Climat : le gouvernement est sur « une trajectoire dangereuse pour l’agriculture »

Les aides fléchées pour les éleveurs bovins pourraient être réservées à des troupeaux de petite ou moyenne taille, propose un collectif. - © Olivier Chassignole / AFP
Les aides fléchées pour les éleveurs bovins pourraient être réservées à des troupeaux de petite ou moyenne taille, propose un collectif. - © Olivier Chassignole / AFP
Durée de lecture : 7 minutes
Les paysans se mobilisent pour plus d’aides agroécologiques. En France, la politique agricole commune n’est pas à la hauteur du défi climatique, selon le Cabinet Carbone 4.
Des convois de tracteurs et des manifestations devant les préfectures ou sous-préfectures des Côtes-d’Armor, du Morbihan, des Deux-Sèvres ou encore du Pays-Basque. La Confédération paysanne et d’autres organisations de l’agriculture paysanne étaient mobilisées hier 18 octobre et recommencent aujourd’hui. La raison ? Ces agriculteurs qui se sont engagés à mettre des mesures écologiques en place sur leurs fermes (des MAEC, soit mesures agro-environnementales et climatiques) n’auront pas autant d’aides que prévu. Ils sont trop nombreux à les avoir demandées par rapport au budget prévu par le ministère de l’Agriculture.
Sur le plan écologique, le gouvernement « est en deçà des enjeux et laisse voir une trajectoire dangereuse pour l’agriculture », dénonce la Confédération paysanne. Une étude du cabinet Carbone 4, rendue publique mercredi 18 octobre, vient opportunément leur donner raison. La politique agricole de la France ne lui permet pas de respecter ses objectifs climatiques, nous apprend-elle.
L’argent de la PAC est mal distribué en France
L’étude a été commandée par le collectif Nourrir, qui rassemble des organisations pour la transition agricole. Elle s’intéresse aux mesures mises en œuvre en France au nom de la politique agricole commune (PAC). Cette politique européenne permet de distribuer 9 milliards d’euros par an aux agriculteurs français. Une somme conséquente qui pourrait aider à lutter contre le changement climatique, sachant que l’agriculture en France représente 19 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais la façon dont cet argent est distribué ne permet pas à l’agriculture française de réduire ses émissions aussi vite qu’il le faudrait, comme le prouve Carbone 4 grâce à de savants calculs.
Tout d’abord, le cabinet souligne que la PAC permet d’agir sur les émissions de gaz à effet de l’agriculture de trois manières. Pour chacun de ces domaines, Carbone 4 a regardé quelles mesures font baisser les émissions de gaz à effet de serre.
- Sur le méthane, émis principalement par l’élevage (45 % des émissions en agriculture), une seule mesure a été trouvée : celle dite des « aides couplées bovines ». Les éleveurs ne peuvent l’obtenir que pour un nombre limité d’animaux (environ 80 vaches maximum), ce qui favorise les petites fermes ayant recours au pâturage, plutôt que l’élevage intensif. « C’est la mesure la plus efficace », souligne Sylvain Borie, auteur de l’étude chez Carbone 4. « Mais les baisses d’émissions ne sont quand même pas assez significatives. »
- Sur le protoxyde d’azote, dû à l’utilisation d’engrais de synthèse (43 % des émissions) [1], deux mesures permettent d’agir. D’abord « l’aide couplée légumineuses » (soja, pois, fèves, lentilles, etc.) : ces plantes mettent de l’azote dans le sol et permettent de diminuer l’usage des engrais. Ensuite, le développement de l’agriculture bio, qui n’utilise pas d’engrais de synthèse, avec un objectif de 18 % des terres agricoles bio en 2027. « Mais le ministère a sous-dimensionné son aide » par rapport à l’objectif, a calculé Sylvain Borie.
- Sur le stockage de carbone, grâce aux prairies, aux sols, aux haies, etc. (cela doit permettre de diminuer les émissions), la PAC propose deux mesures. Elle incite à maintenir les prairies permanentes, pour éviter que leur retournement libère du carbone. « Cela permet juste d’éviter le pire, pas d’améliorer la situation », remarque Sylvain Borie. « Il n’y a pas de diminution des émissions. » La deuxième mesure est l’aide à la plantation de haies, qui en poussant stockent du carbone (comme les forêts). Mais les calculs de Carbone 4 aboutissent à des quantités de CO2 stocké quasi anecdotiques.

Le cabinet a ensuite additionné les réductions d’émissions obtenues grâce à toutes ces mesures. Il propose deux scénarios. Le scénario optimiste suppose notamment que l’objectif officiel de surfaces en bio sera atteint. Il aboutit quand même à un retard en 2027 (date de la fin du programme PAC actuel) de 700 000 tonnes de CO2 par rapport à l’objectif fixé par la stratégie nationale bas carbone. « Cela veut dire que pour atteindre l’objectif, il faudrait au moins trois millions d’hectares de surfaces bio en plus, ou 250 000 vaches allaitantes en moins », explicite Sylvain Borie.
Le scénario considéré comme plus « réaliste » par Carbone 4 fait des hypothèses moins optimistes, et suppose par exemple qu’on sera en 2027 à seulement 16 % de surfaces bio au lieu des 18 % fixés. En effet, le secteur bio est actuellement en difficulté. Dans ce cas, ce sont trois millions de tonnes de CO2 de trop qui sont émises en 2027. « Avec des hypothèses réalistes, on n’est même pas à la moitié de ce qu’on devrait faire », résume notre expert.
Le collectif Nourrir souhaite des aides mieux ciblées
Autrement dit, avec l’argent de la PAC, le gouvernement français ne met pas l’agriculture française sur une voie écologique. Le collectif Nourrir a donc des propositions pour corriger le tir. À commencer par une augmentation du budget des MAEC, comme le demandent les manifestations d’agriculteurs ces 18 et 19 octobre. « Cela encouragerait le maintien des prairies et la séquestration de carbone », estime Mathieu Courgeau, coprésident du collectif Nourrir et éleveur en Vendée.
Il suggère aussi l’évolution d’une autre aide de la PAC, l’écorégime. Cette aide offre un bonus aux agriculteurs qui ont des pratiques écologiques (notamment ceux qui utilisent des légumineuses, et les agriculteurs bio), mais les critères sont si bas « qu’environ 95 % des agriculteurs y ont droit ! » regrette le paysan. Résultat : le ministère n’a là encore pas prévu assez de crédit et va baisser les aides. Elles pourraient n’être que de 90 euros l’hectare pour les agriculteurs bio, contre 110 euros promis au départ. « Cela ne va pas inciter les agriculteurs à faire évoluer leurs pratiques », explique l’éleveur. Le collectif Nourrir souhaite que l’aide soit accordée à moins de paysans et que les montants soient plus élevés pour les plus vertueux.
L’an dernier, la France a freiné toute amélioration
En fait, le gouvernement pourrait tout de même atteindre une baisse des gaz à effet de serre de l’agriculture. Mais grâce à un phénomène qu’il ne maîtrise pas : la baisse du cheptel bovin, dû à la crise de l’élevage et aux nombreux départs à la retraite. « Le cheptel diminue même plus vite que l’hypothèse du ministère », souligne Mathieu Courgeau. « Mais cette baisse n’est pas du tout pilotée », avertit-il. Pour lui, elle favorise l’élevage intensif : « Une partie des petits et moyens élevages disparaissent et se concentrent dans de grandes exploitations qui ont moins de pâturages. »
Pour éviter cela, le collectif Nourrir propose que les aides couplées bovines de la PAC soient encore plus restrictives et réservées à « des troupeaux de taille petite ou moyenne bien répartis sur le territoire, avec un accès au pâturage », indique son coprésident.
Autant d’évolutions que le gouvernement a déjà refusé l’an dernier, alors qu’il négociait les règles françaises de répartition de l’argent de la PAC. Les mobilisations paysannes et cette étude réussiront-elles à le faire bouger ? Pas sûr. Pour l’y inciter encore plus fortement, le collectif Nourrir a aussi lancé un recours auprès de l’Union européenne. La justice devra dire si la PAC française « contribue de façon cohérente » aux objectifs climatiques du pays.