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Agriculture

L’agriculture intensive, première responsable du déclin des oiseaux

L'agriculture intensive est plus néfaste pour les oiseaux que le réchauffement de la température ou l’étalement urbain.

L’usage de pesticides et d’engrais est la principale menace à laquelle sont confrontés les oiseaux européens, montre une étude publiée le 15 mai.

Sur le funeste podium des tueurs d’oiseaux, l’agriculture intensive tient la première place. Une étude, publiée le 15 mai dans la revue de l’Académie des sciences des États-Unis (PNAS), en fait la démonstration. Réalisée par une cinquantaine de chercheurs internationaux, elle révèle que l’intensification des pratiques agricoles est la principale responsable du déclin des populations d’oiseaux en Europe, devant le réchauffement climatique, l’urbanisation et la modification des forêts.

En moins de quarante ans, l’abondance des oiseaux communs en Europe a diminué d’un quart, selon les estimations de l’équipe de scientifiques. Cela représente environ 800 millions d’individus. « C’est assez marquant. D’autant que l’on sait qu’il y a déjà eu un déclin avant 1980 », commente auprès de Reporterre l’un des principaux auteurs de cette étude, Stanislas Rigal. L’agriculture a joué un rôle déterminant dans cette hécatombe.

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont étudié l’évolution, entre 1980 et 2016, de l’abondance de 170 espèces d’oiseaux européens, ainsi que celle des principales pressions — l’agriculture intensive, le réchauffement de la température, l’étalement urbain, le changement de la couverture forestière — auxquelles nos camarades à plumes sont confrontés. Des données provenant de plus de 20 000 sites à travers vingt-huit pays ont été passées à la loupe. « Ce qui est novateur, c’est que nous avons pu regarder dans le détail ce qui se passait, année après année, pour les espèces et les pressions, et comparer l’effet relatif de ces dernières », dit Stanislas Rigal.

L’agriculture intensive s’est révélée être la plus néfaste des quatre. Les pesticides réduisent en effet l’abondance des insectes, dont un grand nombre d’oiseaux ont besoin pour s’alimenter. « C’est notamment le cas pendant le nourrissage des jeunes. S’ils manquent de ressources à ce moment-là, la population peut décliner en conséquence. » Les semences enrobées de pesticides peuvent également être ingérées par les espèces granivores. Quant aux engrais, ils polluent les nappes d’eau souterraines et de surface, « ce qui a un impact sur la qualité de l’ensemble de l’environnement, y compris sur les oiseaux ».

Depuis 1980, le nombre de bruants ortolans a chuté de 93 %. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Pierre Dalous

93 % des bruants ortolans ont disparu depuis 1980

Au-delà de la question des intrants chimiques, les scientifiques sont parvenus à montrer que l’augmentation de la taille des fermes avait eu des effets catastrophiques sur la faune aviaire. « Plus on a de grandes fermes, plus les populations d’oiseaux ont des tendances négatives, et inversement », indique Stanislas Rigal. Les insectes dont se nourrissent les oiseaux ont en effet plus de difficultés à trouver des ressources dans les immenses plaines en monoculture que dans les paysages diversifiés et entrecoupés de haies, typiques des systèmes paysans.

Certaines espèces ont particulièrement souffert de l’essor de l’agriculture intensive. Les chiffres sont pétrifiants : en trente-sept ans, l’abondance du bruant ortolan a diminué de 93 % à travers le continent ; celle du pipit rousseline, de 75 % ; l’emblématique alouette, de 58 %. Même les espèces migratrices ou forestières — qui vivent pourtant à bonne distance des champs — ont été affectées, signale l’étude.

La mésange boréale a perdu 80 % de son effectif depuis 1980. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Francis C. Franklin

Aux ravages des pesticides et des engrais se greffent ceux du changement climatique et de l’urbanisation. Si leurs effets sont moins marqués que ceux de l’agriculture intensive, ils n’en restent pas moins négatifs. Même si l’augmentation des températures a profité à quelques espèces méridionales — comme le guêpier —, le réchauffement affecte durement les espèces du nord de l’Europe, comme la mésange boréale. Depuis 1980, l’abondance de ce petit passereau à la jolie tête noire a reculé de 80 %. L’urbanisation du continent a, elle aussi, globalement, nui à nos compagnons ailés. L’augmentation des surfaces forestières observée au cours des dernières années en Europe ne parvient pas à inverser la tendance.

Premier levier d’action

Cette étude devrait, selon Stanislas Rigal, faire office de signal d’alarme : « Ce qu’elle montre, c’est que l’intensification de l’agriculture a l’impact le plus important sur les populations d’oiseaux. C’est probablement le premier levier sur lequel il faut agir. Il faut diminuer drastiquement les utilisations de pesticides et d’engrais. »

Si le chercheur espère que la future réforme de la politique agricole commune (PAC) prendra ces résultats en compte, force est de constater que les alertes des scientifiques auprès des dirigeants sont, pour le moment, restées lettre morte. « On sait depuis le début des années 2000 que les activités agricoles ont un impact sur les oiseaux, mais on n’a pas eu, derrière, d’évolution de la réglementation », déplore-t-il.

Ces deux dernières années, la France a, par exemple, usé de tous les stratagèmes législatifs possibles pour retarder l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes, dont les effets délétères sur la biodiversité sont pourtant prouvés. « Ce ne sont pas les agriculteurs qu’il faut pointer du doigt, insiste le scientifique. C’est le modèle dans lequel on les a enfermés. »

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