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EnquêteEurope

L’Europe prépare une réforme de la politique agricole peu respectueuse de la biodiversité

La Commission européenne veut rendre l’agriculture européenne compatible avec la préservation du climat et de la biodiversité. Impossible si l’Union européenne ne change pas la façon dont elle distribue les milliards de la Politique agricole commune, estiment les associations.

De belles paroles. Encore ? Le 20 mai dernier, la Commission européenne présentait sa stratégie « de la ferme à la table » (From Farm to Fork), déclinaison agricole du « Green Deal », ou « pacte vert » européen, censé rendre l’Union européenne climatiquement neutre d’ici 2050. Il s’agit d’atteindre « un meilleur équilibre entre nature, systèmes alimentaires et biodiversité », annonçait ce jour-là le commissaire européen en charge du Pacte vert européen, Frans Timmermans.

La stratégie « de la ferme à la table » fixe comme objectifs, d’ici 2030, une réduction de 50 % « de l’usage et du risque » des pesticides et de la vente d’antibiotiques à l’élevage et à l’aquaculture, une baisse de 20 % des fertilisants, et une augmentation des surfaces dédiées à l’agriculture biologique pour atteindre 25 % des terres cultivées (contre 7,5 % actuellement).

Signe encourageant pour les défenseurs d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement, cette stratégie agricole était présentée en même temps que celle pour la biodiversité. Une forme de reconnaissance que, l’agriculture couvrant une grande partie des terres de l’Union européenne, elle joue un rôle central dans une politique de restauration de la biodiversité. D’où la promotion de l’agriculture biologique et des « éléments de paysage riches en biodiversité sur les terres agricoles ».

Une occasion mais quelques bémols

« Il s’agit d’une vision politique très forte, pas encore contraignante, mais pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, on a des objectifs de préservation de la biodiversité très forts », s’est félicité Marco Onida, de la direction générale Environnement à la Commission européenne lors d’une conférence de presse organisée par le Climate Action Network le 11 juin. « Le Green Deal est ambitieux, c’est une occasion majeure », a confirmé Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) lors du même évènement.

Les ONG sont moins enthousiastes. « On salue vraiment le fait que l’on considère l’agriculture et l’alimentation comme un tout, en interaction avec l’environnement », indique à Reporterre Aurélie Catallo, porte-parole de la plateforme d’organisations de la société civile Pour une autre PAC. Mais le CCFD-Terre solidaire s’est inquiété de la promotion des mécanismes de capture du carbone grâce aux terres agricoles : « De telles propositions nient tout simplement les préconisations du rapport du Giec [Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat] : n’optons pas pour les fausses solutions qui mettent en danger l’accès au foncier des agriculteurs. » Les Amis de la Terre (membres de la plateforme) ont dénoncé une stratégie qui laisse « la part belle à une agriculture 4.0, dont l’objectif est de réduire à la marge les intrants chimiques, sans jamais chercher à s’en affranchir ». Reporterre vient de décrire à quoi pourrait ressembler cette agriculture, pilotée à la fois par les géants du numérique et de l’agriculture.

De son côté, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), principal syndicat agricole français, défenseur de l’agriculture conventionnelle, n’a pas plus approuvé le projet de la Commission, dénonçant des objectifs qu’elle juge trop verts et emmenant l’agriculture vers « une voie de décroissance avec un effet environnemental incertain ».

Surtout, si les objectifs en matière de protection du climat et de la biodiversité paraissent séduisants, la principale politique européenne qui permettrait à l’agriculture de les atteindre ne semble pour l’instant pas alignée : il s’agit de la politique agricole commune (PAC). Représentant plus d’un tiers du budget annuel de l’Union européenne, 9 milliards d’euros par an d’aides distribuées en France aux agriculteurs, elle est un outil majeur d’orientation de l’agriculture.

Or, l’actuelle PAC nuit à la biodiversité, a conclu un rapport de la Cour des comptes européenne paru début juin. Il indiquait que « les données disponibles relatives à la biodiversité des terres agricoles dans l’UE indiquent un déclin incontestable [des oiseaux des champs et des papillons de prairie, notamment] au cours des dernières décennies. »

Verdir la PAC

Une nouvelle PAC — c’est-à-dire de nouvelles règles pour répartir ces aides — est en cours de négociation, pour être mise en œuvre à partir de 2021. Pourra-t-elle changer la donne ? La plateforme Pour une autre PAC soulignait fin mai une série de contradictions entre les objectifs environnementaux affichés et la proposition de réforme de la PAC de la Commission européenne : pas d’obligation de soutenir l’agriculture biologique, baisse des budgets finançant les pratiques agroécologiques, poursuite du soutien à une agriculture industrielle émettrice de gaz à effet de serre, absence de mesures concernant l’utilisation des antibiotiques en élevage, ou des fertilisants, alors que ces objectifs sont cités dans le Green Deal.

« Il faut remettre en cause le principe de l’aide à l’hectare [qui fait que plus une ferme comporte d’hectares, plus elle reçoit d’aides], insiste Aurélie Catallo. Au nom de quoi la surface d’une ferme justifierait-elle des paiements supérieurs, alors que des études montrent que plus une ferme est grande, moins ses pratiques sont vertueuses sur le plan environnemental, et moins elle crée d’emplois à l’hectare ! » La plateforme demande également que les aides aux élevages ne soient pas liées qu’au nombre d’animaux mais aussi au type d’élevage (plein air ou intensif), ou que les accords de libre-échange soient abandonnés.

Jacques Pasquier, qui suit la question de la PAC pour la Confédération paysanne, est intervenu dans le même sens lors de la conférence de presse du 11 juin : « On a remplacé le travail paysan par la mécanisation et le recours aux produits chimiques, qui tous deux consomment des énergies fossiles. Pour préserver le climat, il faut donc plus de paysans ! » « Il faut centrer la PAC sur les biens communs, c’est-à-dire le climat et la biodiversité, la qualité de l’eau et de l’air », a également prôné Christian Huygues. « La réforme de la PAC va se mettre en place pour sept ans, il faut une mise en concordance des outils et des objectifs », s’est inquiété le député européen socialiste Éric Andrieu.

La Commission européenne s’est pourtant souciée d’accorder Green Deal et PAC. Dans un rapport publié le 20 mai (en même temps que les stratégies « de la ferme à la table » et biodiversité), elle estime qu’ils sont tout à fait compatibles, moyennant l’obligation pour les États membres d’avoir une « ambition accrue par rapport à la situation actuelle en ce qui concerne les objectifs environnementaux et climatiques ».

« Le verdict de la commission est trop en faveur du texte initial de la PAC, pense à l’inverse Aurélie Catallo. On estime qu’il faudrait aller beaucoup plus loin dans la réforme de la PAC, et notamment y inscrire que le respect des objectifs du Green Deal est obligatoire. »

La réforme va être négociée durant de longs mois. Le Parlement européen doit amender la proposition mise sur la table par la Commission européenne et devrait voter sa propre version de la PAC à l’automne. Les ministres de l’Agriculture européens, eux, devraient avoir un brouillon d’ici la fin de l’année. Une fois les trois textes sur la table, les négociations pourront commencer entre les trois instances de l’Union européenne et devraient encore durer plusieurs mois.

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