Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Agriculture

La politique agricole commune n’est pas raccord avec le climat

Dans un rapport publié le 10 mai, l’organisation européenne Climate Action Network montre que la réforme de la Politique agricole commune n’est pas à la hauteur des objectifs climatiques. Et appelle les États membres à revoir leurs propositions à la hausse.

S’il est un secteur qui a beaucoup à perdre du dérèglement climatique, c’est bien l’agriculture. Les rendements de blé au sud de l’Europe pourraient ainsi baisser pratiquement de moitié à l’horizon 2050, selon un rapport de la Commission européenne publié en 2020. Réciproquement, l’agriculture représente 12 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Union européenne. Proportion qui grimpe à 19 % pour certains pays, notamment la France. Alors que l’Europe devrait finaliser la nouvelle Politique agricole commune (PAC) en juin 2021, on comprend que la question du climat s’invite dans le débat. C’est pourquoi l’organisation Climate Action Network (CAN) Europe a publié le 10 mai un rapport qui évalue à l’aune des enjeux climatiques les propositions sur la future PAC de cinq pays européens : le Danemark, la France, l’Allemagne, l’Irlande et l’Espagne.

D’ici l’été, chaque État membre doit en effet remettre à Bruxelles un plan stratégique national (PSN). Car si la PAC est la grande politique commune de l’Europe — un tiers du budget européen lui est consacré (soit 386 milliards d’euros pour la nouvelle PAC), elle se renationalise au fil des réformes. Mais ces plans nationaux ne sont pas tous encore connus, notamment celui de la France : Paris devrait remettre sa copie dans les prochaines semaines.

À partir des éléments disponibles (PSN ou autres documents de travail), Climate action network a évalué les positions de ces cinq pays. Conclusion : les États sont frileux à mettre en œuvre les mesures qui permettraient de réduire les GES de leur agriculture, en particulier parce qu’ils ne s’attaquent pas à l’élevage.

En Irlande, 37 % des émissions liées à l’agriculture 

Au Danemark, l’élevage intensif est largement responsable des émissions de GES : à cause des émissions animales (méthane des bovins, lisiers) mais aussi des cultures (engrais de synthèse), puisque 80 % des terres cultivées sont destinées à l’alimentation animale, selon le rapport. Pourtant, aucun projet de réduction de l’élevage n’est sur la table. Le secteur agricole danois assure avoir le plus faible taux européen d’émission de GES rapporté à l’animal, mais l’argument tourne court, car les émissions globales du secteur dans ce pays baissent peu (seulement 1,3 % entre 2014 et 2018, note le rapport).

En Irlande, les émissions liées à l’élevage sont même en forte augmentation. Avec la fin des quotas laitiers européens en 2015, l’île a accru son cheptel d’un quart entre 2014 et 2019. Ce qui a porté à 37 % la part de l’agriculture dans les émissions de GES du pays. Et l’Irlande prévoit de continuer à augmenter son cheptel, déconnectant ainsi sa politique agricole de sa politique climatique, et ce alors que le Parlement a déclaré l’urgence climatique. L’Allemagne reconnaît en revanche la nécessité de réduire son cheptel, mais les mesures pour y arriver ne sont pas à la mesure des enjeux, selon le rapport.

En Irlande, aucun projet de réduction de l’élevage n’est sur la table, note l’organisation Climate Action Network.

En France, la stratégie nationale bas carbone vise une baisse des GES du secteur agricole de 46 % en 2050 (comparé à 2015), en particulier de la part de l’élevage. « Mais deux positions s’affrontent sur les moyens d’arriver à une telle réduction des GES liés à l’élevage, explique à Reporterre Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture à Greenpeace. Avec d’autres organisations écologistes, nous défendons un élevage plus extensif et une baisse du cheptel. En face, les tenants de l’élevage industriel défendent des labels bas carbone, autrement dit des pratiques d’élevage qui réduisent les émissions rapportées au litre de lait et au kilo de viande. Mais ça ne réduit pas globalement suffisamment les émissions. »

Un avis conforté par l’exemple danois. Pour les organisations réunies au sein de la plateforme pour une autre PAC, les moyens financiers alloués à la PAC permettent cette réforme de l’élevage sans abandonner les éleveurs à leur sort. Rappelons en effet que la France va recevoir une enveloppe de près de 9,5 milliards d’euros par an de 2021 à 2027 pour les aides agricoles.

Les primes de l’écorégime

Dans la nouvelle PAC, Bruxelles veut orienter les systèmes agricoles vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement et du climat en transférant une part des aides agricoles vers l’écorégime, un nouveau dispositif de primes dédié à ces bonnes pratiques. Mais le trilogue européen doit encore trancher sur le montant transféré. La dernière proposition de compromis du Conseil européen prévoit 22 % en 2023, pour atteindre 25 % en 2025.

La comparaison européenne rappelle aussi les différences démocratiques dans l’élaboration des plans nationaux de la PAC. En Allemagne, le PSN est débattu et voté au Parlement. En France, c’est un document programmatique du gouvernement, officiellement nourri par un débat public ad hoc qui s’est terminé en novembre 2020. Il faudra attendre la position française dans les prochaines semaines pour mesurer l’influence de ce dernier, ainsi que la conformité avec la stratégie bas carbone.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende