Le Nord, « plaque tournante » du trafic d’oiseaux sauvages

Dans le Nord, le chardonneret élégant est très prisé des braconniers. Ici, l'oiseau est délivré d'un lieu de piégeage reconstitué par des agents de l’OFB. - © Stéphane Dubromel / Reporterre
Dans le Nord, la capture d’oiseaux sauvages en vue de les revendre sur le marché noir est particulièrement répandue. Un trafic bien rodé, qui s’étend jusqu’en Belgique.
Saint-Amand-les-Eaux (Nord), reportage
Centre-ville de Saint-Amand-les-Eaux, près de Valenciennes. Une patrouille d’agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) guette l’arrivée d’un homme à l’entrée de son domicile. Le quadragénaire est soupçonné de détenir illégalement des oiseaux pour les revendre. Ces policiers de l’environnement sont munis d’un mandat de perquisition. Elle se révélera fructueuse. Les agents repartent avec une petite cage remplie d’oiseaux : chardonneret élégant, bouvreuil pivoine, verdier d’Europe… autant d’espèces victimes de braconnage dans le nord de la France. Une région qui constitue, aux dires de ces agents de l’OFB, « une plaque tournante de ce trafic ».
« En trente ans de métier, j’ai toujours été confronté au commerce d’oiseaux », dit Alexis Pecqueur, le chef d’enquête de l’OFB chargé du secteur de Valenciennes, Cambrai et Avesnes-sur-Helpe. C’est son équipe qui mène cette perquisition, réalisée au cœur de l’hiver. Selon ses estimations, « environ 1 000 oiseaux ont été saisis dans le Nord depuis 2016 ».

À l’échelle mondiale, le trafic d’animaux sauvages est la quatrième activité de criminalité transnationale organisée la plus lucrative, après celles des armes, des êtres humains et de la drogue, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En France, le braconnage concerne en premier lieu les anguilles, puis les oiseaux.
Dans le Nord, un oiseau est particulièrement prisé : le chardonneret élégant, un petit passereau. C’est l’une des espèces les plus braconnées en France. Le chardonneret figure pourtant sur la liste rouge des espèces « vulnérables », publiée par l’UICN. Cette même organisation indique que sa population a diminué de 40 % en dix ans. En cause : la modification de son habitat naturel du fait de l’urbanisation, des pratiques agricoles et de l’usage des pesticides, mais aussi du braconnage. Si l’ensemble du territoire français est concerné par le phénomène, le nord de la France ainsi que le pourtour méditerranéen demeurent historiquement les zones les plus affectées par le trafic.

Jusqu’à 1 000 euros pour les croisements rares
À l’instar du chardonneret élégant, certaines espèces de la famille des fringillidés sont capturées pour la beauté de leur plumage et la qualité de leur chant. Il existe plusieurs profils de braconniers. D’une part, les collectionneurs. « Leur passion pour les oiseaux remonte souvent à l’époque minière, explique Alexis Pecqueur. Autrefois, les ouvriers descendaient sous terre avec leurs oiseaux, hypersensibles aux émanations de gaz, pour avertir des coups de grisou. Cette tradition ornithologique s’est transmise aux générations suivantes, qui tiennent à avoir des oiseaux chez eux. »
D’autre part, il y a ceux « qui en font un business au marché noir. Il s’agit généralement de personnes liées au milieu de la chasse ou aux revenus modestes qui cherchent à se faire un complément de revenus ». La revente d’oiseaux concerne 55 % des détentions illicites, selon les derniers chiffres disponibles datant de 2015 de l’ONCFS (désormais OFB).

Et ce trafic peut se révéler très lucratif. « Le passereau classique se revend entre 15 et 50 euros, et 150 euros s’il chante bien. Mais beaucoup de braconniers vont encore plus loin : ils n’hésitent pas à enfermer des canaris et des chardonnerets dans la même cage, car ils savent que ces deux espèces peuvent se reproduire. Cela donne naissance à un hybride qui représente une plus grande valeur marchande. Un passereau croisé avec un canari peut se revendre 280 euros, et jusqu’à 1 000 euros pour les mutations les plus rares », explique l’agent de l’OFB.

Dans le milieu, la capture des oiseaux est appelée « la tenderie ». Différentes techniques existent. Alexis Pecqueur se livre à une démonstration dans une friche en bordure d’une zone commerciale, près de Valenciennes. Le lieu n’est pas choisi au hasard : il pullule de chardons, une espèce de plante très appréciée des oiseaux. L’agent de l’OFB dévoile la technique la plus répandue : celle du filet japonais. Il plante deux piquets reliés par un filet bien tendu et quasi invisible. À quelques mètres derrière cette installation, il dépose une cage où est en général placé « l’appelant », l’oiseau chargé d’attirer ses congénères. Si l’un de ces derniers fonce dans le filet, impossible pour lui de se retirer des mailles.
D’autres techniques comme le trébuchet, un piège à planchette basculante, sont utilisées par les braconniers. Du matériel efficace, facilement accessible dans certains commerces, et peu coûteux. À titre d’exemple, un filet japonais coûte une trentaine d’euros.

Trafic transfrontalier avec la Belgique
« Certains braconniers ne s’embêtent même plus et posent leur piège dans leur jardin plutôt que dans la nature. Dans ces conditions, le flagrant délit devient encore plus difficile à constater », explique Alexis Pecqueur. Les braconniers sont en général appréhendés à la suite d’une délation d’un voisin ou à partir d’informations recueillies par les associations de protection des oiseaux. Le trafic a aussi investi internet. Les agents opèrent une veille régulière sur les réseaux sociaux ou les sites de petites annonces en ligne, à l’affût d’une vente douteuse.

Autre arrière-boutique dans leur viseur : les concours de chant et de beauté. Certains ont encore lieu dans le nord de la France, mais la plupart se déroulent en Belgique. « Ici, les oiseaux vainqueurs peuvent se monnayer très cher », souligne Olivier Huyvaert, agent de l’unité antibraconnage du Département de la nature et des forêts, l’équivalent belge de l’OFB. Une collaboration étroite existe entre les agents de l’OFB et leurs homologues belges. Car le trafic sévit des deux côtés de la frontière.
Selon l’ONG WWF, la Belgique joue même un rôle important en Europe dans le commerce illicite d’oiseaux sauvages. La faute à une législation « trop laxiste », selon Olivier Huyvaert. « Depuis 2003, une dérogation permet la détention de certaines espèces sauvages à condition d’avoir acheté l’oiseau dans un élevage, explique-t-il. Les oiseaux autorisés à la vente sont munis d’une bague pour attester de leur lieu d’élevage d’origine. Mais les braconniers profitent de cette tolérance pour acheter des bagues non homologuées et les enfiler aux oiseaux capturés pour donner le change. Si cette pratique était avant grossièrement réalisée, elle se professionnalise aujourd’hui. Il faut désormais vérifier à la loupe pour détecter la fraude. »
Une réponse pénale insuffisante
Des oiseaux frauduleusement bagués en Belgique ont parfois ensuite été retrouvés lors de perquisitions dans le nord de la France, preuve que le trafic traverse bien la frontière. Une difficulté supplémentaire pour les agents de l’OFB, soumis à un manque d’effectif chronique. « Le trafic d’oiseaux pourrait représenter un poste à plein temps, affirme Alexis Pecqueur. Mais on a un tas d’autres missions à assurer avec seulement quatre agents. On fait avec les moyens du bord. »
En France, la détention d’oiseaux sauvages est permise à condition d’obtenir un certificat de capacité. Cinq capacitaires seulement, à ce jour, en sont détenteurs dans le Nord. Les braconniers encourent en revanche trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas de détention illicite, de capture ou de revente d’espèces protégées. « De manière générale, s’ils sont perquisitionnés, ils risquent 500 ou 1 000 euros d’amende. Dans les quelques cas les plus graves ou pour les récidivistes, quelques mois de prison avec sursis, mais c’est très rare », informe Alexis Pecqueur. Pas vraiment de quoi, selon lui, refroidir les ardeurs des trafiquants.