Les animaux malades de la canicule

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AnimauxLes humains ne sont pas les seuls à suer à grosses gouttes. Les martinets noirs et les hérissons sont nombreux à mourir littéralement de chaud. Depuis le début de l’épisode de canicule, les centres de soins de la faune sauvage sont en surchauffe.
- Maisons-Alfort (Val-de-Marne), reportage
Avec l’épisode de canicule, le Centre d’accueil de la faune sauvage d’Alfort de Maisons-Alfort est en surchauffe, au sens propre comme au figuré. Vétérinaires, stagiaires et bénévoles, tous en blouse blanche, slaloment entre les volières et les cages de transport en transit dans le couloir de cette association de l’école nationale vétérinaire d’Alfort, qui recueille et retape les animaux sauvages malades ou blessés. Alice, « éco-volontaire », s’est mise dans un petit coin pour nourrir à la pipette un jeune hérisson. « Il boit trois biberons par jour », précise-t-elle en rattrapant d’un geste adroit le petit mammifère qui tente de se faire la belle.
Pas moins de quarante-deux de ses congénères ont débarqué au centre, à divers degrés de déshydratation, depuis le début de l’épisode caniculaire. Ces pelotes de piquants sont en effet très vulnérables à la chaleur, surtout les jeunes. « On est pile dans la période où les petits font leurs premières sorties nocturnes avec leurs parents, explique le professeur Jean-François Courreau, vétérinaire et fondateur du Cedaf. Il peut arriver qu’ils se perdent ou que leur mère soit tuée, auquel cas ils n’arrivent pas à retrouver leur nid de brindilles et de feuilles mortes, à l’ombre d’un buisson ou d’un tas de bois. Le jour levé, ils se retrouvent en plein soleil, écrasés par la chaleur, et périclitent très vite. »

Les martinets noirs sont la deuxième espèce la plus impactée par l’emballement du mercure. « Cette espèce est présente trois mois en Île-de-France : mai, juin et juillet. C’est la pleine période de nidification, explique le Pr. Courreau. Or, l’oiseau niche dans les trous des maisons, les toitures, les combles. En période caniculaire, la température là-dedans grimpe jusqu’à atteindre 40 à 50 °C. Les petits tiennent trois-quatre jours, puis cherchent à fuir pour ne pas mourir étouffés et déshydratés. C’est comme ça qu’ils tombent du nid. Un épisode est resté dans toutes les mémoires : en juillet 2015, après plusieurs jours de canicule, des centaines et des centaines de jeunes martinets ont été recueillis dans toute la France. »
« Pour un jeune oiseau, tout se joue en vingt-quatre heures »
On n’en est pas encore là. Mais mercredi 21 juin, une dizaine d’oiseaux ont déjà été ramenés au centre. Un minuscule juvénile gît dans une cage de transport, les yeux mi-clos, le duvet parsemé de petites plumes en train de pousser. Va-t-il s’en sortir ? « On voit qu’il est déshydraté aux plis que fait sa peau et à l’épaisseur de la salive, évalue le vétérinaire. A ce stade, le pronostic est mitigé. On va commencer par le réhydrater avec de l’eau glucosée, pour le rebooster. Après cette première phase délicate, on pourra commencer à le réalimenter. Pour un oiseau si jeune, tout va se jouer en vingt-quatre heures. »

Même situation au centre de soins LPO Aquitaine, à Audenge (Gironde). « Depuis le début de la saison, nous avons accueilli vingt-trois jeunes martinets, dont quinze sont arrivés les trois derniers jours », calculait Muriel Bourgeois, coordinatrice pour la médiation du centre, mercredi 21 juin. Mais d’autres oiseaux souffrent, précise-t-elle : « Tous les oiseaux cavernicoles, hirondelles qui nichent dans des nids fermés, chouettes chevêches dissimulées sous les tuiles, énormément de moineaux... » La chaleur ne favorise pas la prise en charge dans les meilleures conditions. « Nous sommes obligés de climatiser le centre parce que les températures élevées favorisent le développement des parasites et les pontes de mouches. Les animaux se déshydratent et les symptômes peuvent s’aggraver très vite. »
Pour Maxime Zucca, ornithologue et chargé de mission à Natureparif, il est encore trop tôt pour tirer un bilan de ces quelques jours de canicule. Mais ces épisodes de températures extrêmes accentuent semble-t-il des tendances de long terme. « Nos programmes de suivi, comme le Suivi temporel des oiseaux communs (Stoc), ont permis d’observer que pendant la canicule de 2003, les espèces qui ont subi la plus forte mortalité sont celles qui étaient déjà en déclin : pouillots fitis, bouvreuils pivoines et mésanges nonnettes. Leur caractéristique commune est qu’elles ont besoin d’une faible amplitude thermique, entre 15 et 18 °C. D’autres espèces, en revanche, voient leur population augmenter régulièrement et notamment lors des fortes chaleur. C’est le cas des bruands zizis et de l’Hypolaïs polyglotte. » A noter que les martinets noirs ne sont pas particulièrement une espèce en déclin. « Mais si les épisodes de chaleur au moment de la nidification se multiplient et que de nombreux jeunes meurent chaque année, cela pourrait finir par arriver », juge l’ornithologue.
Les animaux qui s’en sortent le mieux restent les reptiles. « Lors d’un épisode caniculaire, les reptiles ne s’insolent plus, c’est-à-dire qu’ils ne se dorent plus au soleil. Ils restent cachés et réduisent leur activité, précise Gabrielle Sauret, chargée de médiation scientifique à l’association Cistude Nature à Le Haillan (Gironde). Cela peut aller jusqu’à l’estivation pour les tortues cistudes : elles stoppent toute activité et se mettent en dormance. Mais cela n’a pas d’impact sur leur santé. On peut dire que les reptiles gèrent plutôt bien la chaleur. »
QUE FAIRE SI L’ON TROUVE UN ANIMAL SAUVAGE DÉSHYDRATÉ ?
- Donner de l’eau. « On peut laisser de grandes gamelles d’eau dans le jardin, par exemple des coupelles de pots de fleurs, conseille Muriel Bourgeois. Les parents s’épuiseront moins à chercher de l’eau, pourront s’abreuver et se baigner et risqueront moins d’abandonner les petits. » Au Pr. Jean-François Courreau de préciser : « Bien surélever la gamelle si l’on a un chat pour éviter qu’il s’attaque aux oiseaux ! »
- Ne pas bouger le nid, même pour le mettre au frais ! « Sinon, les parents risquent de l’abandonner », prévient Muriel Bourgeois.
- Réhydrater – en douceur – un animal en détresse. « Lui proposer de l’eau à la pipette ou à la seringue en bordure des lèvres ou du bec, pour qu’il boive de lui-même. Ne surtout pas l’abreuver de force, le risque de fausse route est réel », explique le Pr. Jean-François Courreau.
- Amener très vite l’animal à un centre de soins pour la faune sauvage. « Il y a une cinquantaine de centres en France, dont sept et bientôt huit gérés par la LPO », indique le Pr. Jean-François Courreau.