Le printemps inouï des plantes sauvages citadines

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Nature Habitat et urbanisme La balade du naturaliste Covid-19Le confinement a permis à la nature de vivre un printemps exceptionnel, peut-être plus encore en ville. C’est ce qu’a montré à Reporterre le naturaliste Boris Presseq le temps d’une balade dans les rues de Toulouse où s’épanouissent les plantes sauvages.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.
- Toulouse (Haute-Garonne), reportage
Au cœur de la vieille ville, rue des Pénitents-Gris, un polypode commun, ou réglisse des bois, embrasse un orpin de Palmer sur une canalisation. Boris Presseq, appareil photo en bandoulière et chaussures de rando aux pieds, emmène les curieux sous une gouttière « pour montrer qu’avec de l’eau et de la lumière, ça suffit ». Cela suffit pour que des plantes s’installent, parfois pendant des années selon la bienveillance, la paresse ou tout simplement le manque d’attention des humains. Ce naturaliste mène depuis 2004 un inventaire de la flore toulousaine dans le cadre de sa mission au Muséum de Toulouse [1]. En ce début du mois de mai, deuxième mois de confinement imposé pour lutter contre la pandémie de Covid-19, la balade était l’occasion de régaler sa propre curiosité et, peut-être, d’ajouter quelques noms à son herbier.

En farfouillant dans de larges jardinières en béton muées en coffres-forts verts au pied d’un jeune pêcher, nous dénichons la giroflée des murailles, l’andryale à feuilles entières et la lampsane sauvage. Juste à côté, dans la cour d’un hôtel particulier, à hauteur d’yeux, un muflier gueule de loup exhibe fièrement ses fleurs fuchsia. Pour cette plante qui aime le calcaire, le mur enduit d’un mortier à la chaux à l’ancienne est une aubaine. Un résident témoigne du fait que tout n’est pas « raclé », volontairement. L’écologie urbaine, c’est aussi le fait des citadins qui acceptent le « laisser-être ».
Une obsession mortifère de la propreté qui, en confondant terre avec saleté, lutte contre la vie
L’abondance des observations des naturalistes, versées dans la base de données publique et gratuite Geonature est bien sûr à corréler avec la saison. « Les mois d’avril et mai sont habituellement ceux où il y a le plus de pression sur les plantes des trottoirs de la part des habitants et des services de la voirie. Quand les botanistes observent les rues au mois de mai, en gros, il n’y a presque plus rien. Mais, en cette période de confinement, non seulement les plantes sont là, mais elles ont fleuri, comme le trèfle porte-fraise, ce que j’ai rarement observé ici », dit Boris Presseq. « J’ai également vu pour la première fois, dans le Jardin botanique attenant au Muséum plusieurs espèces d’orchidées : orchis-bouc, orchis pyramidal, orchis bourdon. Elles ne fleurissent jamais, puisqu’elles sont tondues bien avant, année après année. Il semble néanmoins qu’elles aient conservé suffisamment de feuilles pour attendre leur lumineux retour », s’enthousiasme-t-il.

C’est l’autre point positif du confinement : certaines plantes sont arrivées à maturité, ont été fécondées et ont pu disperser leurs graines. Rue de l’Esquille, c’est le nez en l’air que nous admirons des nombrils de Vénus qui s’en donnent à cœur joie sur le toit non entretenu d’un abri à vélos. Dans la courette où nous invite une des locataires, accroupis près d’une évacuation, nous admirons une touffe d’orpins réfléchis et d’épinards des murailles, plante sauvage la plus fréquente à Toulouse. Et voici l’arabette des murs et ses fruits explosifs à côté d’algues et de mousses qui forment un paysage miniature au sol. Les trouvailles s’enchaînent : une luzerne « minette » et ses gousses spiralées et une vergerette du Canada ont pu s’installer dans les anfractuosités. Mais ces interstices favorables à la croissance des plantes des trottoirs se font rares.

En effet, Toulouse, comme d’autres villes en France, subit depuis plusieurs années un ravalement sévère avec la réfection drastique de plusieurs cœurs de quartier, sans compter de vastes opérations immobilières. Les « vues d’artistes » des cabinets d’architectes peuvent donner l’impression que les municipalités sont plus respectueuses de la nature, notamment en réduisant la place de la voiture, en développant des modes de transports doux, en dégageant des espaces pour les piétons et en plantant des arbres. Toutefois, prévient Boris, « si on regarde bien, à la fois les nouveaux matériaux utilisés et la quasi-absence de relief (pas de différence marquée entre trottoirs et rues, places et lieux de circulation), ne sont pas bons pour les plantes sauvages, qui souvent profitent des angles, bordures et aspérités du revêtement pour s’accrocher ».

À présent, ces larges espaces sans relief permettent le lavage des rues au Kärcher et le passage de divers véhicules, dont des aspirateurs munis de balais-brosses agressifs pour les plantules semées au gré du vent. Une obsession mortifère de la propreté qui, en confondant terre et saleté, lutte contre la vie. Par ailleurs, la tendance à combler les espaces entre les vieilles briques traditionnelles et à les recouvrir d’un enduit empêche que des graines y fassent leur lit. Le naturaliste se désole devant l’emblématique basilique Saint-Sernin, affublée depuis la fin des travaux de réfection de la place en 2019 d’un immense parvis minéral. Sur les côtés de la basilique, sur d’étroites pelouses, les services de la ville, à trois jours du déconfinement, s’apprêtent à tondre plusieurs espèces de salades sauvages, de flamboyants coquelicots et de l’armoise, « autrefois plante sacrée à cause de ses multiples propriétés », dit Boris.
« Le message est en train de passer. Il ne faut pas relâcher les actions de sensibilisation »
Cependant, le botaniste est plutôt optimiste quant à certains changements dans les mœurs survenus pendant le confinement. « Je pense que de nombreuses personnes ont changé de point de vue et ont découvert la biodiversité, même du point de vue de la nourriture, de l’importance de consommer local, par exemple. Le bio, ça s’accompagne forcément d’un meilleur respect du vivant, même en ville. Ensuite, ce qui a changé, c’est que certains syndics ou des petites copropriétés ont été sensibilisés par les bouts de prairies fleuries qui se sont exprimées pendant deux mois. Leurs habitants ont demandé à laisser ces espaces fleurir tout en continuant à les entretenir, mais de manière moins sévère. »

Même au niveau de la municipalité, il semble qu’une prise de conscience ait modifié les habitudes. « Depuis la fin du confinement, ils ont réservé des petits espaces qui ne sont pas tondus dans les jardins publics », relève Boris. « Je crois que des édiles vont profiter de ce confinement pour laisser un peu plus aller la nature dans des endroits moins sous pression que les parcs et jardins du centre. Par exemple, les bords d’immeubles, les jardinières, les ronds-points. Ça peut s’inscrire dans le temps, c’est-à-dire que la fauche aura toujours lieu, mais à une saison où on aura laissé fleurir et fructifier la majorité des espèces. Le message est en train de passer. Dans ce contexte, il ne faut pas relâcher les actions de sensibilisation. Il est important d’expliquer que laisser des prairies entretenues n’entraîne aucun danger. Elles ne vont pas amener plus de serpents, de rats ou de guêpes. » Reste à voir si cette évolution sera pérenne ou bien si les politiques surfent simplement sur la vague verte en vue du second tour des élections municipales.

Comme Boris Presseq, quand on a pour modèle en matière d’espaces verts Gilles Clément, adepte de l’observation et du laisser-faire et pour livre de chevet Plaidoyer pour l’arbre (Actes Sud, 2005) de Francis Hallé, on ne peut que défendre la nature en ville et puis, « vu la résistance extraordinaire année après année, la volonté de vivre de la plus petite plantule, la moindre des choses pour nous serait d’être un peu plus respectueux », conclut le botaniste. À nous de jouer !
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