Maltraitance dans les abattoirs : « L’État ne respecte pas sa mission de contrôle »

À l'entrée de l'abattoir de dindes du Faouët, en 2021. - © L214
À l'entrée de l'abattoir de dindes du Faouët, en 2021. - © L214
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Animaux Alimentation JusticeAlors que l’État vient d’être condamné trois fois pour « carence fautive » dans son contrôle des abattoirs, l’association L214 réclame le respect des réglementations et une réflexion globale sur la production de viande.
L’État français est coupable de « carence fautive », car il n’a pas fait respecter les réglementations dans ses abattoirs. C’est ce qu’ont affirmé les tribunaux administratifs de Rennes, le 12 juillet — en se basant sur les cas du Centre d’abattage des dindes du Faouët (Morbihan), et de l’abattoir de Briec (Finistère) — et de Pau, le 20 juillet, pour l’abattoir du Pays de Soule (Pyrénées-Atlantique).
Au mois de mai, les juges du tribunal administratif de Montpellier avaient également rendu une décision similaire. Mais aucun changement n’est mis en place, dénonce Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association de défense des droits des animaux L214, qui avait saisi la justice.
Reporterre — La justice a reconnu une « carence fautive » de l’État, dans sa mission de contrôle des abattoirs. Que lui est-il reproché ?
Brigitte Gothière — Nous avons montré [en diffusant des vidéos filmées en caméra cachée] que des dysfonctionnements existaient dans ces abattoirs [ceux du Faouët, de Briec, du Pays de Soule et de Rodez]. C’était par exemple des postes d’immobilisation qui n’étaient pas aux normes, du matériel qui ne fonctionnait pas correctement, ou un comportement du personnel qui était inapproprié. Les abattoirs sont déjà des lieux de terreur et de souffrance terrible pour les animaux. Mais si, en plus, la réglementation n’est pas respectée…
Or certaines de ces infractions avaient déjà été notées dans des rapports. En 2016, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, avait demandé un contrôle de tous les abattoirs de boucherie, et avait rendu publics tous les rapports.
Dans les cas de Rodez et de Briec, nous avons constaté en 2020 et 2021 les mêmes défauts qui étaient déjà soulignés dans les rapports de 2016. On a donc saisi la justice pour remettre en question le rôle des services vétérinaires de l’État.

L’État a une mission de contrôle dans les abattoirs. Des fonctionnaires de l’État — des vétérinaires et des agents vétérinaires — sont censés être présents en permanence pour s’assurer que la réglementation est respectée, sur le plan sanitaire comme sur les conditions de la mise à mort des animaux.
Certains se défendent parfois en disant qu’ils n’étaient pas là quand il y a eu des gestes inappropriés du personnel. Admettons. Mais un box d’immobilisation qui n’est pas aux normes, ça se voit ! Et rien n’a été mis en place pour changer la situation.
Les services vétérinaires ont pourtant le pouvoir de prendre des mesures dites « proportionnées ». Ça peut être un simple rappel de règles, une mise en demeure, un signalement auprès du procureur, une fermeture administrative de l’établissement…
Ils ont vraiment tout un panel de mesures à leur disposition pour que la réglementation soit a minima respectée dans les abattoirs. Donc oui, la responsabilité de l’État est forte dans ces dysfonctionnements, et les tribunaux l’ont reconnu.
L’Etat est condamné à vous indemniser, mais pas à agir. Qu’en pensez-vous ?
C’est fort symboliquement d’être condamné pour défaillances majeures dans une mission de contrôle. Mais ça n’a pas de conséquences. Il n’y a pas d’obligation derrière — bien que le tribunal administratif de Rennes affirme qu’il faudrait une obligation de résultat.
L’Office alimentaire vétérinaire [le service de la Commission européenne qui veille au respect de la législation communautaire sur le bien-être animal] avait d’ailleurs aussi réalisé des contrôles des abattoirs français [en 2014] et avait mis en lumière des non-conformités. Mais cela n’a pas eu de conséquences. Donc quelle est la prochaine étape ? Qu’est-ce qu’on met en œuvre derrière le contrôle du contrôle ?
Pour nous, il serait logique, légitime, que les rapports de services vétérinaires soient publics et transparents. Quand, en 2016, Stéphane Le Foll a publié l’ensemble des rapports d’inspection d’abattoirs de boucherie, c’était très fort.
« Qui peut contrôler l’État ? Les parlementaires »
Tous les abattoirs ont râlé, donc ça a été remplacé par un système de smileys, sur le site Alim’confiance. Des smileys ! C’est nul, mais c’est nul ! Quel âge a-t-on ? Est-ce qu’on est sur les réseaux sociaux ? On parle quand même de vérifications sanitaires et de condition animale !
Une autre chose à mettre en œuvre serait le droit de visite des parlementaires dans les abattoirs. Toutes ces décisions de justice montrent que l’État est défaillant. Donc qui peut contrôler l’État ? Les parlementaires.
Vous avez publié le 26 juillet de nouvelles images, cette fois d’un abattoir en Gironde. Votre enquête montre une nouvelle fois des pratiques et des installations en violation grave de la réglementation — qui avaient déjà été identifiées en 2016. Comment expliquer ces dysfonctionnements systémiques ?
Il n’y a pas de volonté politique. C’est un vrai tabou aujourd’hui, alors qu’on sait que la production de viande crée une souffrance animale considérable, qu’elle a des conséquences sur l’environnement, sur la ressource en eau, sur la santé… Donc pourquoi on ne peut pas avoir un débat aujourd’hui sur la place de la viande en France ?

On tue encore aujourd’hui trois millions d’animaux tous les jours dans les abattoirs français. C’est une cadence infernale. Même les derniers chiffres de la consommation de viande sont déprimants [1]. La situation demanderait une réponse forte, mais il n’y a pas de volonté de l’État d’aller là-dessus. Il défend des intérêts particuliers plutôt que l’intérêt général.
Alors qu’on a une société qui, aujourd’hui, est prête à réduire sa consommation de viande, de manière assez forte ! Quand on avait fait un sondage en 2022, 64 % des personnes interrogées disaient qu’elles étaient prêtes à réduire leur consommation de viande et de poisson de 50 %, avec l’aide de politiques publiques sur ce sujet. Mais comme il n’y a de politiques publiques, il n’y a pas d’accompagnement.
Existe-t-il d’autres leviers que les leviers politiques ?
Au niveau des entreprises, il peut y avoir des choses qui changent. C’est ce qu’on a expérimenté sur la question des œufs de poules élevées en cage. Quand on a commencé à porter la demande de l’arrêt de vente des œufs de poules élevées en cage, à la création de l’association en 2008, 80 % des poules étaient en cage.
Le taux est depuis descendu à 23 %, avec les plus de 150 engagements qu’on a obtenus de la part des entreprises. Donc l’élevage en cage des poules pondeuses devrait disparaître vers 2025.
Si on ne peut pas passer par des décisions de l’État, on peut porter des demandes auprès des entreprises. C’est peut-être par là qu’il faudra passer pour changer de modèle agricole, et de modèle alimentaire en France — ce qui est un aveu d’échec. Cela prouve une défaillance au plus haut niveau de l’État.