Les États généraux de l’alimentation déçoivent les paysans et les écologistes

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Agriculture Politique AlimentationCet après-midi, mercredi 11 octobre, le président de la République doit prendre la parole pour faire le bilan de la première partie des États généraux de l’alimentation. Tant sur la forme que sur le fond, le monde écolo et paysan reste dubitatif. Certains pourraient se retirer des discussions.
« Comment éviter un échec des États généraux de l’alimentation ? » C’est la question, posée par les 50 organisations de la plateforme « pour une transition agricole et alimentaire ». Elles prennent la parole alors que ce mercredi 11 octobre, à 16 h au marché de Rungis, se tiendra la scène finale de l’Acte 1 des États généraux de l’alimentation : le président de la République établira un premier bilan des discussions entamées depuis fin août.
Une intervention, donc, particulièrement attendue. Elle devrait permettre de savoir ce que le gouvernement retient comme pistes de réponses au sujet premier chantier : « la création et la répartition de la valeur ». Au cœur du sujet, le revenu des agriculteurs, et les relations commerciales tout au long de la chaîne depuis le producteur jusqu’au consommateur.
« Le diagnostic de départ, qui est que la rémunération des paysans n’est pas suffisante, nous paraissait plutôt juste, relate Nicolas Girod, paysan et secrétaire national de la Confédération paysanne. Il semblait même partagé par tout le monde. Mais au fur et à mesure, les discussions ont glissé vers moins de prise en compte des problématiques paysannes et plus de prise en compte de celles des industriels », regrette-t-il.
Une impression qui résume celle de beaucoup d’autres membres de la plateforme pour une transition agricole et alimentaire, qui s’inquiètent de la direction que prennent ces États généraux « tant dans leur format que sur le fond des sujets », ont-il expliqué mardi 10 octobre. Parmi les membres de ce rassemblement, des syndicats paysans comme la Confédération Paysanne ou la Fnab (fédération nationale de l’agriculture biologique), des ONG de solidarité comme Action contre la faim ou le CCFD Terre solidaire, des associations environnementales comme Générations futures (pesticides), France Nature Environnement ou le RAC (Réseau action climat), des mouvements agricoles de terrain tels que le Miramap (union des Amap), etc.
« On se demande où est la cohérence »
« Nous avons fait le bilan entre nous, et nous avons dégagé plusieurs constats communs », explique Cyrielle Denarthig, chargée des questions agricoles au Réseau action climat (RAC).
Sur la forme d’abord, « on se demande où est la cohérence, poursuit-elle. On organise des États généraux pour discuter et pendant ce temps-là, une quantité de décisions politiques sont prises sur les questions agricoles et alimentaires : les aides au maintien de l’agriculture biologique sont supprimées, le Ceta [traité de libre-échange avec le Canada] entre provisoirement en vigueur et le gouvernement n’est pas clair sur la question du glyphosate. » Une contradiction fortement ressentie à la Fnab, Fédération nationale de l’agriculture biologique : « Nous on considérait que la bio répondait aux objectifs des États généraux de l’alimentation : créer des revenus pour les paysans, de la valeur, et une alimentation de qualité. Mais il n’y a pas d’ambition », regrette la présidente du syndicat Stéphanie Pageot.
La finalité de cette lourde organisation reste aussi incertaine : cela va-t-il aboutir à une loi ? Quelques mesures par-ci par-là ? Et surtout, comment le gouvernement tranchera-t-il en fin de course entre des propositions et visions de l’avenir de l’agriculture forcément contradictoires ?
Quant au cadre des discussions, Reporterre avait déjà relaté les questionnements sur le choix des présidences d’atelier, où l’on constatait une forte présence de l’agro-industrie. Mais il était encore difficile de juger l’impact de ces présidences sur la tenue des débats. Finalement, les retours des participants sont très divers en fonction des ateliers. « Les débats étaient vraiment intéressants et les intervenants pouvaient parler librement », note Nicolas Girod. « Il était laborieux de se faire entendre, voire même d’être pris au sérieux », a de son côté observé Cyrielle Denarthig dans un autre atelier. « Quand on souhaitait prendre de la hauteur, la présidente d’atelier nous coupait la parole pour dire qu’il fallait des mesures concrètes et positives. Donc des mesures bordées, ciblées, qui ne froissent personne. »
« Surtout, le plus difficile n’était pas tant de se faire entendre que de voir nos propositions reprises dans les conclusions des ateliers », poursuit-elle. Car ce sont les synthèses de chaque atelier, comprenant des propositions « concrètes » et faisant consensus, qui ont été demandées et remises au gouvernement. « Dans notre atelier, elles avaient été rédigées par la présidence et comprenaient des propositions, notamment sur les agrocarburants, qui faisaient dissensus », dénonce encore Cyrielle Denarthig.
Des « frustrations » que la coprésidente de cet atelier 3 sur la « bioéconomie » et « l’économie circulaire » attribue à une mauvaise compréhension des objectifs. Karen Serres est agricultrice et présidente du réseau Trame, une association d’agriculteurs et de salariés du monde agricole. « On avait à cœur de laisser beaucoup de temps pour les débats, mais le cadre était contraint, rappelle-t-elle. Il s’agissait de trouver des propositions concrètes permettant de créer plus de valeur. Les idées prônant des interdictions, des contraintes supplémentaires, ou les postures politiques ne rentraient pas dans le cadre. »
« La consigne est de ne pas trancher entre les modèles »
Un désaccord sur le cadre, qui révèle en fait un dissensus de fond. Par exemple sur les questions d’innovation. Stéphanie Pageot, agricultrice et présidente de la Fnab (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), s’en est rendu compte dès la deuxième réunion de l’atelier 14, sur les investissements dans l’avenir dans l’agriculture. « Je suis tombée des nues, raconte-t-elle. On a commencé à nous proposer des semences issues des nouvelles biotechnologies, que l’on considère comme des OGM. On nous propose une gestion « décomplexée » de l’eau, qui consistait, en gros, à prendre tout pour l’agriculture et rien pour les autres... »
Des désaccords peu surprenants, finalement, vu les visions opposées qui s’affrontent dans le monde agricole. Mais c’est le refus d’arbitrer qui frustre le plus les associations. « Il faut dire qu’il y a des modèles qui ne se valent pas, qu’il y a des systèmes en échec du point de vue économique et de la santé, mais ce n’est pas le cas », insiste Stéphanie Pageot. « On a le sentiment que la consigne est qu’il ne faut pas trancher entre les modèles, il n’y a pas de place pour des politiques structurantes qui pourraient entraîner un changement profond de l’agriculture », estime Cyrielle Denarthig.
Dans ce cadre-là, certains se posent la question de continuer à participer à la deuxième partie de ces États généraux de l’alimentation. C’est le cas de la Confédération paysanne : « Cela demande de gros moyens militants et salariés. Il faut qu’on sente que des lignes bougent », indique Nicolas Girod. La Fnab est sur la même position.
Tout va dépendre des annonces d’Emmanuel Macron. « Le choix d’aller à Rungis pour faire son discours n’est pas très rassurant : c’est un lieu où l’on échange de gros volumes à prix tirés... » note Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne. « Après, paraît-il que le faire dans une ferme était logistiquement trop compliqué. Je comprends aussi. »
De son côté, l’Élysée a donné quelques pistes hier. Le Président souhaiterait un « changement de philosophie » dans les négociations commerciales entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Pour cela, les agriculteurs seraient encouragés à se structurer en filières afin de renverser le rapport de force. Une augmentation des prix pour le consommateur est aussi assumée, avec l’espoir que cette valeur supplémentaire se répartira tout au long de la chaîne, et en particulier jusqu’au producteur.
Laurent Pinatel n’est pas encore convaincu par ce qu’il a pu percevoir des intentions présidentielles : « En gros, Emmanuel Macron nous a fait comprendre qu’on était assez grands pour s’entendre entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Mais nous, on considère que si on ne contraint pas industriels, cela ne fonctionnera pas. Il y a 450.000 agriculteurs et seulement 4 centrales d’achat pour la distribution. Avec des relations aussi déséquilibrées, on ne peut pas s’en remettre à bonne volonté de chacun... »
AU FAIT, QU’EST-CE QUE LES ÉTATS GÉNÉRAUX DE L’ALIMENTATION ?
Ce grand débat sur l’alimentation en France vise à rassembler autour d’une même table « l’ensemble des parties prenantes : producteurs, industries agroalimentaires, distributeurs, consommateurs, restauration collective, élus, partenaires sociaux, acteurs de l’économie sociale, solidaire et de la santé, organisations non gouvernementales, associations (...), banques, assurances... », listait dans sa présentation Matignon.
Deux thèmes pour deux « chantiers » successifs ont été retenus : « la création et la répartition de la valeur » pour le premier chantier, « une Alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous » pour le deuxième. Le premier s’est achevé fin septembre. Les discussions ont été réparties entre 7 ateliers, certains rassemblant jusqu’à 60 participants de tous bords.