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L’information est aussi un terrain de lutte, affirment les médias libres

Le mouvement écolo et alternatif l’oublie souvent : le système médiatique lui-même est aussi un terrain de lutte et d’alternatives. Des médias libres se sont retrouvés en Corrèze pour mettre en commun leur expérience. Reporterre y était.


-  Meymac (Corrèze), reportage

Meymac compte à peine trois mille habitants, mais elle possède tout de même deux gares. Et c’est la plus excentrée qui accueille le TER récupéré à Limoges, dans lequel Reporterre avait retrouvé ses amis de Basta !, également en provenance de Paris. Sur le quai, l’un des organisateurs, technicien son et image du week-end, nous attendait avec une pancarte de l’événement montrant un poing tendu vers le ciel, allégorie de la lutte. « Vous venez libérez les médias ? » demande-t-il d’un sourire complice. Affirmatif. Nous embarquons dans la camionnette, direction le cinéma qui accueillera pendant trois jours, du 23 au 25 mai les "Rencontres nationales des médias libres et du journalisme de résistance".

Sur le chemin, on découvre une charmante bourgade que domine l’Abbaye Saint-André. Attraction architecturale du XIIe siècle, celle-ci héberge depuis 1979… un Centre d’Art Contemporain. La surprise – bien parisienne – d’un tel lieu culturel en plein campagne laissera place, plus tard, à l’enchantement de l’exposition actuelle, « Japon ». Tout au long des cinq étages en pierre, on peut contempler les œuvres d’artistes japonais qui évoquent « l’omniprésence de la catastrophe naturelle dans l’histoire du pays, qu’est venue rappeler Fukushima plus récemment. La culture japonaise doit se comprendre à l’aune de cette tentative de dépassement du risque naturel, de cette recherche de la résilience », nous explique Jean-Paul Blanchet, commissaire passionné de cette exposition.

Ouvrant par le sud le célèbre plateau des Millevaches, la région est un haut-lieu de la résistance durant la Seconde guerre mondiale. Y discuter de celle de quelques médias français, aujourd’hui, n’était donc pas le dernier des symboles. En organisant ces rencontres des médias libres à Meymac, grâce au soutien logistique et financier de la mairie – l’une des rares à être passées à gauche lors des dernières municipales –, une autre intention était de rappeler que tout ne se joue pas à Paris.

Et pour cause, les médias présents à cet événement offraient une belle vue de l’hexagone, venant de Nantes – La lettre à Lulu – comme de Marseille – Le Ravi – en passant par la Franche-Comté, où siège Lutopik. Tous ont discuté durant le week-end des conditions de leur exercice, difficiles, précaires, incertaines.

Il fut question d’éducation populaire et de sensibilisation du grand public ; des conditions de diffusion et de l’évolution défavorable des agréments CPPAP (commission paritaire des publications et agences de presse) ; de l’uniformisation des messages dans les grands médias dominants – ce que Peter Watkins dans un extrait documentaire diffusé le vendredi soir conceptualise sous le terme de « monoforme » pour décrire la production audiovisuelle contemporaine ; du projet de loi Culture et création et d’un futur Hadopi ; de la difficulté pour l’écologie à se frayer un chemin dans la pensée dominante du journalisme actuel ; de la place des femmes, etc.

Il fut question de tout ce qui peut faire aujourd’hui obstacle à un média dans son entreprise journalistique et éditoriale. Car c’est bien le dénominateur commun qui rassemblait la trentaine de médias représentés : la volonté de travailler librement l’information, de faire vivre un journalisme différent et de mener cette activité en toute indépendance.

L’indépendance. Cette notion et les débats qu’elle suscite ont mis en lumière les lignes de partage qui distinguent tous ces participants réunis. Derrière l’épineuse question de la subvention – accepter l’argent public entraîne-t-il une perte d’indépendance ? – se cache celle du modèle économique – recettes par la vente ? par le don ? – du statut de la structure – association, coopérative, SARL ? – et plus encore, celle de la vocation professionnelle, ou non, de cette activité journalistique. A toutes ces questions essentielles s’agrègent les différences de support (presse, web, radio, télé), de rythme (quotidien, hebdomadaire, mensuel, trimestriel), de thématiques (informations générales, spécialisées, satiriques) ou d’ambitions territoriales – certains traitent une information locale quand d’autres revendiquent une ambition nationale – qui donnaient ainsi à voir un ensemble très hétéroclite.

Le problème n’est pas nouveau. Dans un article daté de 2007, Benjamin Ferron note que le monde « altermédiatique » fait « l’objet de définition et d’approches très variables ». Comment dès lors se structurer collectivement ? Autour de quelle matrice commune ?

Le choix de la terminologie aura cristallisé les échanges du dernier jour. Comment dénommer ce mouvement : doit-on utiliser le terme alternatif pour se désigner ? Le représentant d’Acrimed propose l’appellation de « médias tiers-secteur » : ni privé, ni public. Ces médias-là n’appartiennent pas à de grands capitaux privés mais ne dépendent pas plus de l’argent de l’Etat. Et pourquoi pas « médias pas pareils », dans la continuité du premier appel lancé par le Ravi en septembre, autour de la « PPP », la presse pas pareille ?

En attendant de trancher le débat, une coordination permanente des médias libres a déjà vu le jour. Et s’est doté, dans le prolongement des rencontres, d’un site internet et d’une plateforme de débat interne. A court-terme, elle publie un premier texte, sorte de manifeste, avec les premiers signataires qui s’engagent dans l’aventure. Reporterre en est. Le processus est enclenché. Et pour des passionnés de l’information, la principale réside bien là : solidarité et convergence des luttes ne sont plus simplement des objets de travail pour les médias libres, indépendants ou alternatifs. Ce sont aussi désormais leur réalité collective.

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