Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EntretienAgriculture

« Les fermes bio sont dans une passe très difficile »

Les besoins ont été évalués à 151 millions d’euros pour 2022, selon Philippe Camburet, de la Fnab.

En difficulté, l’agriculture bio attend plus que jamais des aides, qui pourraient être annoncées le 17 mai. Le secteur est en péril, met en garde Philippe Camburet, de la Fnab.

Philippe Camburet est le président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab).



Reporterre — Mercredi 17 mai, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau doit faire des annonces concernant l’agriculture bio, dans la tourmente. Qu’en attendez-vous ?

Philippe Camburet – Le gouvernement doit prendre conscience de l’ampleur et de la gravité de la situation. Les fermes bio sont dans une passe très difficile, à tel point que certaines exploitations reviennent en agriculture conventionnelle. Ce qui signifie réutiliser des pesticides, avec des conséquences sur la qualité de l’eau et la biodiversité. Il faut une aide de crise. Les besoins ont été évalués à 151 millions d’euros pour 2022, sans doute plus en 2023.


Dans quelle situation se trouve l’agriculture bio aujourd’hui ?

La demande s’est effondrée. Résultat, on produit 30 % de lait bio et 30 % de fruits et légumes en trop. Les agriculteurs sont obligés d’écouler leurs produits en conventionnel, voire de les jeter. Cela entraîne des pertes importantes : 59 millions d’euros de pertes sur le lait en 2022 et 62 millions d’euros pour les fruits et légumes.

Lire aussi : Crise de la bio : les producteurs galèrent

De plus en plus de fermes pensent à arrêter ou à revenir dans le conventionnel. Sans oublier toutes celles et ceux qui réfléchissent à s’installer en agriculture, notamment en bio, et qui pourraient changer d’avis. À l’heure où l’on a un besoin massif de nouvelles personnes pour reprendre les fermes, peut-on se permettre de se priver de ces candidats ?


Vous dénoncez de « mauvais choix politiques » pris depuis 2017. Le gouvernement a-t-il méprisé la bio ?

En 2017, le gouvernement a eu la possibilité de répartir le budget de la Politique agricole commune (PAC) pour soutenir les fermes bio déjà installées. C’est ce qu’on appelle l’aide au maintien. Il ne l’a pas fait et s’est désengagé de ce dispositif, avec un argument fallacieux : le marché suffirait à soutenir la dynamique de croissance de la bio.

Lors de la nouvelle PAC fin 2021, nous avons à nouveau plaidé pour un rétablissement de cette aide au maintien. Finalement, les écorégimes — ces paiements sous condition environnementale — ont profité à des pratiques bien moins exigeantes que la bio, comme le label Haute valeur environnementale (HVE). C’est décourageant !

Philippe Camburet : « Si l’on veut tenir nos objectifs, on doit mettre le paquet. » Pxfuel/CC

Plus récemment, la guerre en Ukraine est venue conforter les discours en faveur de l’agriculture conventionnelle. Au nom de la souveraineté alimentaire, il faudrait arrêter les jachères et favoriser le recours aux produits phytos, au risque d’une « perte de productivité » et de pénuries alimentaires. Pourtant, nous sommes structurellement dans une situation de surproduction ! Le problème vient plutôt du fait que notre modèle agricole vise à exporter à tout prix plutôt qu’à produire localement et durablement.


Que faire aujourd’hui pour relancer la transition agroécologique ?

Il faut un plan de relance de la bio. Si l’on veut tenir nos objectifs — 18 % de surface en bio en 2027, alors qu’on a à peine dépassé 10 % —, on doit mettre le paquet. Revoir la PAC pour réorienter les aides. Dynamiser la consommation de produits bio, notamment en augmentant sensiblement le budget de l’Agence bio, qui stagne depuis des années. Il circule pas mal d’idées reçues sur la bio — qu’elle serait trop chère, qu’elle équivaudrait d’autres pratiques environnementales… Il faut faire de la sensibilisation et de la pédagogie.

Le gouvernement doit aussi mettre un coup d’accélérateur sur la restauration collective. On est aujourd’hui très loin de l’objectif — pourtant fixé par la loi — de 20 % de produits bio dans les cantines scolaires. Les collectivités mettent en avant des questions de coût. Mais la santé de nos enfants et de nos écosystèmes a-t-elle un prix ? L’État doit soutenir les collectivités.

Enfin, nous avons besoin que les futurs agriculteurs, qui vont s’installer dans les prochaines années, optent massivement pour la bio. Pour ce faire, les dispositifs d’aide régionaux et les formations doivent être réorientés, et il faut favoriser ce modèle agricole, qui est le plus résilient vis-à-vis de la crise écologique.


En quoi l’agriculture bio est-elle une solution face à la crise climatique ?

Le modèle agricole actuel est à bout de souffle. Vouloir produire du porc pour inonder le marché chinois, en nourrissant le bétail avec des céréales produites en gaspillant de l’eau et des produits phytos, ça n’a pas plus de sens. Nous devons nous concentrer sur une production durable, qui respecte les potentialités naturelles de nos sols. Produire de saison, manger de saison, réduire le gaspillage. C’est tout ceci que permet l’agriculture bio, et c’est une voie d’avenir.

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende