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ReportageQuotidien

« Les gens vont s’habituer » : à Paris, la (presque) fin des terrasses chauffées

Chauffages extérieurs.

Les terrasses chauffées sont interdites en France depuis le 31 mars. Cette mesure devrait permettre d’économiser 500 000 tonnes de CO2 par an. À Paris, restaurateurs et clients n’ont pas tous respecté cette nouvelle habitude.

Paris, reportage

Les flocons de neige tombent du ciel, mais les radiateurs restent éteints. Depuis le 31 mars, chauffer les terrasses des bars et des restaurants est devenu interdit partout en France — c’était déjà le cas à Rennes et Lyon.

Longtemps retardée, cette disposition était prévue dans la loi Climat et résilience, promulguée en août 2021. « On ne peut pas chauffer à plein régime des terrasses en plein hiver, lorsqu’il fait 0 °C, pour le simple plaisir de boire son café en ayant chaud », avait affirmé Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, évoquant une « aberration écologique ».

Dans le 18e arrondissement de Paris, ce 1er avril, les établissements semblent respecter l’interdiction : aucune lumière orange ne réchauffe les quelques courageux qui boivent en vitesse un café dans le froid. Samir, patron d’un café du quartier, a toujours refusé d’utiliser le chauffage extérieur de sa terrasse — les radiateurs ayant été installés avant son arrivée. « C’est du gaspillage, lance-t-il. Chauffer l’air, juste pour le confort de certaines personnes, c’est aberrant ! Et pourtant, c’est devenu normal pour certains, qui préfèrent aller dans un autre café quand je leur dis que je n’allumerai pas. »

Accoudé au bar, un client acquiesce : « Ça n’aurait jamais dû être autorisé. On nous demande à longueur de journée de faire des économies d’énergie, et à côté de ça, on permet de chauffer l’extérieur. »

« Les gens vont s’habituer »

D’autres établissements ont dû changer leurs habitudes. « Jusqu’ici, on allumait les radiateurs extérieurs seulement quand on nous le demandait, et c’est vrai qu’on l’a pas mal allumé cet hiver, admet Louise, employée d’un bar dans le même quartier. Je suis surprise du nombre de gens qui préfèrent être dehors plutôt qu’au chaud à l’intérieur, et sortir fumer de temps en temps. »

La nouvelle réglementation ne va pas plaire à tous les clients, elle le sait, mais la serveuse salue la décision gouvernementale : « Le chauffage extérieur consomme énormément, ça coûte un fric monstre, et c’est aberrant d’un point de vue écologique. » D’après le ministère de la Transition écologique, le bilan carbone de ces terrasses chauffées est de 500 000 tonnes de CO2 chaque année, à l’échelle nationale. Soit l’équivalent des émissions de 300 000 voitures. « Je pense qu’on ne perdra pas notre clientèle, les gens vont s’habituer », espère Louise.

Terrasse chauffée boulevard de Grenelle, à Paris, en 2016. Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0/Maria Eklind

Non-respect de la nouvelle réglementation

Du côté des grands boulevards de la capitale, justement réputés pour leurs bars aux immenses terrasses chauffées, la pilule a plus de mal à passer. Certains établissements font mine de ne pas être au courant de la nouvelle réglementation, comme ce café qui continue de faire fonctionner quatre radiateurs extérieurs. Et ce, alors qu’aucun client n’est installé en terrasse. « Je n’ai pas envie de répondre à vos questions », balaie la gérante, interrogée par Reporterre. La loi prévoit une « contravention de cinquième classe portant l’amende jusqu’à 1 500 euros », et même 3 000 euros en cas de récidive. « À compter du 30 juin 2022 ».

« On a besoin de notre clope, on compte bien rester là »

D’autres bars et restaurants jouent le jeu, mais à contrecœur. « Regardez, il n’y a personne ! soupire Marie-Lou, serveuse d’un bar-restaurant du boulevard Montmartre, en pointant la terrasse vide. Les clients ne vont jamais venir avec ce temps s’il n’y a pas de chauffage, or les terrasses représentent plus de 50 % de notre chiffre d’affaires. » L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie avait déjà fait part de ses craintes d’un éventuel manque à gagner des restaurateurs.

C’est justement pour « leur permettre de s’organiser » que le gouvernement avait retardé la mise en application de l’interdiction, prévue initialement en 2020. Mais certains ne décolèrent pas. « Quand je vois que la France importe du gaz de schiste américain, je me dis que l’interdiction des terrasses chauffées ne devrait pas être la priorité du gouvernement », déplore Hicham, serveur.

Quelques exceptions

Des exceptions sont cependant prévues. Elles concernent notamment les chapiteaux fermés des cirques et des activités foraines, les installations mobiles couvertes et fermées des manifestations temporaires, et les établissements dont les terrasses sont « couvertes et fermées sur leurs faces latérales par des parois solides reliées par une jointure étanche à l’air à la paroi supérieure ».

Dans le 18e arrondissement de Paris, le 1er avril, à l’abri d’une terrasse couverte, Joceline et Samira profitent donc d’un café et d’une cigarette, réchauffées par un radiateur au-dessus de leurs têtes. « Ce n’est pas du gaspillage d’énergie quand l’espace est fermé, la chaleur reste », affirment les deux femmes. Et de poursuivre, hilares : « De toute façon, terrasse chauffée ou pas, on a besoin de notre clope ! Donc on compte bien rester là. » Avec une telle motivation, nul doute que les Français sauront s’habituer.

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