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Le combat des ouvriers verriers de Givors, décimés par les cancers professionnels

Les cas de cancers et les décès se multiplient parmi les anciens verriers de Givors, au sud de la métropole lyonnaise. Depuis la fermeture de leur usine, en 2003, ils demandent réparation pour avoir été exposés à un cocktail de produits cancérogènes. Un combat judiciaire lancinant, dont la prochaine étape aura lieu le 29 novembre.

Cet article de Médiacités est publié en partenariat avec Reporterre.


« Douze ans de combat », souffle-t-elle. Au printemps dernier, Mercedes Cervantes a obtenu que la cour de cassation de Lyon reconnaisse enfin le dernier cancer de son défunt mari, Christian, comme maladie professionnelle. Une annonce bien tardive, cinq ans après la mort de ce syndicaliste, et trois ans après la reconnaissance de son premier cancer. Devenu une icône du combat des verriers de Givors, le cas de Christian Cervantes fera jurisprudence. Mais les démarches judiciaires ne sont pas finies pour autant. O-I Manufacturing, filiale d’un groupe états-unien et dernier repreneur de la verrerie BSN Glasspack à Givors (métropole de Lyon), est toujours poursuivie dans ce dossier pour « faute inexcusable », une disposition du code de la Sécurité sociale.

Depuis la fermeture du site en 2003, les anciens verriers sont frappés de diverses pathologies, liées selon eux à des conditions de travail dantesques et au manque de protection. En 2009, la famille Cervantes a décidé de mener l’enquête en envoyant aux anciens salariés un questionnaire au résultat révélateur. « Sur 208 réponses, il y avait 92 cas de cancers. On a creusé et on a découvert une cinquantaine de produits cancérogènes utilisés », raconte Laurent Gonon, un ami comptable qui épaule depuis le début l’association des anciens verriers de Givors. Et de s’emporter : « Les gars sentent que c’est une injustice et ils se battent pour les autres aussi. »

Amiante, chrome, hydrocarbures, arsenic, etc.

Éprouvés, mais pas vaincus, les verriers se bagarrent pour faire reconnaître leur exposition aux produits toxiques (amiante, chrome, hydrocarbures, arsenic, etc.), leurs maladies professionnelles, leur préjudice d’anxiété ou pour obtenir une surveillance médicale. Aujourd’hui, Laurent Gonon a encore huit nouveaux dossiers de demande d’indemnisations sur la table, sans parler du suivi des soixante verriers aux prud’hommes ou de la procédure en cours pour faire reconnaître le site de l’usine comme zone amiantée. « C’est un cas symbolique. Le taux de cancer chez des personnes jeunes est plus élevé chez les verriers, pointe leur avocat, Me François Lafforgue, remarqué par ailleurs pour avoir fait condamner le géant états-unien des pesticides Monsanto. De la même façon que les mineurs de l’Est, ils ont été exposés à de très nombreux produits cancérogènes. Les ouvriers-verriers font partie des catégories professionnelles oubliées. »

Depuis le début de leur combat, les ouvriers se heurtent comme à un mur au groupe O-I Manufacturing et à la caisse primaire d’assurance maladie. Les avocats de l’ancien employeur serinent que l’origine professionnelle de ces pathologies ne peut être prouvée. Une stratégie classique dans ce genre de procès. À Givors, on se serre les coudes. À chaque audience, les militants se déplacent en groupe au palais de justice.

Les affaires reprendront le 29 novembre prochain devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Vienne, à l’occasion d’une audience pour une reconnaissance de maladie professionnelle. François Lafforgue défendra alors l’ancien verrier Maurice Bonne, victime entre autres d’un cancer de l’œsophage. En décembre, les plaignants se rendront ensuite à la cour d’appel de Lyon pour demander la délivrance d’attestations d’expositions à l’amiante et aux produits chimiques.

En attendant, imperturbables, les anciens se réunissent tous les vendredis à la permanence de l’association pour prendre le café, gérer les dossiers, les garanties obsèques en cours. Avoir une pensée pour le dernier camarade à enterrer. En face de leur petit local se dresse, comme effrontée, la cheminée de briques rouges, dernier vestige de la verrerie. Leur lutte a de quoi faire trembler dans la région. En plein cœur de la vallée de la chimie, obtenir gain de cause ouvrirait la boîte de Pandore. Les ouvriers n’espèrent qu’une chose : donner l’exemple à leurs collègues des autres usines de la région.


« C’ÉTAIT GERMINAL »

Mercedes Cervantes.

Mercedes Cervantes est la veuve de Christian Cervantes, ancien verrier mort en 2012 à la suite de deux cancers. Après des années de lutte, la justice a reconnu les pathologies de son mari comme maladies professionnelles. Sa famille poursuit toujours O-I Manufacturing, dernier repreneur de la verrerie BSN à Givors, pour « faute inexcusable ».

Mercedes Cervantes.

« JE SUIS UN SURVIVANT »

Vincent Rizzi.

Vincent Rizzi a travaillé 42 ans en verrerie, à un des postes les plus difficiles de l’usine. Au sein du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), il s’est battu pour faire améliorer les conditions de travail.

Vincent Rizzi.

« L’AMIANTE, C’EST DE L’AMIANTE »

Jean-Claude Moioli.

À 68 ans, Jean-Claude Moioli est le président de l’Association des anciens verriers de Givors. Issu d’une famille de verriers, il a conservé des objets rappelant ses difficiles conditions de travail.

Jean-Claude Moioli.

« J’Y AI RETROUVÉ LA CHALEUR DU SAHARA »

Nicole et Roland Sorbier.

Nicole et Roland Sorbier ont apporté un vieux bleu de travail. Après 38 ans de verrerie, Roland reste marqué par la chaleur infernale de la verrerie. Il se montre fataliste sur son sort, mais sa femme s’inquiète pour son suivi médical.

Nicole et Roland Sorbier.

« LE PCB, C’ÉTAIT LE TRUC À LA MODE »

Georges Croseille.

Chez les Croseille, on est verrier de génération en génération. Georges, lui, a servi à l’usine au service électricité, à l’époque du PCB et de l’amiante. Aujourd’hui, il attend que son ancien employeur reconnaisse sa responsabilité et le manque de protections des ouvriers.

Georges Croseille.

« UNEDAILLE, AU PRIX DE LA SANTÉ »

Maurice Privas.

Maurice Privas, 35 ans de service à l’usine, est suivi psychologiquement depuis la déclaration de son premier cancer. Le Prozac l’aide à ne pas sombrer. La justice n’a pas encore reconnu son préjudice d’anxiété lié à l’amiante.

Maurice Privas.

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