L’Autorité de sûreté nucléaire valide l’EPR de Flamanville malgré ses défauts

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NucléaireLe gendarme du nucléaire a repris quasiment mot pour mot son avis provisoire de juin. Il exige des contrôles réguliers du fond de cuve et un remplacement du couvercle avant fin 2024. Les associations dénoncent une décision inacceptable.
C’est le dernier épisode d’un feuilleton démarré fin 2014. Mercredi 11 octobre, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a validé définitivement la cuve de l’EPR de Flamanville (Manche), malgré ses anomalies. Une étape cruciale avant le feu vert définitif et le démarrage du réacteur. « L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service et l’utilisation de celle-ci », a ainsi déclaré le gendarme du nucléaire dans un avis daté du 10 octobre 2017.
Cette décision vient confirmer un premier avis provisoire rendu le 28 juin dernier. D’ailleurs, l’avis définitif soumet la mise en service de l’EPR aux mêmes conditions que celles énoncées l’été dernier : obligation de contrôler le fond lisse de la cuve une fois tous les dix ans pour contrôler l’apparition de fissures ; et remplacement du couvercle, qui ne peut pas être contrôlé efficacement à cause de toutes les tubulures et les instruments qui le traversent, avant le 31 décembre 2024.
Fin 2014, Areva avait signalé à l’ASN que les calottes en acier du couvercle et du fond de cuve de l’EPR de Flamanville, forgées en 2006 et 2007 aux usines du Creusot, présentaient une concentration anormalement élevée en carbone. Un défaut susceptible d’amoindrir la ténacité de l’acier, donc sa résistance à la propagation de fissures, et d’accroître le risque de rupture de la cuve – un scénario tellement catastrophique qu’il n’est pas envisagé dans les hypothèses de sûreté. A ce moment-là, la cuve défectueuse avait déjà été descendue dans le bâtiment réacteur.
Areva a alors réalisé une série de calculs et de tests supplémentaires pour convaincre le gendarme du nucléaire que la cuve était apte au service malgré cette anomalie. Les résultats de ces tests ont été examinés début 2017 par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et par le groupe permanent d’experts pour les équipements nucléaires sous pression (GPESPN), sur lesquels l’ASN s’était appuyée pour rendre son avis provisoire.
Avant d’accorder sa validation définitive, l’ASN a en outre consulté pendant l’été le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques et ouvert une consultation au public sur son site internet du 10 juillet au 12 septembre 2017, laquelle a recueilli plus de 13.000 commentaires.
« L’ASN est-elle vraiment indépendante ? »
Contacté par Reporterre, Areva NP, qui était en charge de la fabrication de ces calottes et de la réalisation de tous les tests, n’a pas souhaité commenter l’avis définitif de l’ASN. EDF, de son côté, a indiqué à Reporterre que sa position n’avait pas évolué depuis l’avis provisoire rendu par l’ASN en juin 2017. « S’agissant du couvercle, EDF prend acte de la demande de l’ASN de prévoir son remplacement d’ici fin 2024, pouvait-on lire dans un communiqué publié par l’électricien le 29 juin 2017. Le coût direct de ce remplacement s’élève à environ 100 millions d’euros. En parallèle, les équipes d’EDF se mobilisent pour développer une méthode de suivi en service permettant de démontrer que le couvercle conserve ses qualités dans la durée. »
Pour Martial Château, du réseau Sortir du nucléaire, la décision de l’ASN est « scandaleuse » : « Cette idée de remplacement du couvercle avant fin 2024 est délirante. A partir du moment où le réacteur sera mis en service, la pièce deviendra radioactive, son changement sera plus coûteux et on se retrouvera avec un énorme déchet nucléaire sur les bras. »
Selon lui, cet avis témoigne de pressions exercées sur le gendarme du nucléaire. « Je suis étonné que cette décision intervienne si vite alors que mi-septembre l’ASN avait annoncé qu’elle avait besoin de temps pour examiner les 13.000 remarques recueillies pendant la consultation publique et qu’elle ne rendrait son avis définitif qu’en décembre, s’interroge-t-il. Je pense que cette précipitation est liée au chantage exercé par la Commission européenne, qui a conditionné la recapitalisation d’EDF et Areva à la validation de la cuve. L’ASN est-elle réellement indépendante ? On peut se poser la question. » D’autres éléments auraient pu rentrer en ligne de compte : le projet de construction de deux EPR à Hinkley Point, en Angleterre, qui aurait été compromis en cas d’échec du chantier de l’EPR de Flamanville ; et le risque d’un contentieux avec la Chine, dont les deux EPR de Taishan ont été équipés de cuves similaires à la cuve de l’EPR de Flamanville – et qui sont donc susceptibles de présenter le même défaut.
Bientôt de nouveaux recours en justice ?
Stéphane Lhomme, fondateur et président de l’Observatoire du nucléaire, avait lancé une procédure en référé contre l’ASN, EDF et Areva pour empêcher en urgence la validation de la cuve. Il dénonce également une décision « inadmissible, injustifiable » : « L’ASN s’est précipitée pour imposer sa décision avant le résultat de la procédure qu’on a entamée devant la justice [le délibéré est prévu pour le 31 octobre, NDLR]. Elle bafoue ses propres préconisations. Cela montre qu’elle est soumise aux intérêts des industriels. Il faut maintenant que la justice montre qu’elle est indépendante des contingences économiques et industrielles et qu’elle prenne la décision nécessaire. » Il envisage de nouvelles poursuites si la juge judiciaire ne suspendait pas la décision de l’ASN. Quand au réseau Sortir du nucléaire, « il étudie la possibilité d’un recours », a assuré Martial Château.
EDF prévoit de démarrer l’EPR fin 2018, pour une mise en service commerciale en 2019. Le calendrier initial tablait sur 2012. Le coût du réacteur a entretemps plus que triplé, passant à 10,5 milliards d’euros.
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