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Malgré les risques de Covid, les États rechignent à arrêter l’élevage de visons

Devant le risque sanitaire posé par les élevages de visons, qui peuvent transmettre le coronavirus aux humains, les pays qui en accueillent sur leur sol ont agi de façon contrastée. Du Danemark à la Chine, en passant par la Grèce et les États-Unis, Reporterre fait le tour des grands producteurs mondiaux de fourrure.

Début novembre, le Danemark, premier producteur mondial de fourrure de vison, a décrété l’abattage de son cheptel de plus de 17 millions de visons d’élevage répartis sur environ 1.200 exploitations. La cause : le coronavirus se transmet des humains aux visons et réciproquement. Or, lorsqu’il passe des visons aux humains, des variantes apparaissent, dont certaines sont susceptibles de compromettre l’efficacité des vaccins.

Le phénomène avait déjà été observé aux Pays-Bas au printemps, qui a depuis abattu plus de 2,7 millions de visons et fermé définitivement ses 110 fermes intensives. Il s’est aussi déroulé en Espagne durant l’été. Mais sans provoquer le même vent de panique qu’au Danemark, en dépit des mesures prises par les pouvoirs publics concernés, mesures présentées comme des décisions dictées par l’application du principe de précaution plutôt que par des certitudes scientifiques.

Devant l’existence d’un risque sanitaire évalué comme potentiel ou avéré, chaque pays d’élevage a dû, à partir de novembre, prendre des décisions propres à rassurer sa population et opter pour une manière de les appliquer.

Petit tour d’horizon par pays, sachant que pour comprendre les choix retenus par chaque État, il faut savoir que, chaque année dans une situation normale, on abat environ 90 % des visons entre les 15 novembre et le 15 décembre en vue de les « peler », c’est-à-dire de récupérer leurs peaux… et que seuls survivent des « étalons » et des femelles destinés à reproduire la génération suivante qui, elle-même, ne vivra que huit mois.

L’Irlande a ouvert le bal, début novembre, en décidant officiellement d’abattre ses 120.000 visons rassemblés sur ses trois fermes à Donegal, Laois et Kerry, lesquelles devaient être arrêtées ensuite. Les éleveurs ont eu le droit de « peler » avant d’abattre. Ce qui fait que, par rapport au bilan habituel, on avait simplement à exécuter, en plus, les 20 % du cheptel normalement conservés d’une année sur l’autre pour servir à la reproduction. Mais contre toute attente, à la mi-décembre, il s’est avéré que l’abattage n’avait pas eu lieu et que la filière ne serait peut-être pas abandonnée, le ministre de l’Agriculture, Charlie McConalogue, ne semblant guère enclin à clarifier la situation.

En Italie, on testait avec peu d’empressement, jusqu’à ce que les associations animalistes montrent les dents. Il ne reste, là-bas, plus que huit fermes pour un total d’environ 100.000 animaux, dont l’une était contaminée depuis le mois d’août. Contamination qui n’a été révélée qu’à la mi-novembre. Sous la pression, le ministre de la Santé, Roberto Speranza, a décrété, le 23 novembre, un moratoire sur l’élevage de visons jusqu’en février 2021 — sachant que, de toute façon la reproduction a lieu en mars. Il a cependant ordonné l’abattage complet avec crémation de la plus grosse ferme du pays, située à Capralba, pour laquelle des visons avaient été testés positifs au Covid.

En Suède, à la mi-novembre, treize des vingt-neuf fermes du pays étaient contaminées mais les autorités n’avaient pas l’intention de procéder à des abattages massifs et le commerce des peaux récoltées n’a pas été mis en question. Pourtant les premiers cas de morts anormales de visons ont eu lieu dès le mois d’octobre dans les élevages de Blekinge.

La France ne dispose que de quatre élevages, dont trois petits et un plus important dans l’Orne (le seul qui dépasse 10.000 têtes). Les animaux n’ont été testés qu’à partir de la mi-novembre. Un élevage de l’Eure-et-Loir a été identifié comme « contaminé » et les mille visons qu’il contenait ont été abattus. L’arrêt de la filière est programmé pour 2025.

En Grèce, l’élevage de visons a une autre ampleur : quatre-vingt-dix fermes et plus d’un million d’animaux. Une semaine après l’instauration des tests sur les exploitations, le 12 novembre, on dénombrait plusieurs fermes avec des animaux morts, des animaux asymptomatiques mais positifs dans d’autres et des éleveurs également positifs. C’était notamment le cas à Kaloneri dans l’ouest de la Macédoine et à Kastoria. Les élevages concernés ont été abattus. D’après la presse locale de début décembre, le pays est considéré par des éleveurs danois comme un lieu où il serait possible de transférer leur activité.

La Hongrie a interdit l’élevage de visons et d’autres animaux à fourrure durant la deuxième quinzaine de novembre. Elle n’en compte actuellement aucun sur son sol, mais elle craignait de devenir un territoire refuge pour les éleveurs confrontés à l’élimination ou à l’arrêt de leur production dans leur territoire d’origine. C’est le cas de la Roumanie, qui compte déjà à Brasov plusieurs fermes néerlandaises délocalisées.

Des visons enterrés dans un terrain militaire, le 9 novembre au Danemark, près d’Holstebro.

En Lituanie, l’injonction à tester les animaux des fermes d’élevage a été lancée juste avant que ne commence l’abattage saisonnier. Résultat : des cas ont été notifiés dans une ferme à Jonava, non loin de Vilnius, la capitale du pays, où cent cinquante visons étaient morts du Covid. Précisons que sur les 100.000 animaux de l’exploitation, 40.000 avaient déjà été dépecés. Les services vétérinaires et les éleveurs se sont accordés pour n’abattre et n’incinérer sous contrôle sanitaire que la population animale de vingt-deux cages identifiées. L’activité de la filière qui comprend 1,7 million de bêtes, soit quelques centaines de fermes dont la moitié abrite chacune un effectif supérieur à 10.000 visons, n’est nullement remise en cause.

La Pologne est sans doute le pays qui a été le plus traumatisé par la décision danoise et ses répercussions. Les fédérations d’éleveurs ont d’abord annoncé qu’elles s’opposaient et s’opposeraient à ce que des tests soient réalisés dans leurs élevages. Finalement, ceux-ci ont pu commencer dans une certaine mesure à partir du 13 novembre… mais uniquement pour les éleveurs volontaires. Puis dans cinq fermes où les propriétaires avaient donné leur accord, à partir du 17 novembre, sachant que le pays en dénombre plus de 350 pour un total d’animaux tournant autour des six millions. Les communiqués officiels ont d’abord mentionné dix-huit éleveurs contaminés le 20 novembre. L’université de Gdansk, qui a réalisé des tests, a ensuite signalé que dans l’une des fermes du nord du pays, environ 10 % des animaux étaient positifs au Covid. Mais les autorités vétérinaires ont invalidé ces résultats. Il semble que l’intervention des groupes industriels du secteur soit parvenue à éteindre l’incendie.

Aux États-Unis, on sait que les élevages de visons sont contaminés de très longue date, au moins dans les quatre principaux États producteurs du pays : le Wisconsin, le Michigan, l’Utah et l’Oregon. D’après la Fur Commission USA, le pays produit environ trois millions de peaux par an à partir de ses 273 fermes réparties dans vingt-trois États. Les premiers signalements de visons contaminés datent de début août, dans l’Utah. Dans certaines fermes, le Covid a tué jusqu’à 40 % de la population animale. Des éleveurs ont été contaminés par les visons et fin octobre, le quart des fermes de l’Utah étaient considérés comme « infectées ». Début novembre, le Michigan reconnaissait la mort de 5.000 visons du Covid dans deux fermes distinctes, puis de 10.000. Les représentants du Wisconsin refusaient, eux, de divulguer le nombre d’animaux morts de la maladie et affirmaient avoir pris des mesures de quarantaine. En Oregon, la gouverneure, Kate Brown, déclare depuis l’origine qu’elle ne souhaite pas qu’on inspecte les exploitations. Mais un éleveur a mis le feu aux poudres en publiant la nouvelle de la mort d’une partie de son cheptel. Les responsables de cet État refusent toujours à ce jour d’informer sur l’ampleur de l’épidémie ou d’intervenir, malgré les sollicitations des associations.

En Finlande, troisième pays producteur de fourrure au monde — essentiellement de renards —, on déclare avoir réalisé les tests nécessaires pour permettre d’affirmer que le pays n’est pas touché par le « coronavison ».

En Russie, on compte sur les éleveurs pour signaler d’eux-mêmes s’ils constatent un problème.

En Espagne, le ministère de l’Agriculture annonce qu’il n’y a aucune inquiétude à avoir depuis l’éradication de 100.000 visons près de Teruel, en juillet dernier. Une affirmation contestée par les associations de protection animale qui notent que des symptômes sont signalés dans quatre fermes de Galice, plus grande zone de concentration du pays, et qui doutent des déclarations rassurantes émises par l’inspection vétérinaire.

En Chine enfin, premier pays producteur de fourrure au monde, on déclare avoir pris les mesures nécessaires et se réjouir de ne constater aucune contamination. Une ferme saine est mise en avant dans les communiqués de presse de ce mois de décembre pour donner du poids à cette assertion. Elle se trouve à Dalian, très loin de la province du Shandong, où fourmillent les fermes d’élevage de vison, petites, moyennes ou gigantesques. On y élève également des renards et des chiens viverrins par millions, également sensibles au coronavirus. On se réjouit dans cette partie du monde que le prix des fourrures bondisse du fait de la pénurie provoquée par la défection danoise sur le marché mondial.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a constitué dès septembre une équipe internationale pour enquêter en Chine sur l’origine animale du coronavirus. Après quatre mois d’attente d’une autorisation, elle devrait pouvoir s’y rendre début janvier 2021.

Dans sa dernière évaluation, parue le 4 décembre, le Statens Serum Institute estime que 2.700 personnes ont été contaminées au Danemark par une variante mutée provenant de ses élevages de vison.

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