Marine Tondelier : « Notre écologie est radicale »

Marine Tondelier en octobre 2022 aux rencontres des nouvelles pensées de l'écologie à Cluny (Saône-et-Loire). - © Mathieu Génon / Reporterre
Marine Tondelier en octobre 2022 aux rencontres des nouvelles pensées de l'écologie à Cluny (Saône-et-Loire). - © Mathieu Génon / Reporterre
Durée de lecture : 15 minutes
La priorité pour Marine Tondelier, candidate à la succession de Julien Bayou à la tête des Verts : la fondation d’un grand mouvement de l’écologie politique. « Il faut qu’on arrive à se réorganiser car en face, ils le sont. »
Conseillère régionale d’Europe Écologie-Les Verts, Marine Tondelier est candidate pour succéder à Julien Bayou et devenir secrétaire nationale du parti lors du congrès qui se tiendra le 10 décembre. Elle est élue d’opposition à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).
Écoutez l’entretien complet de Marine Tondelier, invitée de Reporterre :
Reporterre — On vous connaît parce que vous bataillez à Hénin-Beaumont, face au Rassemblement national, qui dirige la municipalité. Vous êtes née dans le Nord ?
Marine Tondelier — Oui. J’ai deux grands-parents qui sont de Beaumont-en-Artois, ils étaient agriculteurs et sont encore en vie. Les deux autres grands-parents étaient pharmaciens à Hénin-Liétard. Les deux villes ont fusionné pour donner Hénin-Beaumont.
Il y avait une ville plutôt bourgeoise et l’autre plutôt ouvrière ?
Hénin-Liétard, c’était le bassin minier. Beaumont-en-Artois était rurale. En quelques centaines de mètres, on passe du bassin minier au rural. Pour survivre à la mort de l’industrie minière, il fallait des terrains pour attirer des entreprises, et la fusion s’est faite pour ça. J’ai 36 ans. Avant, à Beaumont, c’était des champs à perte de vue. Aujourd’hui, il y a un énorme Ikea et des entrepôts logistiques parce qu’on est au croisement de l’autoroute A21 et de la A1 qui va de Paris à Lille et à Bruxelles. Tous les entrepôts logistiques s’installent là et c’est méconnaissable. On se bat contre l’implantation de nouveaux entrepôts. Quand vous habitez ce genre de territoire, vous venez naturellement à l’écologie.
Comment cela s’est-il passé pour vous ?
Très jeune, dès la classe de CP, j’ai pris conscience des inégalités sociales, lorsqu’on distribuait les bulletins de notes du premier au dernier — je crois que ça ne se fait plus aujourd’hui. Je me suis fait la réflexion que c’était humiliant pour le dernier, qui avait sûrement des soucis dans sa vie qui expliquaient cela et qu’il serait sûrement dernier toute sa vie. Je vis dans un territoire populaire sans prétendre venir de classes populaires. Mais cette violence des inégalités, ce qu’on vit à l’école, ça a forgé une conscience de gauche. Il y a aussi le fait que c’est le territoire de France métropolitaine où on vit le moins longtemps : l’écart entre la moyenne nationale d’espérance de vie et la nôtre dans l’arrondissement de Lens est le plus élevé d’Europe. En grandissant, en faisant des études, vous apprenez que la précarité, ça tue, et ça, on le voit bien chez nous.

Quelles études avez-vous faites ?
D’abord une prépa littéraire, et puis Sciences-Po à Lille. Mais j’ai toujours spécialisé mes mémoires et mes stages dans les problématiques sanitaires et sociales, jusqu’à une spécialisation en santé environnementale. La pauvreté, ça tue. On a la densité de sites Seveso la plus élevée de France. Et puis l’eau est polluée par les pesticides comme dans tant d’autres endroits, mais aussi par les munitions des deux guerres mondiales qui continuent à se désagréger dans le sol.
Comment fait-on pour avoir un métier tout en s’engageant en politique — un investissement fou, surtout si on veut accéder à des responsabilités ?
Être élue d’opposition à Hénin-Beaumont, c’est un mandat bénévole. Donc à 25 ans, c’est important de travailler. Mon premier vrai travail à plein temps, après quelques stages, c’était au Sénat parce que j’ai fini mes études en 2011, pile au moment où on a eu pour la première fois un groupe de sénateurs. Je travaillais pour Aline Archimbaud, alors sénatrice de Seine-Saint-Denis, parce c’est elle qui s’occupait de questions sanitaires et sociales. Au Sénat, on a fait les premiers amendements sur l’huile de palme, sur l’aspartame, sur le diesel. Après, j’ai travaillé deux ans pour Cécile Duflot à l’Assemblée. On s’entendait très bien. Quand Cécile Duflot, comme plein d’autres députés, n’a pas été réélue en 2017, j’ai eu la chance d’être embauchée par une fédération d’associations environnementales. Ça change beaucoup de la politique : il y a une une exigence de crédibilité quand on travaille avec des ingénieurs, une rigueur scientifique que vous avez très peu dans le milieu politique. J’ai suivi des débats au Sénat sur la santé : les gens lisaient l’argumentaire du lobby... Donc travailler sur un sujet environnemental donné avec l’ensemble des parties prenantes, ça apprend à se mettre à la place des autres, à comprendre les freins au changement.
Comment êtes-vous devenue écologiste ?
J’étais à Sciences-Po, et lors des élections européennes de 2009, quelqu’un distribuait des tracts. Les filles BCBG l’évitaient pour ne pas les toucher. Je ne savais pas du tout qui c’était, mais ça m’a énervée, donc je suis allée chercher son tract, par principe. Et c’est là que je vois José Bové – je me suis dit, c’est le destin, on y va. Ensuite, j’ai découvert Eva Joly, Cécile Duflot, Dominique Voynet, Marie-Christine Blandin, Hélène Flautre. C’était vraiment une révélation. Je me suis engagée et j’ai adhéré aux Verts. Quelques semaines après, mon maire était démis de ses fonctions. Les Verts d’Hénin-Beaumont ont sonné chez moi le soir des européennes. Ils m’ont dit qu’il y avait une municipale partielle : « On est 4, avec toi, on est 5, et il faut qu’on soit 35. Est-ce que tu es de la partie ? » Quand vous entrez dans des combats comme ça, par une élection, vous tombez dans la marmite.

Europe Écologie-Les Verts n’est pas au mieux de sa forme. Sur quoi est-il le plus fort et sur quoi le plus faible ?
Il est le plus fort dans la résilience. Ça m’a donné énormément de force de militer aux côtés de personnes qui, depuis quarante ans, expliquent des trucs qui nous paraissent évidents aujourd’hui. Des personnes qui, de manière constante, ont tenu la ligne même quand c’était dur, même quand ils étaient moqués, et alors qu’ils s’exposaient à des risques juridiques pour leurs convictions. Le point faible, c’est nos scores électoraux récents. Je suis une enfant de ce parti avec ses bons et ses mauvais côtés. Je suis à la direction depuis suffisamment longtemps pour avoir observé ce qui marchait, ce qui ne marchait pas. On a vécu des moments quand même terribles et on s’en est, à ce stade, toujours remis. Mais aujourd’hui, il va falloir réussir.
Qu’est-ce qui marche et qu’est-ce qui ne marche pas ?
On manque d’une vraie discipline collective. Quand j’entends un ou une écologiste critiquer un ou une écologiste dans la presse, ça m’affecte beaucoup. Parce que quand vous dites du mal d’un ou d’une écologiste dans la presse, vous dites du mal de l’écologie. Vous avez le droit de lui dire que vous n’êtes pas d’accord, vous avez le droit d’en parler en réunion interne, mais aller mettre ce débat sur la place publique est contreproductif.
« On manque d’une vraie discipline collective »
Ça doit s’arrêter. Toutes les polémiques font diversion des combats qu’on doit mener frontalement. Les choses sont simples. On ne sait pas garantir aux enfants qui naissent en 2022 l’habitabilité de la planète dans trente ans : cela doit nous obséder.
Est-ce qu’il n’y a pas un choix politique de la radicalité, comme l’a déclaré Sandrine Rousseau sur Reporterre ?
L’écologie est radicale, notre projet est radical, la manière dont on le porte est radical. Le maire de Loos-en-Gohelle, Jean-François Caron, qui place le patrimoine minier au patrimoine Unesco, Noël Mamère, qui célèbre le premier mariage homosexuel, René Dumont et son verre d’eau [1], José Bové et le McDo [2]… notre histoire est radicale et la radicalité est quelque chose qu’on a en commun chez les Verts. Ce n’est pas un curseur différenciant entre militants écolos. Donc je n’ai pas de leçon de radicalité à donner ni à recevoir. Par contre, je veux qu’on soit aussi des radicaux du collectif, de l’éthique, de l’exemplarité. Là-dessus, on peut progresser.
Est-ce que Europe Écologie-Les Verts a un programme ?
Oui. À chaque élection, on sort un programme qui est assez constant dans notre histoire. Et donc, si votre question est : faut-il faire notre réarmement doctrinal (c’est un mot que j’emploie beaucoup) ? Oui, il faut opérer notre réarmement doctrinal.
Pourquoi ?
En 2017, on n’était plus que 4 000 adhérents, on n’avait plus aucun député, on n’avait pas eu de candidat à la présidentielle, on avait des problèmes financiers très graves, et peu de gens pensaient qu’on survivrait. Toute l’énergie, on l’a mise à survivre et on a survécu avec de très belles victoires aux européennes, aux municipales qui nous ont ému aux larmes. Mais quand vous êtes occupés à survivre, vous n’êtes pas occupés à construire la suite. C’est d’ailleurs le nom de la motion qu’on défend au Congrès : « La suite ». On a paré au plus pressé et on n’a pas eu le temps de cultiver le lien avec les intellectuels, avec la société civile écolo.

Réarmement doctrinal, ça veut dire la doctrine. Les écolos lisent-ils assez ? Est-ce qu’ils discutent assez ?
Aujourd’hui, si vous êtes militant écolo, vous avez votre boulot, souvent vous êtes élu, vous êtes dans votre Amap, à l’association des parents d’élèves, vous êtes syndicaliste en plus, et puis vous épluchez vos légumes vous-même parce que vous voulez manger bio et sans pesticides et tout ça. Donc c’est sûr qu’il y a un effort à faire pour se plonger là-dedans, pour apprendre. La formation est quelque chose d’essentiel. Et c’est pour ça qu’il faut refonder ce parti. On va faire de l’éducation populaire. La matière est là, les gens sont là, les connaissances sont là, mais on est tous pris dans nos urgences. Et c’est vrai aussi de la société civile écolo sans avoir le temps de faire du lien. On est exactement dans ce que disait Bruno Latour sur le fait que la classe écologiste existe, qu’elle est sûrement plus majoritaire dans le pays que ce qu’on peut penser, mais qu’elle n’est pas consciente d’elle même et qu’elle n’est pas organisée. Dans les années qui viennent, il faut fédérer cette classe écologiste, créer un grand mouvement de l’écologie politique qui ne soit pas juste un parti. On doit être 1 million en 5 ans. Il faut que EELV change de nom, qu’on s’appelle Les Écologistes. C’est simple, c’est accessible à tout le monde.
Ça pourrait être le nom du nouveau parti écologiste.
Exactement. Après, on est dans un parti démocratique, donc si quelqu’un a une meilleure idée, je suis ouverte. En tout cas, il faut que ce soit simple et accessible.
François de Rugy était un écolo, il est devenu ministre de Macron, Cohn-Bendit est devenu un soutien de Macron... Et on pourrait citer d’autres exemples. Qu’est-ce qui garantit que les écologistes n’iront plus dans ce type de gouvernement ?
Il y a des gens qui ont mal vieilli. Je suis d’accord avec vous et je ne me sens pas concernée. Celles et ceux qui sont là depuis 2009, ils sont vraiment là et il n’y a pas de doutes sur eux. Il n’y aura pas de mauvaise surprise avec moi sur la compatibilité avec Macron. En fait, on est dans un moment tragique : un moment de l’histoire où on a de moins en moins de temps pour choisir entre la vie et la mort. Et collectivement, on est en train de choisir la mort. Dans ces moments-là, il faut savoir choisir son camp. Il y a le camp de ceux qui se battront jusqu’au bout pour l’écologie à leur échelle, en faisant ce qu’ils peuvent. Et puis en face, des gens qui font la fabrique du doute, qui font tout pour qu’on n’avance pas.
« Collectivement, on est en train de choisir la mort »
Macron, c’est le camp de la mort ?
Je suis en train de vous expliquer ça. Il y a ceux qui ont fait barrage au fait qu’on prenne conscience [de la crise climatique], qui ont organisé des campagnes de diffamation, de dénigrement, de harcèlement contre les scientifiques. Et ceux qui sont dans l’inaction climatique, même s’ils disent « on a compris, on est tous écolos, arrêtez de vous inquiéter les écolos, les écoterroristes, les écototalitaires ». Je les mets dans le même camp. Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour la demi mesure quand c’est la survie de l’humanité, celle de nos enfants dans trente ans qui est en question. Si je m’engage aujourd’hui, si je me mets à plein temps dans cette mission, c’est que je veux qu’on ne puisse plus détourner le regard. Je veux que les personnes qui font mal, qui font contre ou qui ne font pas, sachent comment ils seront jugés par l’histoire. Et c’est un truc sur lequel il ne faut pas les lâcher.

Qu’est-ce que serait une société écologique ?
Vous me remettez dans l’espoir, je vous remercie. Une société écolo, c’est premièrement une société où les comportements écolos sont valorisés et sont facilités, comme être végétarien ou faire du vélo sans risque. Ça avance trop lentement, mais être écolo, c’est dur. On nous dit de faire des efforts, que c’est la crise énergétique, mais il y a quelques semaines, on nous a annoncé la suppression de 140 TER dans les Hauts-de-France. Ça veut dire que le train de 17 h 09 de Lille à Lens qui s’arrête à Hénin-Beaumont n’existe plus. La ligne Lens-Lille est l’une des plus foireuses de la région, parce que c’est là où habitent les pauvres, donc c’est celle qu’on traite en dernier. Et donc il y a des gens qui sont en échec dans leur vie, dans leurs études, qui se font licencier, qui ont des gros problèmes au travail, qui doivent reprendre leur voiture. Et donc pour moi, une société écolo permet au moins les comportements écolo. [La suppression a été annulée grâce à la mobilisation d’élus, d’usagers et de la Région.] Et puis surtout, c’est une société juste : il n’y a pas d’écologie sans justice sociale, pas de justice sans écologie. Les trois plus gros milliardaires français émettent via leurs biens financiers plus de CO2 qu’un cinquième des Français. Au niveau mondial, les émissions des 10 % les plus riches d’ici à 2030, à elles seules, nous feront dépasser le niveau requis pour rester au seuil des 1,5 °C. Même si 90 % font bien, ça ne suffit pas si on ne change pas le comportement des 10 % les plus riches.

Comment faire pour que ces 10 % ne polluent pas et comment faire une redistribution des richesses ?
Comme l’écrivait La Boétie, ils sont debout parce que nous sommes à genoux. Rien n’est inébranlable. Ils ont certes beaucoup de pouvoir, beaucoup d’argent, beaucoup de médias, mais ils sont beaucoup moins nombreux que nous. Il faut démontrer que l’action de quelques-uns nous envoie tous dans le mur, et que c’est un sujet suffisamment grave pour qu’on s’en préoccupe vraiment. En fait, tout ça est tellement énorme qu’il y a une sorte de sidération. Il faut qu’on arrive à dépasser cette sidération pour être à la hauteur de nos ambitions. Il faut qu’on arrive à se réorganiser parce qu’en face, ils sont beaucoup plus organisés que nous.
« Ils sont debout parce que nous sommes à genoux »
Cela passe-t-il par l’alliance de la gauche et des écologistes ?
Aux municipales, j’ai conduit une liste qui allait de La France insoumise aux gaullistes sociaux. Donc je sais travailler large, en équipe. De même, aux législatives, ce qu’on a fait me paraissait évident. C’est un succès dans le sens où on a vingt-deux députés écolos, ce qui est le plus gros groupe de l’histoire de l’écologie politique à l’Assemblée. Mais c’est un succès relatif. Jean-Luc Mélenchon n’est pas premier ministre. Il faudra une suite à la Nupes, parce que sur la gouvernance, sur la manière dont ça s’est monté à la va vite, il y a plein de choses à revoir. Cet espace de discussion a le mérite d’exister mais il ne faut pas que toute l’énergie des écologistes aille dedans. Il faut qu’on cultive notre jardin. Des partis qui étaient chacun dans leur coin ont appris à rediscuter, à retravailler ensemble. Il faut que ça continue. Si nous, la direction d’Europe Écologie-Les Verts, on ne consacre pas les six prochains mois à la refondation de notre parti avant l’été, dans la fondation de ce grand mouvement de l’écologie politique, on n’aura servi à rien. Chaque mouvement doit s’occuper de lui parce que que jamais la Nupes ne sera plus forte si chacun des quatre partis ne cultive pas son jardin. Donc quand je vous dis que je veux travailler en priorité sur ce parti écolo, c’est ce qu’on a de mieux à faire. Et pour l’écologie, et pour la gauche et pour la France.