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Climat

Le Conseil d’État pose un ultimatum climatique au gouvernement

Le Conseil d'État a ordonné au gouvernement de prendre de nouvelles mesures en faveur du climat d’ici le 30 juin 2024.

La plus haute juridiction administrative française a demandé le 10 mai au gouvernement de prendre de nouvelles mesures en faveur du climat d’ici fin juin 2024.

Le gouvernement avait jusqu’au 31 mars 2022 pour respecter ses engagements climatiques… et il n’y est pas parvenu. Le 10 mai 2023, le Conseil d’État a jugé que, même si l’exécutif a pris de nouvelles mesures ces derniers mois, « il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible » que l’État réussira à réduire de 40 % — par rapport à leurs niveaux de 1990 — les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays d’ici à 2030. Ce qui est pourtant l’une des conditions pour respecter l’Accord de Paris sur le climat.

La haute juridiction a donc ordonné au gouvernement de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024, et de transmettre dès le 31 décembre 2023 « un bilan d’étape détaillant ces mesures et leur efficacité ».

Le dossier surnommé « l’affaire Grande-Synthe » avance donc. Elle avait commencé en novembre 2018, lorsque Damien Carême, à l’époque maire de Grande-Synthe (Nord) – commune particulièrement exposée aux effets du changement climatiqueavait adressé un recours gracieux au gouvernement pour lui demander de respecter ses engagements. Face à l’absence de réponse des ministres, Damien Carême avait saisi le Conseil d’État en janvier 2019, rejoint par quatre ONG de la campagne juridique l’Affaire du siècle [1] et avec le soutien des villes de Paris et Grenoble.

Lire aussi : Damien Carême : l’élu écolo qui porte plainte contre l’État

Après deux audiences, en novembre 2020 puis en juillet 2021, le Conseil d’État avait conclu que « les mesures actuelles n’étaient pas suffisantes pour atteindre les objectifs de réduction de 40 % des émissions de GES d’ici à 2030 ». Il avait donné neuf mois au gouvernement – jusqu’au 31 mars 2022 – pour conduire les politiques nécessaires (sans préciser lesquelles) à l’atteinte de ses objectifs.

Plus d’un an après, la haute juridiction n’est toujours pas convaincue. Elle remarque la « volonté » de l’exécutif d’atteindre ses objectifs. Mais « le gouvernement doit accélérer », affirme le Conseil d’État.

Bataille de chiffres

Ce dernier a d’abord examiné la courbe des émissions de gaz à effet de serre du pays. Les données provisoires du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa) ont révélé que « jusqu’ici, les objectifs 2019-2023, correspondant à une diminution moyenne des émissions de 1,9 % par an, pourraient être respectés ». Toutefois, en détournant le regard de cette moyenne, et en s’attardant sur les chiffres annuels, la haute juridiction a constaté des résultats très contrastés : -1,9 % en 2019, -9,6 % en 2020, +6,4 % en 2021, et -2,5 % en 2022. Le Conseil d’État a fait remarquer que ces résultats ne pouvaient pas être automatiquement attribués aux actions du gouvernement, et qu’ils pouvaient relever du contexte particulier de ces dernières années : pandémie de Covid-19, baisse de l’activité, crise de l’énergie, etc.

« Le gouvernement doit accélérer »

Vient ensuite une autre bataille de chiffres. Un exercice de simulation réalisé par le Citepa – à la demande du gouvernement – indique que les mesures prises depuis juillet 2017 pourraient permettre d’atteindre une baisse de plus de 38 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030. Soit quasiment l’objectif prévu dans la loi. Mais ce n’est pas l’avis du Haut conseil pour le climat (HCC), instance indépendante créée par Emmanuel Macron en 2018. Dans son rapport de 2022, l’organisation a noté qu’il existe un risque que l’objectif de réduction de 40 % des émissions de GES ne soit pas tenu. D’autant plus que l’objectif européen – auquel la France devra bientôt se conformer – est désormais de -55 % d’ici à 2030.

En outre, le HCC a affirmé qu’un « véritable pilotage reposant sur des indicateurs pertinents, et sur une évaluation systématique de l’incidence des politiques publiques sur le climat, n’[était] toujours pas mis en œuvre ». Et ce, malgré la création d’un Secrétariat général à la planification écologique en juillet 2022. « Puisque l’État ne se dote pas volontairement d’outils de suivi pour mesurer son action en vue de ses objectifs à l’horizon 2030, les juges considèrent que les résultats des modélisations de l’État ne sont pas suffisamment fiables », analyse Greenpeace dans un communiqué de presse.

« Un nouveau désaveu pour l’État »

C’est pour cette raison que, le 10 mai, le Conseil d’État a « enjoint à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions ». Avec l’obligation de produire des éléments justifiant l’adoption de ces mesures, et évaluant leurs effets.

« C’est une épée dans les reins de l’État, pour l’obliger à agir, estime Me Corinne Lepage, l’avocate de la mairie de Grande-Synthe, et ancienne ministre de l’Environnement. Certes, prononcer une astreinte financière [une somme à payer tant que les objectifs ne sont pas remplis] aurait été symbolique. Mais l’objectif n’est pas de punir l’État, c’est de l’obliger à changer. »

« C’est un nouveau désaveu pour l’État, estime de son côté Jérémie Suissa, délégué général de l’association Notre affaire à tous. Cela revient à dire de manière administrative ce que nous disons politiquement : les promesses, ça suffit, maintenant on veut des actes concrets, des politiques publiques qui se déploient sur le territoire et produisent leurs effets. »

En lui donnant rendez-vous le 30 juin 2024, le Conseil d’État donne une dernière chance au gouvernement. Plus de cinq ans après le recours de Damien Carême.

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