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Le mouvement écolo ne reflète pas la diversité de la population

Le constat est incontestable : les mouvements écologiques sont essentiellement portés par des Blancs. Comment l’expliquer ? Reporterre a posé cette question à des militants écolos blancs et à des militants noirs et arabes issus des quartiers populaires.

Première bonne nouvelle, personne ne nie les faits. « Oui, comme dans plein d’autres mouvements en France, les militants d’ANV-COP21 sont majoritairement blancs », affirme par exemple Jon Palais, visiblement préoccupé par cette situation. « Il faut que notre mouvement représente mieux la société, ce n’est pas encore le cas », enchérit Jean-François Julliard, de Greenpeace.

Car parler de « blanchité », c’est ne voir que par un petit bout de la lorgnette. Hadrien Malier, doctorant en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales, travaille sur la sensibilisation des familles de classes populaires aux modes de vie écologiques. Selon lui, il s’agit de « souligner la faible représentation des membres des classes populaires parmi les militants. L’écologie est pour l’instant restée un mouvement de classes moyennes, aussi bien électoralement que dans la composition sociale de ses militants ».

Cela dit, est-ce vraiment une spécificité du mouvement écolo ? Non, selon Jon Palais : « On pourrait en dire autant de bien des mouvements sociaux en France, par exemple contre les lois Travail, qui ne reflètent pas non plus la diversité de la population française. Je pense que c’est une question qui concerne le mouvement français progressiste, écologiste et solidaire dans son ensemble. » Hadama Traoré, militant d’Aulnay-sous-Bois (en Seine-Saint-Denis) et fondateur du mouvement la Révolution est en marche, va dans ce sens : « Dans tous les sujets, il n’y a que des Blancs. Au congrès de l’Union sociale pour l’habitat, au Front social, même à la Zad, il n’y a que des Blancs. »

« Quand vous avez du mal à payer à manger à vos enfants, qu’est-ce que vous en avez à faire, de l’environnement ? » 

Certes. Mais ne diluons pas le problème. « En France, historiquement, le mouvement écolo est plutôt porté par les classes moyennes, depuis le mouvement de retour à la terre après 1968, très blanc, jusqu’à l’écologie urbaine d’aujourd’hui, très blanche aussi », rappelle Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart. Aux Amis de la Terre, association née avec cette première vague, Sylvain Angerand ne dit pas autre chose. « Depuis les années 1970, notre énorme plus-value, c’est de faire bouger les lignes, d’agiter des idées. Mais sans être forcément populaire. »

Manifestation pour la justice climatique, à Paris, le 12 décembre 2015.

Alors, serait-ce propre à l’écologie ? « C’est sûrement de notre faute, on n’a jamais réussi à porter notre discours dans toutes les parties de la société », avoue Jean-François Julliard. Mais attention, avertit Juliette Rousseau, à ne pas faire « comme si les quartiers étaient des espaces non politiques qu’il s’agirait d’aller politiser et intégrer ».

D’après cette ancienne porte-parole de la Coalition climat 21, il s’agit clairement d’une « question de classes » : « Le mouvement climatique a des considérations et des enjeux de Blancs de classes moyennes. » C’est-à-dire de personnes qui n’ont pas à traiter avec des questions de racisme, de violences policières, d’accès à l’emploi, à un logement, aux services publics, etc. « Lorsque vous vivez dans un contexte social et économique difficile, que vous avez du mal à payer à manger à vos enfants, qu’est-ce que vous en avez à faire, de l’environnement ? » résume Hadama Traoré.

Pour autant, les préoccupations dites « écolos » ne sont pas absentes des quartiers. « Nos parents, des Noirs et des Arabes, qui sont issus de l’immigration, étaient des fermiers. Au bled, ce sont des paysans. Dans notre religion, on respecte la nature. Donc, nous sommes écolos », poursuit l’habitant d’Aulnay-sous-bois. Simplement, l’écologie passerait à l’arrière-plan. Une « question de priorité », et d’« urgence sociale ».

« Le mouvement écologique a tendance à penser l’être humain comme une espèce dont le mode de vie déséquilibre son écosystème, ce qui réduit l’écologie à sa dimension biologique et rend invisible les différences de classe, de race et de genre », dit Hadrien Malier. Une écologie « hors-sol », selon les mots d’Omar Slaouti. « Il n’y a aucune raison que des gens viennent s’embêter à un meeting écolo si on ne parle pas de leurs problèmes. Pour “déblanchir” les mouvements écolos, il faut qu’ils s’intéressent aux violences policières, au racisme systémique et aux discriminations car les logiques d’oppression et de prédation de l’écosystème se rejoignent », complète Jade Lindgaard.

« Quelles sont les luttes des non-Blancs en France, et comment peut-on être en solidarité politique avec eux ? » 

Aux Amis de la Terre, cette réflexion a débouché sur le lancement d’un partenariat avec l’association Alliance citoyenne. Celle-ci aide des collectifs à mener des campagnes citoyennes sur le modèle du « community organizing ». « On ne vient pas avec l’étiquette écolo, mais avec ce qu’on sait faire, à savoir organiser des campagnes. On part des problèmes des habitants, et on essaie de leur redonner du pouvoir d’agir. Pour arriver à un mouvement populaire de masse, il faut commencer par des projets qui répondent aux problèmes du quotidien », explique Sylvie Angerand.

Manifestation pour la justice climatique, à Paris, le 12 décembre 2015.

En somme, écouter réellement l’autre, à égalité, et prendre en considération sa manière de voir les choses. Vouloir la convergence des luttes, selon Juliette Rousseau, « doit se traduire par la recherche d’un rapport égalitaire : quelles sont les luttes des non-Blancs en France, et comment peut-on être en solidarité politique avec eux ? »

Et si l’on écoutait tous ces combats, on verrait peut-être que la distance est finalement bien mince. « En réalité, il y a des mobilisations à dimension environnementale dans les banlieues. Mais qui ne s’appellent pas “écolos”, car écolo, c’est associé aux Verts, à des meetings de classe blanche », avance Jade Lindgaard.

« Si on interprète l’absence des populations racisées et précaires comme un manque de sensibilité pour ces questions, on court le risque de stigmatiser leur supposée faible préoccupation pour la nature et le bien commun, prévient Hadrien Malier. Si, au contraire, cela conduit à ouvrir la définition des combats environnementaux et à ce que les militants écologistes s’intéressent à des mobilisations nouvelles, il est envisageable de voir se développer un mouvement de justice environnementale en France. »


AUX ÉTATS-UNIS, LA JUSTICE CLIMATIQUE FAIT LE LIEN AVEC LE RACISME

Outre-Atlantique, ces questions se sont posées dès les années 1970. À l’époque, l’explication dominante imputait aux préoccupations quotidiennes (l’urgence sociale) des catégories populaires leur manque de projection vers les problèmes écologiques à long terme. Durant les années 1990, des historiens sont revenus sur cette lecture : ils ont montré que « des mouvements noirs et ouvriers de militantisme environnemental ont existé tout au long du XXe siècle, sans pourtant être reconnus comme tels », raconte Hadrien Malier. Tout est une question de définition : « En cessant de réduire les “mobilisations environnementales” à la préoccupation (majoritairement blanche) pour la protection de la nature, on voit apparaître des mobilisations qui sont, elles aussi, favorables à l’environnement », comme la défense de l’agriculture de subsistance ou l’opposition aux substances toxiques.

Rassemblement contre le projet d’oléoduc Dakota Access dans le Dakota du Nord, aux États-Unis.

Dans le même temps, issue du mouvement des droits civiques, la lutte pour la « justice environnementale » émergeait aux États-Unis. Comme l’a montré récemment la lutte des Amérindiens de Standing Rock contre le pipeline Dakota Access, elle dénonce la surexposition des populations pauvres et racisées aux nuisances environnementales, qualifiée de « racisme environnemental ».

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