La France insoumise veut s’enraciner dans l’écologie et dans les quartiers populaires

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PolitiqueLa France insoumise a réussi son rendez-vous de rentrée. Avec deux axes majeurs : s’affirmer comme le parti de l’écologie et comme celui des quartiers populaires. Mais à court terme, tout l’effort portera sur la lutte contre la loi Travail.
- Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage
Une franche bonne humeur a régné pendant quatre jours sur le campus de la faculté Saint-Charles à Marseille : près de trois mille membres ou sympathisants de La France insoumise s’y sont retrouvés du jeudi 24 août au dimanche, pour une université d’été et de rentrée. Sous le soleil, et surtout dans les amphithéâtres ou salles toujours pleins, conférences et débats se sont succédés. Pour former les militants, tel Antoine, qui a passé quatre ans dans la gendarmerie - (« Ce n’était pas aussi éthique que je le pensais ») - avant de commencer des études d’expert-comptable. « Trois mois avant les élections, je ne connaissais pas Jean-Luc Mélenchon. On disait que c’était ’l’extrême-gauche’, donc il ne fallait pas y faire attention. Depuis, j’ai appris... » Pour Christian Causse, militant plus aguerri de Lozère, ces rencontres « sont aussi le moyen de voir tous ceux avec qui on échange dans l’année par internet. C’est bien de voir qui est derrière le mel ! ».
Entre les débats sur la loi travail, la mobilisation de la jeunesse, la privatisation de la culture ou l’état d’urgence, les thèmes écologiques étaient bien présents : des stratégies du climat à l’analyse du cas Hulot, des compteurs Linky à l’alimentation équilibrée, le programme marquait l’inscription de l’écologie dans l’ADN du mouvement qui se veut la première opposition au président Macron. « L’écologie n’est pas un secteur à part, dit Mathilde Panot, député de l’Essonne et qui suivra les dossiers d’environnement à l’Assemblée avec Loïc Prud’homme, député de la Gironde. On ne peut pas délier inégalités et écologie, démocratie et écologie. »
- Mathilde Panot : « L’écologie n’est pas un secteur à part. »
La greffe prend-elle ? « Ce n’est pas une greffe, s’exclame Loïc Prud’homme, élu dans la circonscription de... Noël Mamère. On a agrégé sur l’alliance vert-rouge. Les jeunes insoumis nous rejoignent parce qu’on est sur l’écologie - et c’est aussi mon cas. La France insoumise grandit parce qu’elle est écologiste. » Et Corinne Morel Darleux, conseillère régionale en Auvergne-Rhône-Alpes, de souligner que « la campagne de Jean-Luc avait démarré à Toulouse sur l’alimentation non carnée et sur le quinoa ».
La question écologique, d’ailleurs, revient fréquemment dans les propos du leader du mouvement. Dans son discours de dimanche 27 août, Jean-Luc Mélenchon a ainsi déclaré : « C’est un nouvel humanisme qui est le nôtre, car au lieu de se proposer de dominer la nature, il propose d’être en harmonie avec elle, c’est-à-dire de faire coïncider les cycles de la prédation humaine avec les cycles de la reconstitution naturelle. C’est ce nouvel humanisme dont nous sommes le parti. »
Cette démarche peut-elle convaincre les écologistes « historiques » d’Europe Ecologie Les Verts, qui se réunissaient au même moment à Dunkerque ? Certains d’entre eux, comme Patrick Jimena, conseiller municipal de Colomiers (Haute-Garonne), le pensent : « Il faut construire ensemble, il faut qu’EELV rejoigne la France insoumise, dit-il. Celle-ci est un mouvement en construction, tout est à créer. Il y a une vraie opportunité pour EELV, pour les humanistes, la catalyse est vraiment possible aujourd’hui. »
- Patrick Jimena : « Il faut qu’EELV rejoigne la France insoumise. »
Mais d’autres sont plus réservés, comme Isabelle Attard, ex-député du Calvados, et qui avait réussi à réunir sur sa candidature La France insoumise, EELV, et le PC, comme François Ruffin. « Toutes les têtes du Parti de gauche ont-elles tourné la page des vieux schémas ?, s’interroge-t-elle. On reste dans un système très vertical, alors que les mouvements citoyens, la société civile, aspirent à l’horizontalité. »
Quartiers populaires : une clé de la "révolution citoyenne"
- Le débat sur les quartiers populaires : de gauche à droite, Eric Coquerel, Pascal Troadec, Sarah Soilihi et Youcef Brakni.
Dans une autre direction, La France insoumise cherche à se renforcer dans les quartiers populaires. C’est clairement apparu dans un passionnant débat sur « La mobilisation politique dans les quartiers populaires ». Il a été marqué par l’intervention très forte de Youcef Brakni, du Comité vérité et justice pour Adama Traoré : rappelant la longue liste de meurtres impunis par la police de jeunes (ou moins jeunes) des banlieues - « Cela fait quarante ans que policiers et gendarmes tuent des Noirs et des Arabes » -, il a interpellé la salle bondée : « Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas la priorité du mouvement de gauche : il y a des morts ! » De son côté, Mohamed Bensaada, de l’association Quartiers nord, quartiers forts, a posé le débat en d’autres termes : « Le but est-il de faire des quartiers un réservoir de voix ou de poser les jalons d’une véritable révolution citoyenne ? »
A quoi Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, a répondu sans ambiguïté : « Les 600.000 voix qui ont manqué à Jean-Luc Mélenchon pour gagner les présidentielles sont dans les quartiers populaires. Il ne peut pas y avoir de victoire politique de ce que nous proposons si on n’a pas l’appui des classes populaires. » Et de promettre qu’aux élections municipales de 2020, « il faut que les candidats du 93 aient la couleur de peau des gens qui vivent dans le 93. »
Sur la question des violences policières, M. Coquerel a poursuivi : « Il faut dissoudre les BAC [brigades anti-criminalité], imposer le récépissé de contrôle d’identité, revoir la formation des policiers. »
Un discours bien accueilli par Youcef Brakni, comme il l’a indiqué à Reporterre après le débat : « J’ai été heureux d’entendre cela. Mais les quartiers doivent d’abord compter sur eux-mêmes. Aux prochaines élections, chez moi, à Bagnolet, nous présenterons une liste autonome, pour peser. »
- Youcef Brakni : « Les quartiers doivent d’abord compter sur eux-mêmes. »
Mélenchon appelle à "déferler" le 23 septembre contre la loi Travail
Si l’enracinement dans l’écologie et dans les quartiers populaires sont des axes stratégiques de La France insoumise, le court terme voit la bataille s’engager contre la loi Travail : « C’est un coup d’Etat social, a affirmé Jean-Luc Mélenchon dans son discours de dimanche. Une vague dégagiste va reprendre et s’amplifier. Vous n’avez jamais rien obtenu qu’en luttant. Déferlez le 23 septembre ! »
Ce rendez-vous est crucial pour La France insoumise, qui reporte à décembre sa prochaine convention prévue d’abord en octobre, afin de mobiliser toutes ses forces contre la loi Travail.