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ReportageNature

L’Office français de la biodiversité est en crise, une réserve naturelle en pâtit

Un gorgebleue à miroir mâle fraîchement bagué.

L’Office français de la biodiversité ne devrait plus s’occuper de la remarquable réserve naturelle Massereau-Migron, en Loire-Atlantique. Ce désengagement est symptomatique de la mauvaise santé de l’organisme. La biodiversité en pâtit, tout comme les agents de terrain.

Réserves du Massereau-Migron (Loire-Atlantique), reportage

« Rousserolle effarvatte… Bague 346… Première année… 65 d’aile… Adiposité 2… » Dans la cabane du Massereau, les petits oiseaux défilent dans les mains des bagueurs, à quelques pas de la Zad du Carnet et de la centrale à charbon de Cordemais. Tout autour, roselières, canaux, prairies, haies et petit bois forment l’essentiel du paysage, épargné par l’urbanisation. Voilà le décor des deux réserves de chasse et de faune sauvage (RCFS) du Massereau-Migron, propriété du Conservatoire du littoral, sur la partie sud de l’estuaire de la Loire, un vaste espace protégé de 700 hectares — qui n’est pas chassé. Ce dernier est géré par l’Office français de la biodiversité (OFB).

Las, plus pour longtemps. « On plie bagage, au détriment depuis bientôt cinquante ans de présence sur ces réserves. Or l’estuaire de la Loire est une zone humide d’importance internationale », regrette Michel Guénézan, conservateur des réserves naturelles et membre du Syndicat national de l’environnement (SNE-FSU). Si l’OFB plie bagage, c’est en raison d’un manque d’effectifs. À l’été 2022, ce sera la retraite pour M. Guénézan. Un coup dur au sein de la direction régionale Pays de la Loire. Malgré les annonces du gouvernement lors du Congrès mondial de la nature, qui assurait renoncer à supprimer 40 postes à l’OFB l’an prochain grâce à la pression des syndicats, le non-remplacement du conservateur est toujours d’actualité. Bien que 47 postes ont été sanctuarisés en 2020, 20 équivalents temps plein ont en effet été supprimés en 2021. « Le gel [annoncé] des suppressions de poste est loin de suffire », s’agace la CGT Environnement, qui demande la création de 500 postes à l’OFB dès 2022.

Un agent bague une bouscarle de Cetti, un petit passereau. © Élie Ducos/Reporterre

Ainsi, dès l’an prochain, l’OFB se désengagera de la gestion du Massereau-Migron. La perte de cet espace naturel est symptomatique des problèmes de gestion de l’organisme… et du manque de considération du gouvernement pour la préservation de la biodiversité. « Le suivi des passereaux est un indicateur primordial sur l’évolution de la biodiversité, mais ça ne semble pas les intéresser », souffle un agent. « Cette politique de suppressions d’emplois à l’OFB est en totale contradiction avec ce qu’annonce le Giec [le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] et les catastrophes que l’on risque de vivre dans les années à venir », résume Michel Guénézan. En contradiction, aussi, avec les « effets d’annonce » de l’État, comme les qualifie le conservateur, lors de la création de l’organisme en 2020. « On allait soi-disant donner les moyens à l’État pour mieux gérer nos espaces naturels, mais c’est beaucoup d’affichage. »

La réserve du Massereau, tout comme celle de Migron, est une zone humide d’importance internationale. © Élie Ducos/Reporterre

Le camp de baguage d’oiseaux mis en place chaque mois d’août, depuis 1993, est donc sérieusement menacé par le départ de l’OFB, car cette activité demande des moyens humains et matériels bien spécifiques. Il est pourtant l’une des clés de voûte de la gestion du Massereau-Migron et figure parmi les camps de référence au niveau national. Il répond au Plan national d’actions (PNA) en faveur du phragmite aquatique : ce petit oiseau nicheur en Europe de l’Est, évalué « passereau le plus menacé d’Europe », dépend des zones humides atlantiques comme celle-ci lors de ses haltes migratoires. Certaines années, le Massereau-Migron est, après la Camargue, le deuxième site français d’hivernage des sarcelles d’hiver, dont les effectifs (6 000 à 8 000 individus) sont suivis chaque année. D’autres missions y sont menées, comme la régulation des sangliers et ragondins ou les suivis d’oiseaux communs. Le lien est fort avec les éleveurs, en convention avec le Conservatoire du littoral pour le pâturage des vaches.

« Ceux qui nous dirigent ne sont pas proches du terrain », résume le conservateur Michel Guénézan.

Celui-ci se dit « surpris », et « regrette ce désengagement de l’OFB mais respecte ce choix ». « Comme dans tous les établissements publics, il y a une baisse de moyens, dit la directrice régionale de l’OFB. La décision n’a pas été prise de gaieté de cœur. On n’abandonne pas la réserve ». Mais selon l’actuel conservateur, M. Guénézan, « Il est évident qu’on abandonne notre présence sur l’estuaire de la Loire ».

Des chasseurs qui veulent être reconnus comme « partenaires écologistes »

L’abandon de la réserve ne fait pas le malheur de tous : « Les chasseurs font plus que pression. La fédération départementale des chasseurs veut intégrer au site deux autres RCFS, afin de mettre la main sur l’ensemble de ces espaces dans l’estuaire de la Loire, dit un agent. Elle a le souhait d’être reconnue comme un vrai partenaire écologiste. » Pari bientôt gagné : une réunion tenue mi-septembre a confirmé que le conseil départemental de Loire-Atlantique, déjà gestionnaire des 2 700 hectares du Conservatoire du littoral dans l’estuaire, coordonnera la gestion en lieu et place de l’OFB avec la participation de la fédération départementale des chasseurs (FDC 44).

Un phragmite aquatique. © Élie Ducos/Reporterre

Un départ qui va engendrer des conséquences sur la gestion déjà difficile de la biodiversité locale. Jusqu’en 2011, le site accueillait la deuxième population française (aujourd’hui disparue) du râle des genêts [1], un oiseau menacé qui vit au sol, dans les prairies humides. La fauche doit être centrifuge et lente, pour laisser le temps aux râles de s’échapper, mais celle-ci est de plus en plus souvent sous-traitée à des entreprises qui, rendement oblige, fauchent plus vite. Une fauche qui, en plus, a été repoussée de mai à mi-juillet alors qu’il y a des oisillons. « La disparition du râle des genêts au Massereau est symptomatique », pointe Michel Guénézan. Les agriculteurs respectent des mesures dictées par la politique agricole commune (PAC) qui ne sont pas assez ambitieuses. Et cela augmente, sur le terrain, le malaise et la perte de sens vécus par les agents de défense de la biodiversité.

Les suicides d’agents de l’OFB se multiplient

« Je ne vois pas où va cet établissement, j’ai le sentiment que ceux qui nous dirigent ne sont pas proches du terrain », résume Michel Guénézan. Depuis quelques mois, les suicides d’agents se multiplient au sein du service public de l’environnement [2]. Ces morts révèlent le mal-être global des fonctionnaires due également à la nébuleuse gestion de l’OFB. Créé en janvier 2020, l’Office résulte de la fusion entre deux établissements éloignés, l’Agence française de la biodiversité (AFB) et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). « Les services croulent sous le travail, constatait Force ouvrière dans un communiqué, et la direction de l’OFB use et abuse de ce qui a fait la force des établissements fondateurs : la passion et l’enthousiasme qui se transforment aujourd’hui en marasme généralisé ». « L’OFB doit impérativement s’interroger sur sa part de responsabilité, demandait la CGT Environnement le 2 septembre lors d’un entretien avec la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Abba. On ne peut écarter un message de la part des collègues disparus. » À la suite du dernier drame, en août dernier dans les Alpes-Maritimes, un courriel interne de la direction balayait hâtivement cette hypothèse — une réaction jugée indécente par de nombreux agents.

Le mal-être au travail des agents de défense de la biodiversité est dénoncé depuis de nombreuses années.

D’ici novembre, une convention sera proposée aux différents gestionnaires. « On aura tout le monde autour de nous, notamment les agriculteurs », assure Dany Rose, le président de la fédération de chasse, qui se veut rassurant. Dans un courriel interne que Reporterre a pu consulter, la directrice régionale de l’OFB donne le ton des négociations en cours. « Les conditions de maintien du programme scientifique de baguage sont au cœur de ces échanges, comme le maintien d’autres suivis auxquels participe actuellement l’OFB, écrit-elle. À chaque occasion, l’OFB souligne l’importance du maintien de ces suivis. » La gestion par le Conseil départemental devrait être appuyée par la FDC 44 avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’association locale ornithologique Acrola. « On peut arriver tous ensemble à faire encore mieux », insiste M. Rose. Pas de quoi soulager les agents de l’OFB. Le Massereau et le Migron « seront probablement les seules réserves que l’on perdra », précise la direction régionale à Reporterre. D’après nos informations, rien n’est moins sûr : au moins un autre espace naturel géré par l’OFB ailleurs en France pourrait connaître le même sort l’année prochaine.

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