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Animaux

Les médecines douces dans l’élevage, ça marche !

Nombre d’éleveurs se tournent vers les médecines alternatives pour soigner leur troupeau. En oubliant les antibiotiques grâce à l’aromathérapie et à l’homéopathie, ils transforment leur relation aux animaux et accroissent leur autonomie.

  • Bourbriac et Cavan (Côtes-d’Armor), Plouigneau (Finistère), reportage

« Lorsque le vêlage [1] est trop long, j’utilise de l’huile essentielle de Palma rosa, que j’applique sur l’attache de la queue », explique Élisabeth. Comme les quinze autres éleveurs bovins présents ce jour-là dans la salle municipale de Bourbriac, dans les Côtes-d’Armor, en Bretagne, Élisabeth a appris à utiliser les huiles essentielles pour soigner ses vaches ou pour les aider lors de vêlages difficiles. Avec d’autres éleveurs, elle participe à une réunion pour échanger autour de cette médecine alternative qui requiert un nouveau regard sur leur troupeau. Une pratique loin d’être anecdotique, comme le prouve le succès des formations proposées par le Centre d’étude pour un développement plus autonome (Cedapa) mises en place depuis 2012 pour encourager les éleveurs à être plus autonomes dans la gestion de la santé animale. « L’aromathérapie a été un levier, une porte de traverse, pour faire découvrir à des éleveurs conventionnels qu’il existe d’autres modèles agricoles », dit Jérôme Loinard, animateur de l’association.

On accède à la ferme d’Éric, située sur la commune de Cavan (Côtes-d’Armor), par l’habituel dédale de petites routes bretonnes entourées de haies boisées. « Depuis mon installation, j’étais frustré. Tous les organismes qui m’entouraient dénigraient totalement la possibilité d’être autonome », se rappelle cet ancien éleveur intensif qui possède aujourd’hui 60 vaches laitières sur 56 hectares. À l’occasion de la crise de 2009, il a découvert l’association Cedapa et décidé de développer un système herbager [2] lui permettant d’être moins dépendant du maïs. Mais c’est avec l’apprentissage de l’aromathérapie et de l’homéopathie qu’il a changé de regard sur son travail : « J’ai appris à analyser mon troupeau et à connaître mes animaux. La médecine alternative replace l’éleveur au centre de son élevage. »

Le soutien du Cedapa et de ses membres fut décisif dans son parcours : « On a besoin d’échanger sur nos pratiques, sur les réussites comme sur les blocages. Ces moments d’échanges nous poussent à aller plus loin. »

« J’ai appris à regarder mes vaches » 

Au-delà d’un usage curatif, les huiles essentielles permettent d’aborder le système d’exploitation dans son ensemble, la personnalité de la vache et son cadre de vie. « Les formations contribuent à changer le regard des éleveurs. On commence avec des problèmes ciblés puis, peu à peu, on va vers des réflexions sur la gestion globale du système : alimentation, bâtiments, allaitement des veaux, etc. Ces pratiques préventives évitent le développement des pathologies », précise Jérôme Loinard.

L’aromathérapie est l’art de soigner par les huiles essentielles. Celles-ci sont des extraits de plantes aromatiques obtenus par distillation.

Aujourd’hui, Éric se passe presque complètement d’antibiotiques et observe que la santé de ses vaches est meilleure. Il pense même à faire le pas de la conversion en bio. « Avant, j’avais peur de passer en bio, car il me paraissait impossible de n’utiliser que trois antibiotiques par vache et par an. Maintenant, je trouve même que cette norme est trop élevée ! » s’exclame-t-il, lui-même surpris par ce changement radical. Une évolution qui, en plus de lui faire faire des économies, lui a permis de retrouver du sens dans son travail. « En conventionnel, on est dépendant des commerciaux, des vétérinaires, des experts. Notre réussite — ou notre échec — est liée à ce qu’ils nous vendent. On est l’ouvrier des autres. Aujourd’hui, je ne suis plus simplement là pour traire les vaches. Je soigne, je réfléchis, j’agis. J’ai l’impression de ne plus subir les problèmes. »

« Dès le début, j’ai choisi d’utiliser des huiles essentielles, car je ne voulais pas faire de piqûres d’antibiotiques aux vaches », affirme Élisabeth, installée avec son mari, Pascal, sur 60 ha à Plouigneau (Finistère) où ils élèvent leurs 55 vaches laitières. « Dans les gestes de soin par les huiles essentielles, il n’y a pas la violence de la piqûre », estime cette mère de trois enfants qui, après avoir expérimenté l’aromathérapie avec ses vaches, a décidé de l’utiliser pour toute la famille.

Élisabeth a soigné cette vache, qui s’était coincée un nerf dans le dos, avec de l’homéopathie, des huiles essentielles et l’aide d’un ostéopathe. Au bout de 10 jours, la vache a pu se relever. « La plupart des éleveurs n’auraient pas eu la patience d’attendre et l’auraient euthanasiée avant sa guérison », déplore-t-elle.

Dans les formations aux médecines alternatives, les femmes sont majoritaires. « Je pense qu’en tant que mère de famille nous avons une relation différente aux médicaments, une suspicion sur leurs effets. » Une méfiance que le développement de l’antibiorésistance — l’adaptation des bactéries aux antibiotiques — n’a fait que renforcer. « Les vétérinaires donnent systématiquement des antibiotiques à spectre large et des anti-inflammatoires, quelle que soit la pathologie et même en prévention, dans une logique où la vache doit produire à tout prix », s’inquiète Élisabeth. Au contraire, l’aromathérapie incite à observer précisément les symptômes et la personnalité des vaches, et à adapter les traitements. « Une nouvelle relation s’est créée avec le troupeau, car j’ai appris à regarder mes vaches. Cette méthode vise à rééquilibrer l’animal et le fonctionnement de ses organes, tandis que les antibiotiques ne s’attaquent qu’aux symptômes. »

La santé animale, une porte d’entrée vers de nouvelles pratiques agricoles 

Pour Élisabeth, recherche de productivité et bien-être de ses animaux sont aussi importants l’une que l’autre. « Si tu ne vois ta vache que comme un numéro qui produit du lait, c’est sûr que ce n’est pas la peine d’essayer l’aromathérapie ou l’homéopathie », précise l’éleveuse en souriant. Encouragé par l’efficacité de cette approche, Pascal, son mari, a lui aussi suivi une formation. « Nous avons de meilleurs résultats en réfléchissant à deux. Pascal a développé une autre relation avec les vaches : il accepte mieux qu’elles puissent être malades. »

Grâce à l’attention portée au bien-être et à l’équilibre du troupeau, ainsi qu’à un système d’exploitation herbager économe, la ferme d’Élisabeth et de Pascal est rentable et, surtout, ils se sentent bien dans leurs pratiques. « C’est encourageant d’avoir de bons résultats et on se sent tellement fiers quand on a réussi à guérir un animal sans avoir fait appel au vétérinaire ! »

Depuis qu’il utilise les huiles essentielles et l’homéopathie, Éric a le sentiment d’avoir retrouvé un pouvoir de décision au sein de son exploitation.

Aux formations et réunions d’aromathérapie organisées par le Cedapa se croisent des éleveurs bio, des éleveurs conventionnels en système herbager et des éleveurs en système intensif. « Au début, les formations n’attiraient que des éleveurs de notre réseau, mais peu à peu sont venus de plus en plus d’éleveurs conventionnels confrontés à l’antibiorésistance », explique Jérôme, l’animateur spécialisé dans l’aromathérapie au sein de l’association Cedapa. « Aujourd’hui, ils représentent presque les deux tiers de notre public. » Ces éleveurs, poussés jusqu’il y a peu à un usage systématique des antibiotiques, ont désormais moins de molécules à disposition, car elles ont été retirées du marché vétérinaire. « Des antibiotiques à large spectre d’action ont été prescrits à tort et à travers alors qu’ils sont utilisés chez les humains comme dernier rempart contre certains virus », avance une salariée de la coopérative laitière Sodiaal, qui remarque avec intérêt que l’aromathérapie s’impose de plus en plus comme une alternative crédible.

« Les huiles essentielles apportent des résultats rapides et concluants. Si l’éleveur voit que ça fonctionne, ça l’encourage à aller plus loin », affirme Jérôme. La santé animale peut ainsi devenir une porte d’entrée vers de nouvelles pratiques agricoles, plus respectueuses de l’animal et de l’environnement. Et en poussant les éleveurs à s’interroger sur l’ensemble de leurs pratiques agricoles, elle leur ouvre la voie à une reprise en main de leur autonomie.

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