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Climat

Le « pacte vert » européen croit encore en la croissance verte

La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté mercredi 11 décembre aux eurodéputés son projet de « pacte vert » (ou « Green Deal »), dessinant les lignes directrices de la politique climatique européenne.

  • Bruxelles, correspondance

L’objectif a été répété partout : faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone, d’ici 2050. La formule est destinée à marquer les esprits et à afficher les ambitions de la nouvelle mandature de la Commission européenne, qui amorce là son premier grand dossier depuis sa récente entrée en fonction. L’idée de ce pacte était un des grands projets de la candidature à la tête de la Commission d’Ursula von der Leyen et est présenté désormais comme la priorité de sa politique pour l’Union européenne (UE).

« Le pacte vert pour l’Europe que nous présentons aujourd’hui est la nouvelle stratégie de croissance inclusive de l’Europe. Il permettra de réduire les émissions, tout en créant des emplois et en améliorant notre qualité de vie, sans oublier personne », a détaillé la nouvelle présidente, qui a notamment tenté d’inclure les entreprises dans son discours, en leur promettant de « nouvelles perspectives économiques ».

A Bruxelles, l’annonce des détails de ce plan était très attendue, puisqu’il doit répondre aux attentes des électeurs européens, qui s’étaient fortement prononcés aux élections de mai pour plus de politiques environnementales. Mais aussi parce que l’UE reste « bien en dehors de la bonne voie pour atteindre tous ses objectifs environnementaux et de développement durable », comme le rappelle l’Institut européen des politiques environnementales (IEEP).

Un engagement à réduire les émissions des pays de l’UE de 50 à 55 % d’ici 10 ans 

Ursula van der Leyen : « La route sera longue et parfois agitée, mais nous savons que c’est faisable. »

Le moment de l’annonce s’inscrit lui dans l’actualité du vote (symbolique) des eurodéputés décrétant l’état d’urgence climatique, le 28 novembre. Lors de son discours d’ouverture de la plénière extraordinaire, mercredi, Ursula von der Leyen s’est adressée aux députés européens pour demander leur soutien : « Rien ne se fera sans vous ! La feuille de route devra être adaptée et la route sera longue et parfois agitée, mais nous savons que c’est faisable. » Elle compte ensuite, lors de son premier sommet européen, jeudi et vendredi à Bruxelles, convaincre les chefs d’État et de gouvernements de s’investir dans la transition au niveau national. Avant de se rendre, à Madrid cette semaine pour présenter son plan au reste de la communauté internationale à la COP25.

Quelles sont donc les mesures qu’a proposées l’exécutif européen, ce 11 décembre ? D’abord un engagement à réduire les émissions des pays de l’UE de 50 à 55 % d’ici 10 ans. Pour cela, l’ensemble des domaines économiques seront concernés, de l’industrie aux transports, en passant par l’agriculture et la construction.

Le pacte vert propose d’étendre le système d’échanges de droits d’émission, qui aide déjà l’UE à réduire les émissions provenant des secteurs de l’énergie, de l’industrie et du transport maritime (les quotas gratuits pour le transport aérien seront quant à eux réduits). Bruxelles envisage également une taxe carbone aux frontières pour éviter la concurrence déloyale de voisins moins vertueux. Enfin, les annonces évoquent aussi l’ambition de renforcer l’économie circulaire (par l’utilisation plus durable des ressources) et de préserver la biodiversité de l’Europe.

Pour financer le projet, la Commission annonce un plan d’investissements de 1.000 milliards d’euros au cours de la prochaine décennie (soit 100 milliards par an). Il s’agira d’investir notamment dans les énergies propres et de soutenir la recherche et l’innovation dans les technologies à faible intensité carbone. Par ailleurs, un Fonds de transition juste pour aider les régions les plus en difficulté et les plus en retard sera créé. Mais la provenance des ressources (100 milliards sur sept ans) et les critères d’attribution de celui-ci n’ont pas encore été précisés. En tout cas, à terme, l’objectif est qu’au moins 25 % du budget de l’Union soit consacré à la transition écologique.

Concernant l’agenda, la toute première loi européenne sur le climat sera proposée au vote par la Commission, en mars 2020. Dans le courant de l’année prochaine, un plan global sera présenté pour la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de moitié d’ici 2030. « Nous devons être en ordre de marche pour la COP26, l’année prochaine à Glasgow », a dit Frans Timmermans, commissaire au Climat et vice-président exécutif du green Deal européen, qu’il définit comme une « main tendue à tous les participants ».

« À quoi bon consacrer une part des budgets à sauver le changement climatique, si une autre part promeut des politiques qui l’aggravent ? »

Philippe Lamberts : poursuivre le libre-échangisme est « climaticide ».

Beaucoup saluent la prise de conscience du nouvel exécutif européen, comme le président de la Commission Environnement du Parlement, Pascal Canfin (Renaissance) qui a parlé avec enthousiasme d’un jalon historique : « C’est le plus grand plan de transition écologique pour tout un continent, alors même que les Etats-Unis se retirent des accords de Paris ». Mais les réserves sont multiples. . « La Commission Von der Leyen est sincère, mais ne mesure pas l’ampleur du problème : elle reste sur la mystique d’une croissance verte alors qu’il est temps d’acter un changement de modèle, de passer d’une Europe néolibérale à une Europe-providence, et d’acter l’ère de la post-croissance », estime Aurore Lalucq, eurodéputée française (PlacePublique/S&D), à l’origine d’un groupe transpartisan sur la question de la transition écologique.

Les eurodéputés écologistes rappellent, par exemple, que le projet ne remet pas en cause les politiques communes sur l’agriculture (PAC), qui continuent de favoriser les modèles productivistes actuels. « À quoi bon consacrer une part des budgets à sauver le changement climatique, si une autre part promeut des politiques qui l’aggravent ? » a souligné le vice-président du groupe des Verts, le député belge Philippe Lamberts, qui a aussi rappelé dans l’hémicycle la contradiction qu’il y a à poursuivre les tendances au « libre-échangisme » de l’UE, qui signe des traités commerciaux réputés « climaticides » avec les autres continents.

Des interrogations également exprimées par les députés de la gauche unitaire européenne (GUENGL), qui ont proposé quelques heures avant la plénière un contre-projet pour demander un pacte « vert et social », demandant des objectifs contraignants et plus ambitieux, tels que le passage à une énergie 100 % renouvelable en 2050. Concernant le transport, la députée Manon Aubry a demandé comment la volonté de favoriser le fret ferroviaire pourra se concrétiser, alors qu’on assiste partout en Europe au démantèlement des entreprises publiques de transport.

Pour Marie Toussaint, députée EELV, la Commission ne va pas assez loin, puisque l’exécutif européen pense qu’il « faut encore ménager les multinationales, les banques et le système qui nous a menés droit dans le mur. Il faut un Green Deal qui tourne le dos aux industries fossiles et cesse tout financement pour tous celles et ceux qui détruisent notre planète ». Avec son groupe, elle demande de porter à 65 % l’objectif de réduction des émissions d’ici à 2030.

L’objectif de 55 % est lui aussi jugé insuffisant par Greenpeace, pour qui la réponse qu’offre le Green Deal, bien que jugée ambitieuse par son étendue n’en reste cependant « trop restreinte et trop tardive », d’après Franziska Achterberg, la porte-parole de l’organisation pour les affaires européennes.

Enfin du côté de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’Homme, on juge comme de nombreuses autres voix critiques que l’effort financier proposé est encore « bien loin du compte ». D’après ses estimations, « le plan à 100 milliards annuels ne couvre qu’un tiers des besoins de financement ».

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