Malgré leur bon score aux élections, les Verts pèsent peu sur les institutions européennes

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Europe PolitiqueArrivés en nombre au Parlement européen en mai 2019, les élus écologistes n’ont pas encore marqué de leur empreinte la législature débutée cet été. Les vieux partis font de la résistance alors que les sujets climatiques ne manquent pas, à l’instar du fameux « Green Deal » promis par la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
- Strasbourg (Bas-Rhin), correspondance
Pour les eurodéputés du groupe Verts/Alliance libre européenne (ALE), il semble qu’il y ait les faits et la réalité. Les faits d’abord, indiscutables. Près de 10 % des voix réunis lors des élections européennes de mai dernier, un record depuis le premier suffrage européen de 1979, et un groupe fort de 74 eurodéputés, du jamais-vu non plus. De quoi se targuer d’être, pour le moment, le quatrième groupe le plus important du Parlement, et donc de voir l’avenir en vert. Pourtant, un semestre et quelques sessions plénières plus tard, la réalité s’habille d’un vert plutôt pâle pour les écologistes.
Les discussions sur les postes clés, ou les « top jobs » selon le jargon bruxellois, ont abouti à une presque totale mise à l’écart de leur famille politique. Sur les 26 commissaires européens, dirigés depuis le 1er décembre par l’Allemande Ursula von der Leyen, membre du parti de droite CDU, un seul peut prétendre au titre d’écolo-compatible. Il s’agit du benjamin de l’équipe, le lituanien Virginijus Sinkevičius, chargé de l’environnement, des océans et de la pêche.

Mais son cas est atypique puisque son parti national, l’Union lituanienne agraire et des Verts, n’est pas affilié au groupe Verts/ALE. « Il n’est pas de la famille, mais c’est un ami de la famille », résume laconiquement Philippe Lamberts, le coprésident du groupe Verts/ALE au Parlement européen. À titre de comparaison, au sein de la nouvelle Commission von der Leyen, la droite accapare dix portefeuilles, les sociaux-démocrates neuf, les centristes libéraux cinq. Or, c’est la Commission qui détient la capacité d’initiative législative. C’est donc elle qui façonnera, dans les grandes lignes, la politique européenne ces prochaines années.
La répartition des postes façonne une majorité sans les écologistes au Parlement européen
Les écologistes pouvaient-ils pour autant espérer mieux ? « Les Verts ne sont pas au pouvoir en Europe, or, tout gouvernement qui choisit un commissaire privilégie quelqu’un de sa majorité », rappelle Éric Maurice, responsable du bureau bruxellois de la Fondation Robert Schuman. « C’est un facteur limitant pour nous », reconnaît Philippe Lamberts.
Au Parlement aussi, les élus verts doivent se contenter des seconds rôles. Ils président, conformément à leur poids électoral, deux commissions sur les 22 que compte l’assemblée. Petra De Sutter, belge, est à la tête de la commission du Marché intérieur et de la Protection des consommateurs (Imco), et Karima Delli, française, de celle des Transports et du Tourisme (Tran). Mais, celle que tout le monde lorgnait, car la plus importante en nombre d’élus (79), dédiée à l’Environnement, la Santé publique et la Sécurité alimentaire (Envi), a échappé aux Verts. Elle est revenue au nouveau groupe centriste Renew Europe — celui de la République en marche (LREM) — et à l’ancien directeur général de WWF France Pascal Canfin (LREM). Un échec pour les écologistes, mais un joli coup pour le groupe centriste.
Plus largement, cette répartition des postes façonne, pour le moment, une majorité sans les écologistes au Parlement européen, et ce malgré des discussions commencées au lendemain des élections avec les trois grands groupes de l’hémicycle : la droite populaire européenne (PPE), les libéraux centristes (RE), et les sociaux-démocrates (S&D).
Le vote, le 27 novembre, sur le nouveau collège des commissaires européens en est la preuve tangible. Dans leur grande majorité — 58 sur 74 —, les élus du groupe Verts/ALE se sont abstenus. Pour eux, il n’est pas possible « de donner un chèque en blanc à la Commission von der Leyen ni un carton rouge ». Cette abstention n’a pas empêché pour autant la nouvelle Commission d’obtenir largement le soutien du Parlement avec 461 voix « pour » sur 748 possibles, soit 38 de plus qu’il y a cinq ans pour la Commission de Jean-Claude Junker. Au Parlement européen, « les Verts restent contournables » par les grands partis résume Philippe Lamberts.
Cette réalité politique, très arithmétique et peu reluisante pour les écologistes, ne dit néanmoins pas tout du nouveau rapport de force qui s’est installé en Europe. « Tout le monde parle d’écologie et se verdit, le PPE est en train de trouver sa voie sur le sujet, même les élus du Rassemblement national ont fait campagne sur le localisme », explique Jean Comte, journaliste pour Contexte. « Lors des négociations sur le programme politique de la Commission cet été, la présidente a soutenu des propositions défendues par les écologistes contre l’avis de son propre camp. » Si les Verts n’ont pas gagné la bataille politique, ils semblent avoir pris un avantage irréversible dans l’opinion, qui pourrait faire bouger les lignes dans les mois à venir.
« Les Verts devront trouver un équilibre entre leurs idéaux et des forces politiques qui veulent aller moins vite »
Le 11 décembre prochain, Ursula von der Leyen devrait dévoiler les grandes orientations de son très attendu « Green Deal ». Ce pacte qu’elle ne cesse de mentionner lors de chacune de ses prises de parole, et qu’elle souhaite poser comme élément central de sa politique pour les cinq ans, aura-t-il une portée systémique comme l’espèrent les écologistes ? Les premières annonces auront valeur de test pour les Verts. « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, notre rôle est de les leur faire tenir », considère Marie Toussaint, nouvelle élue écologiste au Parlement et issue de la société civile. Pour l’heure, les signaux envoyés sont en tout cas jugés favorables : neutralité carbone en 2050, rehaussement du niveau de réduction des gaz à effet de serre en 2030, lutte contre la précarité énergétique. « On n’a jamais entendu une représentante de la droite parler aussi clairement de l’intérêt d’intégrer la question climatique dans son programme politique », juge Pascal Durand, eurodéputé centriste (LREM), ancien membre des Verts au Parlement.

Au « Green Deal » s’ajoute d’autres sujets très importants, en cours de négociations, comme la réforme de la politique agricole commune (PAC), première ligne du budget de l’Union européenne. Les élus écologistes ne ferment aucune porte. Ni dans l’opposition ni dans la majorité, ils veulent, selon Marie Toussaint, « tirer le plus possible les politiques de l’Union européenne vers l’environnement ». Leurs voix pourraient s’avérer précieuses pour Ursula von der Leyen si elle venait à perdre le soutien des élus de son camp les plus conservateurs et les plus hostiles au changement de paradigme. Les Verts devront tout de même être prêts à faire quelques concessions. « Au Parlement européen, on est dans une culture de compromis, rappelle Éric Maurice, les Verts devront trouver un équilibre entre leurs idéaux et des forces politiques qui veulent aller moins vite. » Avec un groupe qui sera affaibli de six élus britanniques du fait du Brexit, les négociations s’annoncent ardues pour eux.
Pour renforcer leur ancrage, les Verts pourront cependant toujours compter sur la pression de la société civile. Les marches pour le climat, et les mouvements populaires de désobéissance civile permettent, comme c’est le cas depuis un an, de mettre la pression sur les décideurs européens. Les scores des partis Verts lors de scrutins locaux seront aussi scrutés de près par la bulle bruxelloise.