« Les jeunes activistes du climat sont dans une phase plus offensive »

Marche pour le climat à Paris, en mai 2019. - © Mathieu Génon / Reporterre
Marche pour le climat à Paris, en mai 2019. - © Mathieu Génon / Reporterre
Durée de lecture : 8 minutes
Luttes ClimatAlors que les jeunes du monde entier manifestent pour le climat, le sociologue Laurent Lardeux souligne que ces activistes restent urbains et diplômés. En revanche, depuis le confinement, leur mode opératoire s’est durci.
Le 15 septembre, des lycéens et étudiants vont défiler dans les rues de Paris, Bordeaux, Toulouse, Marseille… ainsi que dans le monde entier. À l’occasion de cette nouvelle grève mondiale pour le climat, le sociologue Laurent Lardeux publie une enquête sur ces jeunes activistes.
Qui sont-ils ? Leurs modes opératoires sont-ils plus radicaux que ceux des générations précédentes ? Agissent-ils à l’échelle locale ou globale ? Pendant deux ans, le chargé d’études et de recherche à l’Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) a rencontré cinquante-deux militants de dix-sept villes.
Reporterre — Comment naît chez les jeunes le désir d’engagement dans le mouvement climat ?
Laurent Lardeux — Cette socialisation politique s’acquiert souvent dans le cadre intrafamilial. Beaucoup de jeunes se politisent auprès de leurs parents, eux-mêmes fortement politisés. Dès lors, soit les enfants s’identifient aux valeurs des parents et entrent en conformité avec elles, soit ils construisent leur engagement en opposition, dans le cas d’un désalignement… souvent à l’origine de frictions.
Il y a l’école aussi. Les jeunes s’y procurent des connaissances politiques, des compétences, et la démocratie scolaire leur offre leurs premières armes pour se lancer dans l’action collective. Que ce soit en coopération ou en opposition avec l’école, cela contribue à enclencher des parcours dans l’action militante.

Les catastrophes naturelles, de plus en plus fréquentes et intenses, jouent aussi un rôle. Les canicules, les inondations, les mégafeux… provoquent chez certains jeunes une angoisse qui peut être un élément déclencheur pour franchir la porte d’un collectif. Les réseaux sociaux et la publication de rapports scientifiques, comme ceux du Giec, participent aussi à ce passage à l’action.
Les jeunes des quartiers populaires ou des milieux ruraux sont-ils involontairement exclus de ce mouvement climat ?
Certains profils types apparaissent dans les collectifs du mouvement climat. Les jeunes activistes ont souvent un niveau de diplôme assez élevé, proviennent d’une classe sociale supérieure et habitent les centres-villes.
On retrouve d’ailleurs ces trois variables dans la politique traditionnelle. Les activistes ont beau s’opposer à celle-ci, les profils sont souvent assez proches. En revanche, ils ont vraiment conscience de ce manque de diversité, qui leur vaut d’ailleurs de nombreuses attaques. Leurs opposants pointent du doigt le fait qu’ils ne seraient pas représentatifs de la jeunesse. Ils engagent donc beaucoup de démarches et d’initiatives pour tenter d’élargir le spectre social et générationnel du mouvement climat.
La convergence des luttes est-elle l’une de ces démarches ?
Oui. Un grand nombre de militants interrogés pour l’enquête m’ont témoigné leur intérêt grandissant pour le caractère multidimensionnel des inégalités. On parle ici d’intersectionnalité. Les jeunes ont pris conscience que le changement climatique n’impacte pas de la même façon des personnes ayant une classe sociale, une origine ethnoraciale, un genre ou un âge différent. Autrement dit, il empire les inégalités déjà en place.

Dès lors, faire converger la lutte contre le dérèglement climatique et les autres formes de domination aide à ne pas laisser certains sur le bord de la route. En revanche, certains activistes ont toutefois exprimé leurs craintes de perdre le fil du débat et la cohérence du motif central de la mobilisation. Ces jonctions ne font donc pas pour l’instant consensus.
Jusqu’à présent, les marches climat du vendredi étaient largement réservées aux lycéens. Existe-t-il une fracture entre cette génération et les précédentes ?
On aborde souvent la question des relations intergénérationnelles en cherchant ce qui distingue les jeunes et les anciens plutôt que ce qui les rapproche. Certes, les activistes condamnent la génération dite des « boomers » pour avoir été moins vigilante sur le climat et avoir grandi dans une certaine croissance économique.
« La jeune génération climat ne peut pas s’isoler des collectifs comme Attac ou Greenpeace »
En revanche, ils ne sont pas fermés aux connexions. S’ils veulent réussir le pari de la lutte contre le changement climatique, cela implique d’élargir le spectre générationnel et donc de trouver des zones d’accord, des porosités avec d’autres associations. La jeune génération climat ne peut s’isoler des collectifs comme Attac ou Greenpeace, portés par des personnes plus âgées. Ainsi, il n’y a pas en tant que telle une opposition, même si les orientations diffèrent.
Beaucoup de jeunes vous ont dit être entrés dans le mouvement à cause de leur écoanxiété.
Oui, cette notion d’angoisse, de troubles anxieux, revient souvent sur le tapis. Elle est un élément déclencheur pour beaucoup de jeunes. Pour tenter de se rassurer, ils partent toquer à la porte de collectifs, pour intégrer des groupes de parole, de soutien, d’entraide. Ils ne veulent pas s’en remettre à des médecins ou à des psychologues.
Toutefois, cette prise en charge est aussi critiquée. Elle est parfois jugée trop individualisante face à un phénomène climatique aux origines et aux effets fondamentalement collectifs. Ils y voient le risque d’une dépolitisation des enjeux collectifs portés par le mouvement climat.
Observe-t-on un retour de l’intérêt pour les luttes locales chez ces jeunes ou préfèrent-ils aborder la crise climatique dans sa globalité ?
Les deux. Le mouvement climat a compris que la dimension locale était essentielle. Les activistes savent que le rapport de force sera plus à leur avantage aux échelons inférieurs de la politique. Plus l’on grimpe vers la sphère nationale, voire internationale, plus il est difficile d’intervenir dans le champ politique.

Investir davantage les luttes locales ne signifie pas s’éloigner des luttes globales. Et inversement. Les unes et les autres s’alimentent. Batailler pour préserver une parcelle vouée à être transformée en mégabassine aura aussi un écho à l’échelon de l’État, et implique d’engager d’autres actions poussant les décideurs à prendre des décisions allant dans le bon sens. Il n’y a pas d’opposition, il y a plutôt des articulations nouvelles à trouver.
On utilise souvent le terme de « désobéissance civile » dans les médias. Vous dites qu’il est souvent plus juste de parler de « résistance civile ». Pourquoi ?
Les jeunes militants rencontrés au cours de l’enquête ne se placent pas en rupture vis-à-vis de la société et du pouvoir politique. Leurs actions, adressées directement aux décideurs, restent largement non violentes. Les sabotages d’ampleur sont rares. Il s’agit davantage de troubles à l’ordre public, comme un blocage de périphérique, une intrusion dans un événement sportif ou la projection de peinture sur la façade d’un ministère. Le terme de « désobéissance civile » ne leur semble pas approprié pour décrire cela. Les activistes préfèrent parler de « résistance civile », dans la mesure où il n’y a pas d’insoumission à l’égard d’une loi. L’objectif est d’infléchir de nouvelles orientations politiques, de pousser les élus à de nouveaux engagements.

Vous dites toutefois qu’en deux ans, au cours de votre enquête, vous avez observé un durcissement des modes opératoires. Comment expliquer ce virage ?
Cette enquête a été menée dans une période charnière. Elle a débuté au lendemain de la crise du Covid, or le confinement a marqué un véritable coup d’arrêt de la cause climatique en France. Les marches et la mobilisation se sont effondrées. Résultat : bon nombre de collectifs et d’activistes ont ressenti la nécessité de réorienter leur champ d’action. Ils ont constaté que tout ce qui relevait des écogestes ou de la sensibilisation n’était pas assez efficace. Pour l’être, il fallait notamment interpeller le champ politique. Cela est donc passé par des actions de désobéissance civile, des occupations dans des zad, etc. Ce n’est pas l’intensité en tant que telle qui a changé, que la fréquence des actions menées.
On est donc passé dans une phase plus offensive ?
Oui, on est passé dans une phase plus offensive. Toutefois, celle-ci ne fait pas disparaître pour autant la précédente. Ce que je veux dire par là, c’est qu’un jeune n’est pas spécifiquement révolutionnaire ou réformiste. Il est les deux à la fois, au même titre qu’un collectif va aussi engager des actions qui peuvent être dures, et le lendemain faire de la sensibilisation beaucoup plus souple. Il est donc très compliqué de caractériser ces mouvements. Que ce soit Extinction Rebellion ou Alternatiba, il existe des déclinaisons locales, un maillage territorial. Il n’y a pas de ligne directrice. C’est pour ça qu’on parle de constellation dans le mouvement climat. Il y a plutôt un enchevêtrement de différents types d’actions, une superposition de strates.