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TribuneAgriculture

La permaculture est une voie d’avenir pour les pays du Sud

La permaculture est une façon de produire des aliments sans dégrader la nature. Mais c’est davantage, explique l’auteur de cette tribune : la permaculture existe depuis bien plus longtemps que le terme (1978) et dessine un modèle alternatif à la société industrielle.

Dorian Simon-Meslet est membre de l’équipe d’organisation de la 13e Convergence internationale de permaculture (IPC India 2017), qui se tiendra fin novembre à Hyderabad (Inde). Il a rejoint Aranya Agricultural Alternatives en 2016, une ONG indienne qui favorise l’émergence d’initiatives locales en permaculture depuis près de vingt ans.


En France comme dans de nombreux pays « développés », la permaculture a le vent en poupe. Ces derniers temps, articles et documentaires ont fleuri dans les médias, vulgarisant cette approche auprès du grand public. Au fil des reportages, un portrait-robot se dégage : la permaculture a ses géniteurs (Bill Mollison et David Holmgren), sa date et son lieu de naissance (1978, en Australie), et ses déclinaisons possibles (fermes alternatives, potagers d’agrément, jardins citadins, etc.). Par ce prisme, on comprend qu’elle est une démarche récente, permettant de produire des aliments sains sans dégrader la nature : une nouvelle branche « bio », particulièrement adaptée aux petites surfaces — et dont la popularité grandit dans les pays riches.

Fait réjouissant : cette perspective n’est pas un mirage. Mieux encore : elle ne restitue ni toute l’ambition ni tous les champs d’application possibles de la permaculture — dans l’espace, le temps et la société.

Si le terme « Perma-Culture » a vu le jour en Australie il y a quelques décennies, il est plus approprié de parler de renaissance que de création ex nihilo. Rappelons qu’à l’exact inverse du modèle industriel, la permaculture n’est pas une méthode « clé en main » que l’on déploierait en suivant un protocole préétabli. Au contraire, il s’agit d’une philosophie souple, mettant au cœur de son approche le « terrain » et les spécificités liées à chaque site et écosystème. Nombreux sont dès lors les « petits paysans » (résidant principalement dans les pays dits « en développement » et encore peu convertis au modèle agro-industriel occidental) qui, ayant élaboré des pratiques agricoles adaptées aux caractéristiques et contraintes de leur environnement au fil des générations, se reconnaissent dans l’approche permacole – quand bien même ils en ignorent l’appellation. Ainsi, dès 1991, une série de reportages réalisés par Bill Mollison (Global Gardener) avait pour double objectif d’identifier les pratiques traditionnelles s’apparentant à de la permaculture en Afrique, en Asie et en Amérique, tout en accompagnant ces praticiens afin qu’ils essaiment face aux dégâts causés par la « révolution verte ».

Bill Mollison (à droite) en Inde à la fin des années 1980.

Ces initiatives et d’autres, poursuivant un travail de fond à leur échelle, incarnent les différentes dimensions composant l’approche « holistique » dont la permaculture se revendique — le volet agricole faisant souvent office de dénominateur commun. À travers les continents et les cultures, elles dessinent une mosaïque de réalisations, un puzzle d’alternatives qui, une fois réunies, proposent un modèle cohérent, prenant la tangente vis-à-vis de la société industrielle.

Lien étroit entre patrimoine génétique des écosystèmes et souveraineté alimentaire

Au cœur du Deccan (une région du sud de l’Inde), face aux monocultures de coton génétiquement modifié « Bt », l’ONG Aranya Agricultural Alternatives élabore des solutions permacoles de long terme, en étroite relation avec les populations villageoises et tribales. En les encourageant à diversifier leur production (via la réhabilitation de polycultures traditionnelles associant légumineuses, céréales et plantes à huile et condiment), Aranya fait le pari qu’une fois les premiers bénéfices retirés (obtention de produits permettant d’assurer leur subsistance, donc réduction de leur dépendance aux fluctuations des cours du marché), ces paysans entraîneront les communautés voisines dans un cercle vertueux. Afin d’enclencher la dynamique, Aranya garantit le rachat de la production à un prix défini les premières années, puis favorise l’émergence de structures autogérées telles que les coopératives, permettant une meilleure stabilité des prix et répartition de la richesse créée.

Cette approche collective est également celle privilégiée par l’Instituto Mesoamericano de Permacultura, sur les rives du lac Atitlán (Guatemala). Plaçant la biodiversité au centre de son action, en éduquant par exemple à la conservation puis au partage des semences, son objectif est de faire perdurer le lien étroit entre patrimoine génétique des écosystèmes et souveraineté alimentaire des populations locales.

Échange de semences en Inde.

La restauration d’écosystèmes dégradés permet également à des collectifs de se constituer. Le projet initié par le Permaculture Research Institute Kenya et le Drylands Natural Resource Centre réunissant près de 600 foyers (environ 3.600 habitants) a permis de réhabiliter une terre érodée à l’aide de principes permacoles (collecte et gestion de l’eau, agroforesterie, association de cultures, etc.), améliorant la fertilité des sols et générant quelques revenus grâce au moringa, un arbre adapté aux régions à faibles précipitations, et dont sont issues de multiples ressources (feuilles, fruits, graines, huile).

Groupe autour d’un « mandala garden ».

Ces actions solidaires prospèrent sous toutes les latitudes et altitudes ! Dans un pays où 90 % de l’activité économique est en lien avec l’agriculture, le Himalayan Permaculture Centre (Népal) travaille étroitement avec les habitants des vallées montagnardes. Face aux déforestations récentes induites par la croissance démographique et la pression progressive sur le foncier, l’accent est mis sur la gestion collective des ressources (bois, eau, sol), la promotion de techniques permacoles à faibles intrants énergétiques mais forts rendements, et la mise en place de communs.

Des sociétés plus solidaires, égalitaires et résilientes 

L’éducation joue évidemment un rôle central dans cette transition vers une société plus égalitaire, comme le démontre le programme Regional Schools and Colleges Permaculture (Rescope) conduit dans plusieurs pays de l’est et du sud de l’Afrique (Malawi, Kenya, Afrique du Sud, Zimbabwe, Zambie). Utilisant l’école comme point d’entrée, la démarche s’adresse aux générations futures, formées à l’approche permacole, afin que ces savoir-faire se propagent et s’ancrent ensuite au sein de leur communauté.

Enfin, si la « résilience » est la capacité d’une société à absorber les chocs et à maintenir sa cohésion en situation de crise, les initiatives menées par l’association Soils (Liban) au sein de camps de réfugiés syriens sont inspirantes à bien des égards. En ancrant jardins et potagers dans ces lieux de passage, elles redonnent un sentiment de fierté et d’appartenance communautaire à leurs occupants. L’idée n’est pas un cas isolé : des actions similaires ont vu le jour en Afghanistan, en Italie, aux Philippines… jusqu’en France (Calais) !

Du millet.

Si la permaculture est un luxe, ce serait donc celui de parvenir à réunir — dans différents contextes culturels et économiques — des collectifs autour d’éthiques et principes essentiels, sur lesquels peuvent prospérer des sociétés plus solidaires, égalitaires et résilientes. Au Nord comme au Sud, les expérimentations d’aujourd’hui ébauchent déjà les paradigmes de demain ; des exemples démontrant que, bien plus qu’une tendance ou une mode, la permaculture est un sport de combat permanent.


  • Complément d’info : La 13e Convergence internationale de permaculture (IPC India 2017) se tiendra fin novembre à Hyderabad (Inde). Cet événement biennal réunit plusieurs centaines de praticiens venant d’une cinquantaine de pays. Il permet de partager projets et savoir-faire communs et est l’occasion de mieux connaître ce mouvement composite, au carrefour d’enjeux agricoles et sociétaux, de cultures et de traditions.
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