a déploré le professeur.

Dans l’atmosphère, plus ces gaz sont concentrés, plus ils piègent de chaleur et dérèglent le climat. Or, le bulletin montre qu’entre 1990 et 2020, le forçage radiatif — l’effet de réchauffement sur notre climat — des gaz à effet de serre à longue durée de vie a augmenté de 47 %.

Le plus important d’entre eux, le dioxyde de carbone (CO2), est responsable d’environ 66 % de l’effet de réchauffement sur le climat. Il provient principalement de la combustion de combustibles fossiles et de la production de ciment. Après avoir franchi le cap des 400 parties par million (ppm) en 2015, sa concentration dans l’atmosphère a atteint 413,2 ppm en 2020. Cela représente 149 % du niveau préindustriel. « La dernière fois que la Terre a connu une concentration comparable de CO2, c’était il y a 3 à 5 millions d’années, lorsque la température était de 2 à 3 °C plus élevée et que le niveau de la mer était de 10 à 20 mètres plus haut qu’aujourd’hui. Mais il n’y avait pas 7,8 milliards d’habitants à l’époque », a prévenu le professeur Taalas.

Les vagues de sécheresse sont l’une des conséquences de l’augmentation des gaz à effet de serre. Publicdomainpictures.net/CC0/Vince Mig

Des « répercussions négatives majeures »

L’augmentation du CO2 de 2019 à 2020 a été plus importante que le taux de croissance annuel moyen de la dernière décennie, et ce malgré la baisse d’environ 5,6 % des émissions de CO2 des combustibles fossiles en 2020 en raison des restrictions liées à la pandémie de Covid-19. Pire, les données des stations de surveillance montrent clairement que les niveaux de CO2 ont poursuivi leur hausse soutenue en 2021. En avril dernier, la concentration de CO2 enregistrée à Mauna Loa (Hawaï, États-Unis) avait dépassé trois fois les 420 ppm, un record qui n’avait pas été enregistré depuis cinq millions d’années.

« Étant donné la longue durée de vie du CO2, le niveau de température déjà observé persistera pendant plusieurs décennies, même si les émissions sont rapidement réduites à un niveau net nul », s’inquiètent les scientifiques dans leur bulletin. Outre l’augmentation des températures, observent-ils, cela signifie davantage de phénomènes météorologiques extrêmes, notamment des chaleurs et des précipitations intenses, la fonte des glaces, l’élévation du niveau de la mer et l’acidification des océans, accompagnés d’impacts socio-économiques de grande ampleur. Des « répercussions négatives majeures sur notre vie quotidienne et notre bien-être, sur l’état de notre planète et sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants », a résumé le professeur Taalas.

Fraction molaire de CO2 moyen à l’échelle mondiale et sa croissance taux de 1984 à 2020. Bulletin annuel de l’OMM

Les experts de l’OMM indiquent aussi que la concentration de méthane (CH4), responsable d’environ 16 % de l’effet de réchauffement des gaz à effet de serre à longue durée de vie, a augmenté de 262 % par rapport au niveau préindustriel. L’augmentation enregistrée de 2019 à 2020 s’est avérée supérieure au taux de croissance annuel moyen de la dernière décennie. Une information inquiétante, car le méthane est un gaz à effet de serre très puissant, souvent qualifié de « bombe climatique » : si le méthane est le deuxième gaz à effet de serre en quantité dans l’atmosphère, après le CO2, il a un effet de réchauffement vingt-huit fois plus important que ce dernier, sur un horizon de cent ans.

Environ 60 % du méthane émis dans l’atmosphère provient de sources anthropiques, comme l’élevage de ruminants, la riziculture, l’extraction de combustibles fossiles, les décharges et la combustion de la biomasse. Le reste est émis par des sources dites « naturelles », comme les zones humides et les termites, mais celles-ci sont également très perturbées par le changement climatique anthropique. De sorte qu’« il est compliqué de savoir quelle part des émissions on peut attribuer à des activités humaines ou à des processus naturels », expliquait à Reporterre Marielle Saunois, enseignante-chercheuse au LSCE [1], à l’occasion de la parution d’une analyse du Global Carbon Project (GCP) en juillet 2020.

L’oxyde nitreux (N2O), puissant gaz à effet de serre et produit chimique destructeur d’ozone, représente environ 7 % du forçage radiatif des gaz à effet de serre à longue durée de vie. Émis, notamment, par la combustion de la biomasse, l’utilisation d’engrais azotés et de fumier, sa concentration a atteint 333,2 parties par milliard (ppb) en 2020, soit une augmentation de 1,2 ppb par rapport à 2019. L’augmentation annuelle de 2019 à 2020 était supérieure à celle de 2018 à 2019 et également supérieure au taux de croissance moyen des dix dernières années (0,99 ppb par an).

Des « changements nécessaires »

Les experts en météorologie de l’ONU se préoccupent également de l’état des « puits de carbone », les océans et les écosystèmes terrestres qui absorbent la moitié de nos émissions de gaz à effet de serre et évitent une concentration encore plus massive de ces gaz dans l’atmosphère. Or, selon les scientifiques, « la capacité des écosystèmes terrestres et des océans à agir comme des “puits” pourrait devenir moins efficace à l’avenir, réduisant ainsi leur capacité à absorber le dioxyde de carbone et à agir comme un tampon contre une augmentation plus importante de la température ».

En effet, si les puits de CO2 terrestres et océaniques ont augmenté proportionnellement à l’augmentation des émissions au cours des soixante dernières années, ces processus d’absorption sont sensibles aux changements de climat et d’utilisation des terres. La fréquence accrue des sécheresses et la multiplication des incendies de forêt pourraient réduire l’absorption de CO2 par les écosystèmes terrestres. Le bulletin observe notamment que l’absorption de gaz par les océans pourrait être réduite en raison de l’augmentation des températures à la surface de la mer.

À une semaine de la COP26, qui se déroulera à Glasgow, le professeur Taalas espère « une augmentation spectaculaire des engagements », mais surtout « des actions qui auront un impact sur les gaz à l’origine du changement climatique » : « Nous devons revoir nos systèmes industriels, énergétiques et de transport, ainsi que l’ensemble de notre mode de vie. Les changements nécessaires sont économiquement abordables et techniquement possibles. Il n’y a pas de temps à perdre. »

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