« Le discours de Macron est un tournant dans la politique agricole »

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Agriculture AlimentationEmmanuel Macron a prononcé mercredi 11 octobre un discours sur l’agriculture. Annonçant des mesures qui satisfont la Confédération paysanne, comme nous l’indique Nicolas Girod, secrétaire national du syndicat.
« Un changement profond de paradigme » : voilà ce qu’a prôné le président de la République hier mercredi 11 octobre lors de son premier grand discours sur la politique agricole et alimentaire française. Afin de tirer un bilan à mi-parcours des États généraux de l’alimentation, Emmanuel Macron avait donné rendez-vous sur le carreau des producteurs de Rungis aux représentants des paysans, industriels, distributeurs, de la société civile et des consommateurs. Il a fixé un cap à une réforme en profondeur de l’agriculture, à travers deux mesures structurantes qu’il entend faire passer par la loi, voire par des ordonnances :
- « La mise en place d’une contractualisation rénovée » : le prix des denrées agricoles devra se baser sur le coût de production, afin de garantir un revenu aux agriculteurs ;
- Une forte incitation à la structuration des filières, produit par produit, avec des objectifs de montée en qualité (bio, label rouge, plein air).
Alors que les ONG représentant la société civile et certains syndicats agricoles, réunis dans la plateforme pour une transition agricole et alimentaire, s’inquiétaient en début de semaine de la place prise par l’agro-industrie dans ces États généraux, ce premier discours les a — en partie — convaincus. C’est ce qu’explique à Reporterre Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne.

Reporterre — Quelle impression générale vous a fait ce discours ?
Nicolas Girod — Une sensation bizarre. On s’attendait à ce qu’Emmanuel Macron prenne un peu de hauteur à la suite de ce premier chantier des États généraux. Mais pas à ce qu’il reprenne autant de nos positionnements. Une loi pour que les producteurs soient mieux rémunérés est une de nos demandes fortes. Nous portons depuis longtemps le fait qu’il faut une prise en main politique de l’agriculture et un changement de modèle. Dans son discours, Emmanuel Macron a donc utilisé des mots qui résonnent fortement à nos oreilles.
Une bonne surprise, mais vous n’allez pas vous arrêter au discours…
Effectivement. Emmanuel Macron renvoie aussi beaucoup à la responsabilité des filières et des interprofessions. Donc, toute la question est de voir comment les interprofessions, et les parlementaires pour le côté législatif, vont s’emparer de ce discours pour transformer l’essai.
M. Macron a évoqué deux mesures phares. La première consiste à inverser le rapport de force, et que ce soient les producteurs qui proposent les contrats, et les prix auxquels sont achetés leurs produits. Qu’en pensez-vous ?
Que l’on inverse la formation des prix, cela nous semble très intéressant. Cela veut dire écrire dans les contrats que c’est le coût de revient, et non la volatilité des marchés, qui fait le prix. C’est central. En revanche, l’inversion du contrat, qui serait désormais proposé par les producteurs à leurs acheteurs, nous semble présenter un risque. En particulier pour le lait, on peut imaginer que dans certains endroits où les prix de collecte sont élevés, parce qu’il n’y a pas beaucoup de producteurs, ou parce qu’une entreprise a décidé de moins s’y rendre, que l’acheteur refuse les contrats proposés par les producteurs. Alors que jusqu’à maintenant, il y avait obligation de collecte, l’entreprise se devait de proposer un contrat au producteur.
Deuxième mesure phare, Emmanuel Macron a beaucoup parlé de la « structuration des filières ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Nous comprenons que cela signifie que les filières doivent se prendre en main pour arriver à répondre aux attentes sociétales en matière d’environnement, de durabilité, d’alimentation, et au défi de la production. Il a insisté sur le fait qu’il fallait faire le choix de la transition agricole, et arrêter d’aller vers certains modèles qui ne répondent pas à la demande sociétale. Mais pour cela il faut que dans ces filières, les paysans reprennent ce discours à leur compte et c’est là où on est dubitatif : certains paysans ne sont pas prêts à aller jusque-là. Donc cela ne fonctionnera que si l’on renforce la pluralité syndicale, et que les filières sont ouvertes à la société civile et aux consommateurs d’une part, et aux distributeurs d’autre part.
Vous critiquez souvent la gouvernance du monde agricole, centralisée autour d’un syndicat, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Si les filières sont dirigées de la même manière, on a du mal à imaginer que cela puisse évoluer…
C’est le gros risque que l’on a vu derrière les mots très intéressants de ce discours : que rien ne bouge si les filières restent comme elles sont, avec les mêmes personnes et les mêmes objectifs en tête.
Plus généralement, quelle vision du modèle agricole et alimentaire se dégage selon vous de ce discours ?
Pour nous, Emmanuel Macron est toujours dans l’idée qu’il y a plusieurs modèles de production et qu’il ne faut pas chercher à les opposer. Mais il a quand même pointé certaines filières, en particulier celles du porc et du poulet, qui sont hyper-industrialisées et majoritairement tournées vers l’export à faible valeur ajoutée. Il me semble que dans ces mots là il y a la remise en cause d’un certain système agro-industriel.
Il n’a pas franchi de ligne rouge, à part sur les accords de libre-échange. Il a parlé du Ceta [accord avec le Canada] et du Mercosur [accord avec l’Amérique latine], en expliquant qu’ils pouvaient être bénéfiques et que les normes européennes et françaises seraient préservées. Nous ne sommes pas d’accord.
Voyez-vous dans ce discours un tournant, notamment par rapport aux mesures prises jusqu’ici par le gouvernement avec la suppression des aides au bio, ou le cafouillage sur le glyphosate ?
C’est complètement un tournant de la politique agricole, en comparaison avec ce qui a été acté jusqu’à maintenant par le gouvernement. J’y vois un un recadrage de Stéphane Travert et du gouvernement dans son ensemble. J’espère que la politique gouvernementale va embrayer à la suite de ce discours.
Vous évoquiez la possibilité de vous retirer des États généraux de l’alimentation. Qu’allez-vous faire ?
On doit débattre ce jeudi 12 octobre du sujet en comité national. Mais on a obtenu la mesure principale que l’on demandait, à savoir un acte législatif. Donc pour ma part je ne vois pas de frein particulier à ce que l’on participe au deuxième chantier des états généraux.
- Propos recueillis par Marie Astier