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Luttes

La mobilisation contre la « réintoxication du monde » est lancée

Mercredi 17 juin, des manifestations, des blocages et des occupations seront menées dans plusieurs lieux, en France, où des activités et des projets « toxiques » perdurent.

« Pendant le confinement, pour la première fois depuis le début de l’ère industrielle, la machine infernale s’est enrayée : des pans entiers du monde marchand ont été mis à l’arrêt, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué… Nous devons agir, sans plus attendre, pour qu’elle ne se relance pas de plus belle ! » tonne Benoît, habitant de la zone à défendre (Zad) de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).

Rassemblements, blocages, occupations… Mercredi 17 juin, une série d’actions sera menée aux quatre coins de la France pour éviter une « réintoxication du monde » dont les signes de reprise sont déjà bien visibles. Car si Emmanuel Macron s’est engagé à ce que « le monde d’après soit résolument écologique », tout est prêt pour que tout empire : comme l’a fait remarquer le Réseau Action Climat (RAC), le gouvernement a ouvert le « monde d’après » en finançant « des activités économiques à l’origine de la crise climatique sans contreparties écologiques et sociales fortes et contraignantes » et en n’apportant pas « l’argent nécessaire pour accélérer la transition écologique et baisser les émissions et les inégalités sociales ».

« Comme en Chine où les émissions reprennent à un rythme effréné, nos dirigeants ont pour objectif de faire de la surproduction de biens et de services polluants pour éponger les dettes contractées pendant la pandémie. En ce sens, on assiste déjà à la réintoxication du monde, même si le gouvernement se cache derrière le mythe d’une décarbonation de l’économie », dit Alma Dufour, porte-parole des Amis de la Terre. « Nos dirigeants sont déterminés à relancer tout ce qui nous empoisonne. Rien ne les fera bifurquer si on ne les y contraint pas », estime Pascal Frémont, porte-parole des syndicats Sud et Solidaires de Loire-Atlantique.

 « La première étape d’une phase d’actions collectives qu’on espère la plus massive possible »

« Le déconfinement doit être un élan historique de reprise en main de nos territoires, de ce qui est construit et produit sur notre planète, écrivent les auteurs de l’appel « le 17 juin, agissons contre la réintoxication du monde », publié sur Reporterre. Il doit permettre de dessiner ce qui est désirable pour nos existences et ce dont nous avons réellement besoin. C’est une question de survie, davantage que toutes les mesures et tous les nouveaux types de confinements que l’on nous fera accepter à l’avenir. Cela signifie construire de nouvelles manières d’habiter le monde, chacun de nos territoires, mais aussi accepter d’entrer en conflit direct avec ce qui les empoisonne. »

L’idée de cette journée de mobilisation a germé sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, en plein confinement. « Dans cette période, nous avons mesuré notre chance de pouvoir vivre dans un espace vaste, une zone humide où le vivant est relativement préservé depuis que nous avons gagné le combat contre l’aéroport, raconte Benoît, habitant de la Zad. Nous avons continué nos activités paysannes et de construction en prenant soin des plus vulnérables, nous n’étions pas isolés. » En même temps, « notre situation nous paraît dérisoire par rapport à l’ensemble des destructions en cours, des espèces disparues, des terres ravagées, des forêts détruites, et du réchauffement planétaire. Ça nous a renforcés dans l’idée qu’il fallait lutter collectivement, et à très grande échelle, pour empêcher que ce monde devienne inhabitable. »

L’appel a été élaboré dans les prés de Notre-Dame-des-Landes « dès la mi-avril, avec des habitants de la Zad, des syndicalistes, des Gilets jaunes, des autonomes et des associations écologistes et sociales », explique Pascal Frémont, des syndicats Sud et Solidaires de Loire-Atlantique. Puis, il a fait florès auprès d’autres collectifs en lutte à travers la France, contre des activités « toxiques » et des projets dits « inutiles et imposés ».

Un pré de la zone humide de Notre-Dame-des-Landes.

Une première série d’actions simultanées se tiendra donc le 17 juin, « la première étape d’une phase d’actions collectives qu’on espère la plus massive possible », dit Benoît. « Durant la pandémie, de nombreux citoyens ont senti dans leur chair ce qu’était une catastrophe, et à quel point les choses pouvaient basculer de façon rapide, estime Alma Dufour. Ça ne veut pas dire que tout le monde va devenir révolutionnaire du jour au lendemain, mais ça devrait nous aider à mobiliser pour éviter des désastres futurs. »

Mercredi, des milliers de citoyens vont donc tenter de gripper les secteurs qui leur semblent les plus toxiques, et occuper des terres pour installer des cultures vivrières. Des cimenteries, des usines de pesticides, l’industrie aéronautique, des plateformes de commerce électronique ou encore des unités d’élevage intensif sont visées par des militants des quatre coins de la France. « Nous avons, malheureusement, l’embarras du choix, déplore Anthony Yaba, membre du Groupe d’intervention des grenouilles non violentes (GIGNV) à Nantes. Il suffit de voir les carte des luttes et Superlocal… Elles débordent de projets néfastes ! » Le 17, son groupe mènera une action contre le projet d’agrandissement de l’aéroport de Nantes.

En Loire-Atlantique, berceau de l’appel, les collectifs et organisations vont aussi converger sur le site de production de Yara, le leader mondial des engrais de synthèse azotés. Ils iront lui remettre le prix Pinocchio de l’agrobusiness en matière d’écoblanchiment, décerné par les Amis de la Terre et la Confédération paysanne en février dernier. « Yara mène un lobbying intensif en faveur d’une agriculture industrielle dépendante des intrants chimiques, explique Pascal Frémont. Récemment, cette multinationale a été mise en demeure par la préfecture pour non-respect des normes environnementales, pour ses rejets toxiques dans la Loire. Un “beau” symbole de l’intoxication du monde… »

Blocage en Allemagne, fin septembre 2019, d’une usine de production de la société Yara par plusieurs centaines d’activistes de Free the soil.

Les activistes iront ensuite défendre les 395 hectares du site naturel du Carnet, sur l’estuaire de la Loire. Le Grand Port maritime de Saint-Nazaire projette d’y bétonner 110 hectares de zones naturelles, dont 51 hectares de zones humides. « Ce pan d’estuaire abrite pas moins de 116 espèces protégées, c’est une zone très précieuse pour les oiseaux migrateurs qu’on veut ravager pour implanter des “écotechnologies”, s’insurge Camille, membre du collectif stop Carnet. L’exemple du Carnet montre bien comment les projets “verts” sont les nouveaux “chevaux de Troie” du capitalisme. La mobilisation est d’autant plus pressante sur ce site que le démarrage des travaux est annoncé pour cet automne ! »

« Agir contre l’intoxication du monde ne pourra se faire sans les salariés, sans celles et ceux qui dépendent économiquement des secteurs concernés » 

En Île-de-France, le Collectif pour le triangle de Gonesse, opposé à l’urbanisation des terres fertiles du nord de Paris, sera aussi mobilisé. Les Amis de la Terre, Attac et ANV-COP21 vont aussi mener une action pour perturber l’activité d’un géant du e-commerce. « En France, on dénombre douze projets d’entrepôts et de centres de tri Amazon et Alibaba, dit Alma Dufour. Ce sont des projets à l’opposé de ce que l’on souhaite : toujours plus de surproduction, de destructions d’emplois dans le commerce de proximité, d’avions dans les airs, de pollution. L’État doit les interdire. »

D’autres actions, une trentaine recensées à ce jour, se tiendront dans la Drôme et l’Isère, pour un monde sans pesticides ; dans le Morbihan, contre un projet de ferme-usine aux 178.800 poulets ; dans le Gard, contre un géant du commerce électronique ; en Seine-Maritime, contre l’abattage d’au moins 63 hectares de la forêt du Madrillet ; à Lille, contre le bétonnage de la Friche Saint-Sauveur ; à Gap, contre la mise en place de canons à neige, de parcs photovoltaïques, de remontées mécaniques dans les stations de ski et les rallyes automobiles ; ou encore en Haute-Loire contre la déviation routière de la RN88 et 150 hectares dévastés sur 10,5 km.

Dans toutes ces luttes, prévient Pascal Frémont, « agir contre l’intoxication du monde ne pourra se faire sans les salariés, sans celles et ceux qui dépendent économiquement des secteurs concernés » :

Le chantage à l’emploi est l’argument massue de ceux qui portent ces projets destructeurs. Mais nous ne pouvons pas relancer la machine productive sans relancer les émissions de gaz à effet de serre, en respectant le vivant. Nous devons penser les mutations possibles des activités et les réappropriations des lieux de travail avec les travailleurs. Aujourd’hui, nous avons surtout besoin d’emplois utiles, d’un revenu digne pour tout le monde pendant les périodes de transition. Il faut travailler moins, pour répartir le temps de travail à tout le monde, et mieux. Les 120 milliards d’euros lâchés pour relancer la machine auraient dû aller à la reconversion du monde paysan et industriel, à la refonte de nos modes de consommation et nos logements. »

La dynamique du 17 juin se veut aussi, selon ses organisateurs, « absolument complémentaire de ce qui se passera le 16 juin sur le front de la solidarité avec les soignant.e.s ainsi que des manifestations en cours contre les violences policières et le racisme systémique. Il n’y aura pas de désintoxication du monde possible sans justice sociale ! »


La carte des luttes établie par Reporterre, où ont pu puiser les organisateurs des différentes actions

La carte en plein écran est DISPONIBLE ICI

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