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Les migrants de Calais reçoivent le soutien des paysans et zadistes de Notre-Dame-des-Landes

Des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sont venus apporter leur soutien aux migrants de Calais mercredi 23 mars. En particulier aux neuf Iraniens qui, lèvres cousues, sont en grève de la faim depuis trois semaines.

-  Calais (Pas-de-Calais), correspondance

Indignés et solidaires. « On se sent très concerné par leur action car on l’a vécue il y a quatre ans », explique Marcel Thebault, agriculteur de Notre-Dame-des-Landes, directement menacé par le projet de l’aéroport. Gréviste de la faim en 2012, il comprend l’engagement de neuf Iraniens qui se sont cousus les lèvres le 3 mars, au lendemain du début des opérations d’évacuation de la jungle. Depuis, ils ne s’alimentent plus. « Leurs enjeux et les nôtres se rejoignent. Il est question de la dimension de l’humanité et de la terre nourricière. » À ses côtés, Marie et Séverine. Elles aussi étaient en grève de la faim en 2012, à Nantes. Et Cyril, qui les soutenait.

Ces opposants au projet d’aéroport ont fait l’aller-retour à Calais pour « être à l’écoute de ce que les migrants ont à dire », indique Marcel Thebault. D’emblée, ils ont perçu la rudesse de la lutte engagée ici. « Notre grève de la faim, c’était une promenade de santé comparée à ce qu’ils vivent », poursuit Marcel Thebault. Et d’étayer son propos : « On avait en permanence 20 ou 30 personnes autour de nous. » « On était portés », le coupe presque Séverine. Un soutien porteur, voilà ce qu’ils veulent à leur tour offrir à ces grévistes de la jungle, qui vivent loin des yeux des citoyens dans ce bidonville à 7 km du centre de Calais et créé par l’État il y a un an pour vider la ville de ses squats et de ses campements, comme le demandait Natacha Bouchart, la maire.

Les Iraniens de Calais se demandent si leur lutte est écoutée

« Nous, on avait un cadre confortable. », poursuit l’agriculteur, dont les paroles se mêlent au bruit des bulldozers qui aplanissent le terrain en présence de CRS ici et là. « Ici, c’est pour le moins oppressant… » À Calais, les exilés ont le choix entre des abris de fortune, les vestiges du démantèlement ou les solutions de l’État : 500 places sous des tentes non chauffées de la sécurité civile, 1.500 places en conteneurs chauffés dans le camp d’accueil provisoire (CAP), où il faut laisser son empreinte palmaire en entrant. Restent 400 places pour les femmes et les enfants au centre Jules-Ferry. Ou les centres d’accueil et d’orientation (CAO) en France.

Marcel Thebault, paysan à Notre-Dame-des-Landes, en visite de soutien aux grévistes de la faim de la jungle.

Dans la lutte de Calais, Marcel Thebault note le « statut social » de ces migrants. « Nous, on était des méchants Français opposés à monsieur Ayrault. On avait le regard bienveillant des Français qui passaient. » Les Iraniens de Calais, eux, se demandent si leur lutte est écoutée, même entendue. Voilà aussi pourquoi la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est là, « pour que le mouvement prenne de l’ampleur. Charge à nous de nous mettre en quatre pour que cette action dérange les gens qu’elle vise ». Ils fustigent « ce monde de violence et de mépris qu’on laisse se mettre en place ».

Régulièrement, des militants de Notre-Dame-des-Landes viennent soutenir la lutte calaisienne. Ils sont proches des No Border, et les luttes se croisent. « Des liens se créent », confie cette jeune femme, expliquant qu’entre Calais et Notre-Dame-des-Landes, les passerelles se font « par affinité ». Elle est venue pour la première fois à l’époque de la Jungle de Tioxide et du squat Galoo, en 2014. « C’est des questions de territoires, de populations, c’est la même logique ». En décembre dernier, la cantine de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes « est venue à Calais ». Puis « ils ont fait des événements pour acheter une batterie de cuisine. C’est un outil utilisable par les gens de Calais, pour des cantines autogérées. » Entre Calais et Notre-Dame-des-Landes, les luttes se rejoignent, les réflexions sont communes.

La zone Sud de la jungle est devenue un no man’s land depuis que l’État a commencé le démantèlement, le 29 février avec, entre autre, l’intervention de la société Sogea, filiale de Vinci. Les bulldozers ont rasé habitations et commerces. Restent une école, une église, une bibliothèque. Et aussi l’Info Point des activistes No Border. C’est là que se sont rendus Marcel Thebault et ses compagnons de lutte. À 16 h, des représentants de l’État négocient avec les Iraniens, quotidiennement depuis six jours. Pour qu’ils cessent leur grève. Les exilés réclament des conditions d’accueil dignes et l’ouverture des frontières — à laquelle ne peut répondre l’État français —, le rapprochement familial pour ceux dont des proches sont en Angleterre. Le directeur départemental de la cohésion sociale a fait des propositions écrites, axées sur du dialogue, permettant d’améliorer les conditions de vie de la zone Nord aussi. Pas concluant.

Pelleteuses et CRS ont donné le ton

Marcel Thebault est à deux pas de là. Il y a moins d’un mois, les lieux grouillaient de vie. Un Iranien quitte la négociation, les yeux emplis de douleur. Affaibli. Il ne pipe mot. Un second sort, lance un regard souriant en voyant les soutiens de Notre-Dame-des-Landes. Un seul parle anglais, il est à l’intérieur. D’autres se reposent dans des abris, « très affaiblis », confie un activiste No Border qui suit cette lutte de près : « On respecte leur choix, sans les influencer. Aujourd’hui, la venue de ces soutiens leur donne de l’espoir, relève leur moral. »

Militants de Notre-Dame-des-Landes et migrants réunis devant la tente des grévistes de la faim.

Le 2 mars, au deuxième jour du démantèlement, des cabanes ont à nouveau été détruites. Dont celles d’Iraniens. Le lendemain, certains débutaient une grève de la faim, se cousaient les lèvres. Le 4 mars, un autre l’a fait devant les caméras. Aujourd’hui, ils sont neuf. Ils dénoncent cette expulsion, veulent que « cessent les violences fascistes, les violences policières », réclament des conditions de vie dignes pour tous.

La préfecture parlait d’un démantèlement à caractère « humanitaire », « progressif », en douceur. Pelleteuses et CRS ont donné le ton. Des maraudes des services de l’État expliquaient les solutions proposées aux exilés. Des migrants assurent avoir été virés de leur cabane. L’État avait promis l’inverse ; et dément.

Sous le pont de la rocade portuaire, l’œuvre de l’artiste de rue Banksy.

Avant le démantèlement, la préfecture assurait qu’un millier de migrants étaient concernés. Les associations dénombraient 3.451 exilés. Aujourd’hui, l’État parle de 3.500 migrants au total, dont 1.850 installés dans ses structures. L’association l’Auberge des migrants effectue actuellement son propre comptage.

La vie se réorganise 

Les associations sont « dubitatives », assure Pierre, infirmier pour Médecins sans frontières. Non pas que les associations présentes sur la jungle « soient pour le maintien d’un bidonville », où l’autogestion avait néanmoins pris place à côté de cantines communautaires et de lieux de vie, comme un théâtre. « On est favorables à des solutions adaptées, autres que les CAO [centres d’accueil et d’orientation] et le CAP [camp d’accueil provisoire], qui ne correspondent pas aux besoins de tous. »

En levant les yeux, on aperçoit la rocade portuaire, barricadée par des grilles et des barbelés. Aujourd’hui, le déplacement de la jungle vers la zone Nord est un fait. Aziz, Pakistanais de 40 ans, confirme, assis à la limite de la zone Nord. « Je vivais à côté d’une épicerie. Maintenant, je suis dans une cabane, de l’autre côté. On veut aller en Angleterre. » Alors, il tente, encore. « Je me suis fait prendre deux fois au ferry ce mois-ci. »

Aziz, un Pakistanais de 40 ans et Qadeem, un Afghan de 22 ans, ont vu leur abri détruit pendant le démantèlement et ont décidé de s’installer dans la zone Nord. Ils espèrent toujours passer en Grande-Bretagne.

Dans la zone Nord, la vie se réorganise. « Des restaurants rouvrent », explique un associatif. La jungle, cet hiver, a dépassé les 6.000 occupants. L’État n’en souhaite, à terme, que 2.000. Et, déjà, de nouveaux arrivants piétinent les allées du bidonville.

Les migrants ont déménagé pour une grande partie dans la zone Nord de la jungle, qui s’étend.

Les neuf Iraniens aux bouches cousues depuis trois semaines de la jungle de Calais veulent se faire entendre. Au nom de tous les exilés. À Notre-Dame-des-Landes, leur détresse a été entendue. Ces deux combats résonnent, ensemble. À Calais, la mobilisation et la solidarité, depuis plusieurs mois, prennent de l’ampleur. Indignés et solidaires.

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