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Le Bois du chat, symbole de la lutte entre deux visions de la forêt

Le 6 mars, à Tarnac, deux conceptions de la forêt se sont opposées à l’orée du Bois du chat. Cette forêt de feuillus menacée par une coupe rase illustre la bataille entre représentants de la filière sylvicole et écologistes.

Tarnac (Corrèze), reportage

Pour l’instant, les tronçonneuses n’ont toujours pas eu raison du Bois du chat. La forêt s’éveille aux prémisses du printemps, mais la vie y est en sursis. Jusqu’à présent, les habitants de Tarnac (Corrèze), sur le plateau des Millevaches, ont réussi à faire reculer les machines et les bûcherons. Ils ont bloqué physiquement le chantier à deux reprises et l’ont sauvé, in extremis, de la coupe rase.

Cette forêt diversifiée, classée Natura 2000, est composée de 6 hectares de chênes et de hêtres. Et depuis le début de l’année, elle est devenue le lieu emblématique d’une âpre bataille entre représentants de la filière sylvicole et écologistes.

De nombreux habitants sont excédés par ces coupes qui modifient l’écosystème de la région, dégradent les sols et fragilisent la ressource en eau. Et leur corollaire : la multiplication des plantations de pins douglas, plus rentables.

Les coupes rases ont commencé dans la forêt de feuillus du Bois du chat. Cette forêt classée Natura 2000 est composée de 6 hectares de chênes et de hêtres. © Céline Levain / Reporterre

Lundi 6 mars, deux appels à manifester à l’orée du bois s’étaient superposés. Le premier, à l’initiative de locaux, appelait à « un dialogue » et à une réflexion générale sur nos modes de sylviculture. Le second, à l’appel des exploitants forestiers, invitait à défendre le droit de propriété, les emplois de la filière bois et son intérêt économique. De chaque côté, une centaine de personnes se sont mobilisées.

Gendarmerie et police étaient présentes lors de la double manifestation : l’une organisée par la filière bois, fort remontée, l’autre par les écologistes. © Céline Levain / Reporterre

Les défenseurs de la forêt ont voulu éviter le face-à-face frontal avec des représentants de la filière particulièrement remontés. Dans une tentative de dialogue, une délégation a même été constituée pour aller à leur rencontre, composée d’une dizaine de personnes — des militants, des maires locaux, la députée La France insoumise Catherine Couturier et la porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Chloé Herzhaft. Objectif : réaffirmer qu’elle ne s’oppose pas à des individus ni à des travailleurs mais à un modèle industriel qui détruit le vivant autant qu’il maltraite les humains.

Dans une tentative de dialogue, une délégation de défenseurs de la forêt, dont des élus, a été constituée pour aller à la rencontre des exploitants forestiers. © Céline Levain / Reporterre

Dans une tribune publiée sur Mediapart, les défenseurs du Bois du chat rappellent que la coupe rase n’est en rien irrémédiable. « L’enjeu est de faire évoluer la réglementation nationale pour faire adopter des pratiques forestières respectueuses des humains et des milieux, comme c’est le cas chez nombre de nos voisins européens », écrivent-ils.

Résultats d’une gestion industrielle des forêts, les coupes rases se développent en France. Conséquences : forêts uniformisées, biodiversité en berne, érosion des sols et hausse des températures... © Céline Levain / Reporterre

Depuis 1902, la Suisse a en effet banni les coupes rases de son pays. En 1948, la Slovénie a suivi son exemple et rendu obligatoire « une sylviculture proche de la nature ». Depuis 1975, l’Autriche soumet les coupes de plus de 0,5 hectare à une autorisation spéciale et interdit celles de plus de deux hectares. Plusieurs Länder d’Allemagne ont aussi imposé de fortes restrictions aux coupes rases.

Les échanges étaient tendus entre défenseurs de la forêt et exploitants. Environ 150 forestiers avaient répondu à l’appel du Sefsil (Syndicat des exploitants forestiers scieurs et industriels du Limousin). © Céline Levain / Reporterre

Sur le plateau des Millevaches, les défenseurs de la forêt espèrent que le conflit actuel autour du Bois du chat va prendre une ampleur nationale. Des associations naturalistes ont attesté la présence d’espèces protégées. Des recours juridiques ont été déposés contre les irrégularités de certains aspects du chantier. Par l’intermédiaire du parc naturel régional de Millevaches, ils ont aussi proposé la signature d’un contrat protégeant la forêt avec une compensation financière de l’ordre de 45 000 euros pour la propriétaire. Mais cette dernière, médecin en région parisienne, a refusé cette proposition pour ne pas « geler son patrimoine ».

© Céline Levain / Reporterre

Deux visions du monde s’opposent. La forêt comme source de revenu et la forêt comme « commun » inaliénable. La forêt comme placement financier et la forêt comme lieu à habiter. D’ici à ce que les règles nationales évoluent et qu’une solution soit trouvée pour le Bois du chat, les habitants se disent déterminés à mener leur combat. Il ne reste que quelques semaines à tenir avant la période de nidification, où les coupes sont plus complexes à réaliser.

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