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Le tour de France des Zad : à Notre-Dame-des-Landes, repos estival avant une nouvelle bagarre

L’opération d’expulsion de la Zad de Notre-Dame-des-Landes a laissé des zadistes divisés au sujet de la stratégie à adopter face à l’État. L’automne pourrait les ressouder alors qu’arriveront déjà à terme les baux d’occupation très contraignants signés par une partie d’entre eux. Voici la dernière étape de notre Tour de France des Zad.

  • 3e étape à Notre-Dame-des-Landes, où s’achève notre mini-tour de France.

  • Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage

Le cadre bucolique du bocage vibre du pépiement des chants d’oiseaux. Mais la lutte continue. Il suffit d’une petite trentaine de gens venus déployer une banderole le long d’une des routes traversant la Zad pour rameuter les fourgons de gendarmes en tenues antiémeutes. L’hélico survole la scène au plus bas. Ordre de dispersion, grenades lacrymos, trois interpellations : comme un air de déjà vu. Cette réactivité des gendarmes donne la mesure du quotidien de la Zad, cinq mois et demi après l’abandon du projet d’aéroport. « Justice et vérité pour tous nos frères assassinés », clame juste la banderole jaune. Rien d’une émeute. En ce 12 juillet, cette simple action ne bloque pas la route, elle exprime seulement son indignation après deux morts tués par la police, à Nantes le 3 juillet, à Vic-sur-Aisne le 9. À Notre-Dame-des-Landes, une fois passée la vague la plus ouvertement répressive d’avril et mai, l’État reste sur le qui-vive, le doigt sur le lance-grenades.

À partir du 9 avril, quelque 2.500 gendarmes et leurs blindés ont déversé des milliers de grenades, détruit des cabanes et lieux de vie. La préfète en a dénombré 39. Mais la ténacité est toujours là : « À la Châteigne, on en est à la sixième reconstruction depuis ça. On refait un truc, c’est détruit, on recommence... » sourit Pietro [*].

« Toute tentative de reconstruction, même de trois bouts de planches, est repérée par les gendarmes et détruite le lendemain, explique Julien [*] en arrosant une planche de rutabagas replantés dans le potager collectif des Rouges et Noires. Il y en a qui ont essayé, dans l’Est. Et il y a toujours des gens prêts à le refaire… » L’« Est », ici, c’est la partie plus sauvage de l’enclave prévue pour le projet d’aéroport, un secteur où, normalement, aucun engin à moteur ne circulait depuis plusieurs années. Les habitats y étaient plus discrets, plus roots, terre et paille, bois de récup’, torchis. Ses habitants sont les grands perdants de l’opération militaire.

Les conventions d’occupation précaires ne courent que jusqu’en décembre et que leur reconduction est très compromise 

C’est à l’ouest de la D281, l’ancienne « route des chicanes », que se concentrent celles et ceux qui ont préféré adopter une stratégie dite d’« autodéfense administrative », consistant à tenter de sauver le plus possible les implantations sur la Zad, et leur dimension collective, face à un État qui a tout fait pour refuser ces demandes. La riposte ultime a consisté à accepter de remplir des fiches individuelles de déclaration d’activité, « formulaires simplifiés » soumis à validation par les services de l’État. Mais elles ont été rédigées de façon à mettre en avant l’interdépendance des activités agricoles, apicoles, de maraîchage, d’élevage, dans une dynamique coopérative, incluant rotations de parcelles, partage de matériel, locaux communs. Reste que les conventions d’occupation précaires ne courent que jusqu’en décembre et que leur reconduction est très compromise, l’interlocuteur étant désormais le département de la Loire-Atlantique, associé à la chambre d’agriculture. Ce n’est un secret pour personne, les dirigeants du département sont animés d’un farouche esprit revanchard envers les zadistes, et la chambre d’agriculture tenue par la FDSEA (la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles), soutient l’appétit des paysans qui veulent récupérer des terres de la Zad pour agrandir leurs exploitations. De nouvelles conventions seront applicables en janvier, quand l’État se sera retiré des négociations, rétrocédant les terres de la Zad au département. Les manœuvres pour les attributions commencent dès cet automne. Que l’interlocuteur passe de l’État au département n’est pas une bonne nouvelle.

Extrait de la vidéo « Rites des pas-sages - fin de printemps à la Zad ».

« On peut douter fortement qu’une institution publique qui a poussé pendant de longues années pour le bétonnage du bocage se mette aujourd’hui dans des dispositions réelles pour assurer sa protection et se donner les moyens nécessaires à œuvrer au maintien de sa biodiversité. Vu les positions parfois abruptes de son président par le passé à l’encontre des opposants au projet d’aéroport et des habitants de la Zad, nous nous demandons quels gages nous aurons sur sa capacité à ne pas rester demain dans une logique partisane », écrit le 5 juillet un communiqué de l’assemblée des usages. L’assemblée prône une gestion des terres comme un commun, via une entité longtemps dite « issue du mouvement » mais dans laquelle une partie de ce qui fut un mouvement unifié ne se reconnaît pas.

« Avec le département, on ne sait pas à quoi s’en tenir, va-t-il tout livrer aux agriculteurs cumulards qui cherchent à s’agrandir, ou alors panacher, en maintenant quelques conventions d’occupation précaires à quelques zadistes ? C’est la grande incertitude », soupire Julien, qui fait partie des signataires des conventions.

Le contenu des sept pages des conventions d’occupation temporaire n’a déjà rien de rassurant. Des clauses draconiennes y prévoient que tout manquement du signataire lui vaudrait une révocation immédiate. L’épée de Damoclès, c’est la résiliation expéditive, sans préavis ni indemnité, de la convention pour le moindre coup de canif au contrat. En premier lieu pour toute activité ou usage non conforme au projet déposé. Mais ce n’est pas tout. « Le bénéficiaire doit veiller à ce que le terrain ne fasse pas l’objet d’occupations par des tiers (occupation illicite, entreposage de matériaux, stationnement de véhicules ou caravanes). » Sur le papier, les signataires se sont engagés « à informer immédiatement l’État par tous moyens » de la moindre occupation, sous peine de perdre le bénéfice de cette tolérance temporaire, et de se retrouver sous la menace d’une expulsion par la force.

« On se relève, mais maintenant, il faut se mettre au clair sur ce qu’on veut défendre ici » 

Autre clause inquiétante, la convention exclut toute tacite reconduction et l’État peut la résilier unilatéralement, sans formalité préalable, sans indemnité ni préavis, « dès lors que les terrains doivent être rétrocédés à leur ancien propriétaire qui en a fait la demande conformément aux articles L 421-1 et suivant du Code de l’expropriation ». La convention a même ficelé, en cas de refus de quitter les lieux, les conditions d’une sanction financière jour par jour : « Si le bénéficiaire se maintient sur les terrains sans autorisation écrite de l’État, il sera redevable d’une indemnité journalière de 50 euros à compter du septième jour après la fin de la convention », et ce en plus des dommages et intérêts que pourrait réclamer l’État pour ce retard à débarrasser le plancher des vaches.

Autant dire que les projets des zadistes n’ont été ni agréés ni régularisés : ils ont juste reçu une indulgence temporaire et sans doute tactique, soumis à réexamen quelques mois plus tard. S’ils ont semé ce printemps entre deux salves de lacrymos, ces zadistes n’ont pas la moindre garantie d’être là pour la récolte. Le répit octroyé par ces conventions ne couvre donc que l’été.

Extrait de la vidéo « Rites des pas-sages - fin de printemps à la Zad ».

Manifestement, l’État a joué la montre, détruisant une partie des habitats, soumettant les autres à ces conventions, misant sur ces quelques mois en suspens et surtout sur les dissensions internes, en espérant voir la zone plus ou moins vidée, ce qui réduirait sa capacité à peser sur un rapport de force.

« C’est ce qui peut resserrer le mouvement, note Anna. À l’automne, on va tous se retrouver dans la même situation. » Anna fait partie de celles et ceux qui, après l’abandon du projet d’aéroport, n’ont pas voulu entrer en négociation avec l’État pour se régulariser. « On n’a pas lutté toutes ces années, pris des risques, assumé l’illégalisme, pour en arriver à ça, explique-t-elle. Oui, c’est vrai, on a eu une phase KO debout. On se relève, mais maintenant, il faut se mettre au clair sur ce qu’on veut défendre ici. »

 « Pas évident, modère Chris, une main sur l’arrosoir. On sait bien qu’il y a sans doute autant de manières de concevoir la lutte que de gens qui l’ont menée, et c’est ça qui est bien… »

« Beaucoup de gens ne sont pas venus ici défendre un territoire ni lutter spécifiquement contre un projet d’aéroport, mais pour défendre une idée, un symbole de luttes, des manières de s’organiser… Au début des négociations, on parlait de “curseurs” pour savoir ce qui nous paraissait acceptable ou pas. Pour nous, après le refus par la préfète d’une entité de gestion collective de la zone, on ne pouvait pas aller plus bas », ajoute Marco.

C’est aussi la force politique de la Zad qui est questionnée 

Même si elle n’a pas été reconnue comme interlocutrice à la table des négociations, une entité collective a quand même pris forme sous le nom d’Association pour un avenir commun dans le bocage (AACB).

Du côté des zadistes dissidents qui revendiquent toujours d’être ingouvernables, s’est lancée ironiquement une AAACB, Assemblée autonome d’action et de coordination dans le bocage. Les discussions de préparation ont rallié jusqu’à une soixantaine d’habitantes de la Zad. Début juillet, pour la semaine de rencontres intitulée Zadenvies, cette assemblée plus libertaire a tenu sa première réunion ouverte. Ces participantes ne se reconnaissent pas dans la stratégie d’autodéfense administrative et les conventions d’occupation précaires. Ils et elles y voient une dépolitisation de la lutte et se déclarent opposées à une éventualité de solution financière, fondée sur la propriété privée, via le projet de fonds de dotation qui devrait réunir trois millions d’euros pour racheter les terres. À supposer qu’il parvienne à les acquérir, face à des paysans remontés pour se réapproprier ces terrains et les soustraire aux zadistes.

Après le traumatisme des expulsions et destructions d’avril et mai, la reconstruction ne concerne pas que les habitats. C’est aussi la force politique de la Zad qui est questionnée.

Début juillet, la semaine Zadenvies a réuni quelques centaines de personnes, bien moins que les rassemblements annuels du mouvement à même époque, désormais abandonnés par son association citoyenne, l’Acipa, qui a jeté l’éponge.

Lors de Zadenvies, en juillet.

L’événement a bénéficié de beaucoup moins de relais et de communication. Mais il avait quand même une certaine allure. Tancrède Ramonet est venu présenter son deuxième volet de l’histoire de l’anarchie en film. Sociologue spécialiste des stratégies répressives, Mathieu Rigouste a mené un atelier sur les formes de répression et de résistance au maintien de l’ordre à partir de l’expérience de l’offensive d’avril et mai derniers. On y a aussi chassé le doryphore dans les rangs de patates nouvelles, joué des parties de foot surréaliste, à trois équipes sur un terrain triangulaire, sculpté des cuillers de bois dans un atelier do it yourself, dansé devant la scène, et refait le monde à tout bout de champ. Le prochain grand rassemblement, c’est la semaine intergalactique du 27 août au 2 septembre prochains, « rencontres entre territoires en batailles et en quête d’autonomie », avec une forte orientation internationale. Cet appel intergalactique fait référence aux rencontres du Chiapas, où les insurgées zapatistes occupent le terrain depuis plus de vingt ans.

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