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Sciences

L’ADN environnemental, fascinante technique pour découvrir des espèces marines

Détecter des espèces rares, voire nouvelles, dénombrer la biodiversité des côtes... L’analyse de l’ADN des espèces marines retrouvé dans l’eau est une technique prometteuse. Ses premiers résultats emballent les écologues.

Étudier la biodiversité marine dans une Méditerranée affranchie d’activités humaines, l’occasion était inespérée pour les écologues marins. Lors du premier confinement, en mai 2020, branle-bas de combat au laboratoire de recherche marine Marbec, qui a alors mis en place le suivi de la biodiversité du littoral méditerranéen avec l’ADN environnemental. Grâce à l’analyse des fragments d’ADN présents dans l’eau, l’équipe a pu identifier les espèces passées par là. De nouvelles espèces se sont-elles aventurées sur les côtes en l’absence des humains ? Les résultats sont sans équivoque.

« L’analyse des échantillons d’eau de mer pendant le confinement montre qu’il y a un tiers d’espèces en plus sur le littoral que lors des précédents relevés. Une proportion qui grimpe à 50 % dans les réserves marines », nous confie David Mouillot, directeur de recherche à Marbec. « Si l’augmentation de la biodiversité pendant le confinement a été largement commentée, peu d’études ont pu quantifier cette augmentation », remarque sa collègue Julie Deter.

Mais cet afflux de biodiversité a été fugace. L’analyse des échantillons deux mois plus tard, en juillet 2020, montre que le pic de biodiversité a disparu. L’hypothèse est que les espèces trouvent refuge en s’éloignant des côtes, mais reviennent si elles ne sont plus dérangées. Avec ces relevés, les chercheurs se félicitent surtout d’avoir un état de référence écologique, pas facile à établir dans une des mers les plus fréquentées au monde.

75 % des génomes répertoriés

Ces résultats — en cours de publication scientifique — sont les plus récents obtenus avec l’ADN environnemental. Arrivée avec l’automatisation du séquençage du génome, la technique repose sur l’analyse d’ADN filtré dans de l’eau. Sachant que les espèces vivantes libèrent des fragments d’ADN qui se baladent dans l’eau une douzaine d’heures avant d’être dégradés. Chaque séquence d’ADN récupérée est décodée, puis comparée avec une base de données des génomes des espèces afin de l’identifier. Éprouvée en eau douce, cette technique est appliquée depuis 2016 au milieu marin par David Mouillot. Avec son équipe, il a constitué une base de référence pour la Méditerranée qui compte aujourd’hui 75 % des génomes sur les 600 espèces de poisson répertoriées. « On devrait atteindre 85 % à automne », précise l’intéressé.

Précurseur, David Mouillot ne tarit pas d’enthousiasme sur les possibilités ouvertes par cette technique pour étudier l’immensité des océans et sa faune si difficile à observer. Et ce, sans prélever les espèces, ni perturber le milieu. « Cette technique va aussi permettre d’étudier la faune là où l’on ne peut pas envoyer de plongeurs, à plusieurs centaines de mètres de fond », complète-t-il.

Une équipe internationale a parcouru les océans tropicaux durant deux ans afin de filtrer et séquencer l’ADN environnemental laissé par les poissons dans l’eau. Elle a détecté une diversité en poissons récifaux plus élevée de 16 % que celle obtenue avec les techniques conventionnelles d’observation. Pixnio/CC0/christels

L’idée d’utiliser l’ADN environnemental pour ses recherches lui est venue alors qu’il étudiait les requins de Nouvelle-Calédonie, où plusieurs espèces ont disparu des côtes de l’archipel. Voyant la différence de comportement des requins dans les sites isolés et sur les côtes habitées, où les squales sont beaucoup plus furtifs, l’écologue a eu l’intuition que les observations à l’aide d’appâts ne suffisaient pas à recenser les grands prédateurs.

Publiés en 2018 dans Science Advances, les premiers résultats de la recherche d’ADN de requins dans les eaux calédoniennes ont montré la présence sur les côtes de plusieurs espèces que l’on croyait disparues. « Avec seulement vingt-deux échantillons d’eau collectés en quelques jours, l’ADN environnemental a révélé la présence de 13 espèces de requins, alors qu’avec presque 3 000 plongées et 400 stations de caméras appâtées collectées en plusieurs années nous n’avons pu observer que 9 espèces », défendait alors Germain Boussarie, premier auteur de l’étude, dans un communiqué. L’ADN environnemental enregistrait ses premières lettres de noblesse pour l’étude du milieu marin.

Localiser des espèces rares

Si les perspectives de connaissance qu’ouvre l’ADN environnemental fascinent les chercheurs, elles intéressent aussi les services de l’État et les gestionnaires de la biodiversité. L’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse soutient ainsi les travaux de Marbec en Méditerranée depuis le début de l’aventure.

Depuis 2020, l’agence a ajouté l’analyse de l’ADN à ses 120 sites de surveillance du littoral (répertorié sur la plateforme Medtrix). Pourtant, les premiers résultats obtenus en Méditerranée pour comparer la biodiversité entre l’intérieur et à l’extérieur des réserves marines à fort niveau de protection auraient pu la braquer. Publiée en mars 2021, une étude qui associe notamment Marbec et le Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (Cefe) montre que la biodiversité autour des réserves marines est plus forte qu’à l’intérieur ! Un résultat allant à l’inverse de l’effet « réserve » observé par les conservationnistes : selon les relevés de pêche, les réserves concentrent plus de poissons et d’espèces qu’en dehors.

« C’est toute la partie invisible des écosystèmes marins qu’on peut recenser. »

La raison de ce paradoxe est la présence en dehors des réserves de nombreuses petites espèces de fond, comme les gobies, qui s’accommodent de l’absence de prédateurs et de la présence plus importante de déchets. « Ce sont deux mondes différents, commente David Mouillot. Nos résultats ne remettent pas en cause l’effet des réserves sur l’état écologique du milieu. Mais ils interrogent les politiques de protection centrées sur les espèces emblématiques. Et ils poussent à utiliser d’autres indicateurs que la seule diversité des espèces. »

Les gestionnaires comptent aussi sur l’ADN environnemental pour améliorer la surveillance des espèces invasives comme le crabe bleu ou le poisson-lapin. Ou encore pour détecter des espèces menacées et ainsi mieux cibler les zones à protéger. Une étude lancée en Corse a par exemple permis de localiser sur plusieurs sites de la côte Est le requin ange de mer, une espèce rare très difficile à observer, car elle s’enfouit dans le sable.

75 % des génomes des 600 espèces de poisson identifiés en Méditerranée sont aujourd’hui répertoriés dans une base de données par l’équipe du laboratoire Marbec. Pixabay/CC/joakant

À moyen terme, la capacité de traitement des informations génétiques collectées dans l’eau laisse entrevoir des possibilités infinies. Comme l’étude de la diversité génétique au sein d’une même espèce. « On va pouvoir faire de la génétique des populations marines sans prélèvement », prédit David Mouillot. Son acolyte depuis les premiers essais de l’ADN environnemental en milieu marin, Tony Dejean, de Spygen, une société dédiée à l’analyse des échantillons, dit aussi que les analyses ne se cantonnent pas qu’aux poissons : « C’est aussi toute la partie invisible des écosystèmes marins qu’on peut recenser, comme les bactéries. »

« On va découvrir de nouvelles espèces encore jamais observées »

À l’occasion d’une journée de travail le 1er juin, les gestionnaires de la conservation ont pourtant rappelé aux chercheurs les limites de leur nouvelle marotte. D’abord parce que la mer n’est pas un lac : la dilution forte de l’ADN dans l’océan complique la collecte des preuves. Les méthodes de prélèvement essaient de contourner cette faiblesse, en filtrant 30 litres d’eau pendant un trajet de trente minutes pour réaliser un seul échantillon.

Autre limite, si la méthode détecte la présence d’espèces, elle ne permet par contre pas de mesurer l’abondance des poissons. « De nombreuses recherches essaient d’utiliser l’ADN environnemental pour quantifier le nombre d’individus ou la biomasse. Mais les travaux de notre thésard Loïc Sanchez montrent qu’il n’y a pas nécessairement d’équivalence entre la quantité de brins d’ADN collectés et la quantité de biomasse », reconnaît David Mouillot.

Autre question soulevée par ceux qui vont sur le terrain suivre la biodiversité, les données sur les espèces identifiées par la technique de l’ADN environnemental sortent pour eux d’une boîte noire. Les résultats des analyses d’ADN reposent en effet sur le travail de Spygen. Adossée à la recherche publique, l’entreprise s’est construit une réputation fiable. Et si la société conserve les échantillons d’ADN, les bases de références d’ADN marin appartiennent aux laboratoires publics de recherche. Mais pour les gestionnaires, il y a néanmoins un transfert de compétences et de moyens vers les entreprises de séquençage du génome.

La technique n’a pourtant pas fini de faire rêver. « Certains brins d’ADN collectés ne correspondent à aucune base référencée... Dans les grands fonds, on va découvrir de nouvelles espèces encore jamais observées ! » s’enthousiasme David Mouillot, dont l’équipe met en place des systèmes pour aller échantillonner de l’ADN au-delà de 1 500 mètres sous la mer.

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