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EnquêteAgriculture

Les acheteurs honteux du lait de la ferme-usine des Mille vaches

Le lait que veut produire la ferme-usine des Mille vaches sera-t-il vendu au groupe alimentaire Senoble ? C’est ce qu’affirment des associations, dans une video percutante. Nous avons voulu aller plus loin.


Après sa première vidéo en décembre dernier, le collectif de la Vache en colère a de nouveau fait parler de lui en publiant cette nouvelle vidéo détonnante :

L’objet du courroux, cette fois, vise un contrat qui lierait Senoble, un groupe important de produits laitiers, à la ferme-usine des Mille vaches. Le lait produit dans cette ferme-usine vivement contestée par la Confédération paysanne et des associations écologistes, pourrait se retrouver dans les produits revendiqués « haut-de-gamme » de Senoble.

L’affaire a été révélée par l’association locale Novissen, qui lutte de longue date contre le projet implanté à Drucat (Somme). Sans trouver de répondant : « Nous avons interpellé les responsables de Senoble au moyen d’une campagne mail, l’idée étant de les obliger à réagir publiquement à cette rumeur. Nous posions une question simple : ‘’Avez-vous un contrat avec la Ferme des Mille Vaches ?’’ mais nous n’avons jamais eu de réponse », dit Michel Kfoury, le président de Novissen.

Pour vérifier ces allégations, Reporterre a commencé par appeler le promoteur de la ferme-usine, Michel Ramery. Nous l’avons joint sur son portable. Réponse : « Senoble ? On a un contrat qui continue, pas de problème. Mais je suis au Sénégal, appelez donc Michel Welter, chef de projet sur les Mille Vaches ».

Nous téléphonons donc à Michel Welter, qui finit par dire : « Je n’ai aucune garantie de vente sur mon lait, pas plus qu’aucun agriculteur en France. Le marché va être complètement bouleversé dans les mois à venir par la fin des quotas laitiers ».

La ferme-usine des Mille vaches prenant du retard – l’inauguration d’abord annoncée au 1er juillet pourrait se faire autour de septembre –, qu’en est-il aujourd’hui ? Car M. Welter est associé d’une coopérative d’élevages laitiers, situé à 26 kilomètres de Drucat, la SCL Lait Pis Carde.

Il explique : « Oui, actuellement, Senoble ramasse mon lait, dans les proportions que représente mon quota de lait, à savoir 2,8 millions de litres par an ».

Mais si actuellement Senoble se fournit chez lui, pourrait-il se fournir à la ferme-usine des Mille Vaches, dont la capacité de production est évaluée à neuf millions de litres par an, lorsqu’elle sera opérationnelle ? « Il pourrait. Mais où est le problème ? Mon lait sera produit dans les mêmes conditions que 95 % de la production laitière française, et on n’utilisera même pas de soja ! », répond M. Welter.

Allo Senoble... euh, Senagral ?

On sonne alors chez Senoble, au standard, le numéro affiché dans la vidéo - 03 86 97 40 40. L’interlocutrice reconnaît avoir reçu un peu plus d’appels depuis deux jours, « mais cela reste tout à fait gérable ». Elle nous oriente vers le service des relations avec la presse, qui est géré par l’agence Pressario.

Quant aux consommateurs qui veulent avoir une réponse sur la provenance du lait dans les produits Senoble, ils sont invités à écrire à l’adresse : [email protected]. Tiens, Senagral, une filiale à 49 % de Senoble… Pas de numéro de téléphone ? « Non, ils ne sont joignables que par mail ».

Bon. « Allo, agence Pressario ? ». La question était attendue, la réponse est nette : « Il n’y a pas de contrat de Senoble avec la Ferme des Mille Vaches, et il n’y en aura pas ». Et avec la SCL Lait Pis Carde, dont le troupeau de 300 vaches est appelé à former le premier contingent de la Ferme des Mille Vaches ?

« Senoble n’a pas de contrat avec eux. Les produits Senoble se fournissent chez un groupement de producteurs vendéens ». Pourtant, le site internet de Senoble indique des provenances diverses, dont la Picardie

Nous rappelons Michel Welter, pour confronter les deux versions. On laisse un message, et il sort peu après de réunion pour nous rappeler : « J’ai fait un abus de langage. C’est vrai que le contrat d’achat actuel n’est pas au nom de Senoble, il est au nom de Senagral ». Pourquoi associer inconsciemment les deux structures ? Est-ce à dire que le circuit de collecte Senagral termine effectivement dans les produits Senoble ? L’agriculteur se tait : « Ce n’est pas à moi de vous répondre ».

Retour chez l’attachée presse de Senoble. Et Senagral, alors, qui est pourtant une filiale à 49 % de Senoble ? « Je ne bosse pas chez eux, je ne peux pas vous répondre ». Peut-elle indiquer le numéro de téléphone où les joindre ? « Je veux bien vous aider, envoyez-moi un mail avec votre demande ».

On envoie le courriel. Qui n’a toujours pas reçu de réponse, pas plus que celui envoyé en conséquence à la première adresse mel – destinée aux consommateurs – fournie par le standard de Senoble.

Précisions sur les liens entre Senoble et Senagral : fondée en 2012, Senagral est une joint venture (coentreprise) entre Senoble, qui en détient 49 %, et Agrial, une coopérative laitière normande spécialisée dans la fabrication de produits sous « MDD » (marques de distributeurs) pour Monoprix, Super U, etc., qui en possède les 51 autres %.

Senoble prendra-t-il le lait des Mille vaches ? Pas directement : mais sa filiale Senagral semble bien candidate. « Allo Senagral, vous répondez ? »

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