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EnquêteAgriculture

Magasins bio, des fermetures en cascade

Le réseau Biocoop a fermé une quarantaine de magasins en France au cours de l’année écoulée (photo d'illustration).

Plus de 200 magasins bio ont fermé en 2022, en raison d’une baisse du nombre de clients. Mais le pire pourrait survenir cette année avec l’explosion des factures d’énergie.

[Série 2/4] Vous lisez l’enquête « L’agriculture bio dans la tourmente ». Pour ne pas rater le prochain épisode, abonnez-vous à notre lettre d’info.



« Non à la fermeture définitive de la biocoop de Tallard ! » En six semaines, la pétition a déjà reçu plus de 3 000 signatures. Les habitants de ce village, situé dans les Hautes-Alpes à 15 kilomètres de Gap, veulent pouvoir continuer d’acheter, près de chez eux, « une nourriture saine et respectueuse de l’environnement ». Le seul commerce de la commune va pourtant bien fermer ses portes le 31 mars prochain.

« Nous avions implanté ce magasin à Tallard en 2018 justement parce qu’il n’y avait pas d’autres commerces, explique Fabien Fléchard, directeur des quatre magasins Biocoop Le Grenier de la région. Il n’était pas rentable, mais à l’époque la croissance de nos autres magasins permettait de le maintenir. Avec le déclin actuel du bio, nous n’avons pas le choix si nous ne voulons pas mettre en péril nos autres magasins. »

Pour les mêmes raisons, la coopérative fermera aussi fin mars un second magasin, à Gap. Ces deux fermetures ne sont qu’un exemple parmi des dizaines d’autres recensées partout en France depuis un an. Au 15 décembre 2022, Bio Linéaires, magazine spécialisé, comptabilisait 224 fermetures de magasins au sein des grands réseaux et des indépendants, contre seulement 111 ouvertures.

« Tout a basculé presque du jour au lendemain »

En moyenne, le chiffre d’affaires des distributeurs bio a subi un recul de 12 % sur l’année 2022. Du jamais vu. « Alors que la consommation de produits bio affichait une croissance à deux chiffres depuis dix ans, tout a basculé presque du jour au lendemain, en juin 2021, à la réouverture des restaurants après la fin des mesures de confinement lié au Covid », explique Bertrand Pérot, PDG de l’enseigne Le Grand panier bio, qui compte vingt magasins en région Auvergne-Rhône-Alpes. Lui qui affiche vingt ans de métier dans la bio a le sentiment de vivre « un retour quinze ans en arrière ». Si les clients historiques restent fidèles, les consommateurs, souvent plus jeunes, qui s’étaient convertis au bio ces dernières années, fréquentent moins les rayons ou remplissent moins leur panier.

« Après la période du Covid, les gens ont eu besoin de renouer avec les loisirs, au détriment du budget alimentation », estime Éric Natali, trésorier du réseau Accord bio, un groupement de 195 magasins indépendants au sein duquel 17 ont fermé en 2022 — dont 14 pour des raisons économiques. À l’effet post-Covid se sont ajoutées l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, poussant les consommateurs et consommatrices vers les marques de distributeurs, considérées comme moins onéreuses.

224 magasins bio ont fermé en un an sur tout le territoire. Unsplash/CC/Artiom Vallat

Face à cette baisse de la consommation, même la grande distribution semble prendre ses distances avec le bio. Ainsi, le groupe Carrefour a remplacé ses magasins Bio c’Bon d’Amiens, Valenciennes ou encore Lille par des Carrefour City. Il explique à Reporterre « arbitrer entre ses différentes enseignes de proximité (City, Express) et enseignes bio (Bio c’Bon, Sobio) en fonction de la fréquentation et demande des clients dans un marché bio très concurrentiel ». Et dans les grandes surfaces conventionnelles, on trouve de moins en moins de produits bio, comme le dénonçait la filière bio dans une lettre ouverte de fin novembre dernier adressée à E.Leclerc, Auchan, Carrefour et consorts.

Zéro résidu pesticides, local, HVE… Trop d’allégations tuent le bio

La crise économique n’est pas l’unique responsable de cette désaffection. De nombreux acteurs dénoncent une perte de confiance liée à la prolifération des allégations. À l’instar de Bertrand Pérot, de l’enseigne Le Grand panier bio : « Zéro résidu de pesticides, local, haute valeur environnementale (HVE)... les consommateurs sont un peu embrouillés. Ils se disent qu’un produit HVE ou local, c’est quasiment un produit bio ! » Un collectif rassemblant acteurs de la bio, associations de consommateurs et de défense de l’environnement, qui estime que le logo HVE engendre un réel risque de tromperie, a saisi le Conseil d’État le 23 janvier dernier.

Lire aussi : Trompeur, le label HVE attaqué par l’agriculture bio

« Quand le label AB est attaqué de manière déloyale, il faut répliquer, fustige Éric Natali d’Accord bio. Pourquoi le consommateur irait payer un produit bio plus cher s’il pense qu’il peut avoir la même chose à un prix moins élevé dans sa grande surface ? » Le consommateur est attaché à tout ce que propose la bio, considère Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio : le bien-être animal, la biodiversité, la rémunération du producteur (90 % du commerce équitable est bio). « Mais il l’achète petit bout par petit bout en fonction des promesses marketing qui le touchent, sans forcément acheter le label bio, public et encadré par la loi. »

Autre cause possible de désamour avec le bio : une montée de la défiance sur l’origine des produits et leur empreinte carbone. Car le bio, c’est aussi l’importation de café ou de fruits exotiques, l’autorisation de la culture sous serre chauffée, des modes de production à l’étranger qui peuvent poser question... « Certains consommateurs se retrouvent ainsi dans une situation paradoxale, juge le groupe de réflexion Terra Nova dans un rapport publié le 15 février. Ils souhaitent soutenir la production bio, mais commencent à douter de ses vertus. Certains se tournent alors vers des produits locaux, pas forcément bio mais souvent plus abordables. »

Une purge nécessaire

Enfin, la plupart des acteurs contactés par Reporterre s’accordent à dire que ces fermetures de magasins en cascade étaient prévisibles, voire nécessaires pour assainir le marché. « Qu’il y ait une purge, ce n’est pas étonnant, pour Bertrand Pérot. Nous ne sommes pas sur un marché extensible à outrance non plus. » Ce sont surtout les magasins les plus récents qui ont mis la clé sous la porte, comme le montre le cas de Scarabée Biocoop à Rennes qui détenait treize magasins début 2022. Placée en redressement judiciaire le 26 octobre dernier, la société coopérative a dû se résoudre à fermer quatre magasins, tous ouverts il y a à peine deux ans.

Sur l’ensemble du territoire, le réseau Biocoop a fermé une quarantaine de magasins au cours de l’année écoulée. S’agit-il d’une erreur de stratégie ? Le numéro un de la distribution bio n’a pas pu répondre à nos questions « faute de disponibilités de ses porte-paroles ».

Les fermetures devraient s’enchaîner avec l’explosion des factures d’énergie attendue en 2023. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Wistula

Éric Natali, du réseau Accord bio, dénonce pour sa part une course effrénée à la concurrence : « Les chaînes franchisées ont ouvert des magasins sans étude préalable de marché sérieuse, avec des prévisionnels intenables. L’objectif, c’était d’empêcher les concurrents de s’installer. Ces enseignes ont voulu dupliquer le modèle de la grande distribution conventionnelle, mais ça ne marche pas dans le bio. »

La facture d’énergie, épée de Damoclès pour 2023

Mais le pire serait à venir, selon Bertrand Pérot du Grand panier bio, qui n’hésite pas à parler d’un « cataclysme » attendu avec l’explosion des factures d’énergie qui vont tomber cette année. « C’est la mort certaine de 80 % des magasins bio — soit 2 000 points de vente — si rien n’est fait », alerte-t-il. Dans son magasin de Clermont-Ferrand, la facture d’électricité va passer de 27 000 à 220 000 euros. Et encore s’agit-il d’une hausse quelque peu réduite grâce à l’« amortisseur électricité », dispositif qui permet aux entreprises de plafonner la moitié de leur consommation.

Il existe bien un système plus avantageux, le bouclier tarifaire identique à celui instauré pour les particuliers, mais la plupart des boutiques bio comme les commerces de bouche ne peuvent pas en bénéficier, ayant un compteur électrique d’une puissance supérieure à 36 kilovoltampères (kVA).

Face à cette situation inédite, les enseignes déploient diverses stratégies de reconquête des clients : « Elles cherchent à mettre en place des promotions ; par exemple, -20 % sur tout un rayon chez Le Grand panier bio, le mois du vrac chez Biocoop, l’installation d’un resto dans certaines boutiques pour attirer le chaland… , liste Erwan Le Fur, rédacteur en chef du magazine spécialisé Circuits bio. Mais il revient surtout au gouvernement de prendre des mesures, comme une TVA à taux réduit ou des campagnes de promotion du bio de plus grande ampleur. »

C’est ce que propose Terra Nova dans son récent rapport : un taux de TVA très réduit à 2,1 % ; la mise en place d’un chèque alimentaire pour les ménages modestes exclusivement affecté aux produits frais, de saison et/ou bio… « En France, nous mangeons sept fois plus de yaourts que la moyenne européenne, rappelle Laure Verdeau de l’Agence bio. C’est parce que les produits laitiers ont su communiquer largement et à des heures de grande écoute sur leurs vertus. On a tous en tête les slogans “Les produits laitiers, des sensations pures” ou “Nos amis pour la vie”. À quand la même chose pour modeler un marché bio avec une demande dynamique ? »

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