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Alternatives

Moi, homme, je porte un slip contraceptif, et ça marche

Rendre un homme stérile grâce au slip chauffant. Cette méthode de contraception réversible existe depuis les années 80 et semble très fiable selon notre journaliste qui l’utilise actuellement. Mais elle reste encore marginale car l’industrie pharmaceutique n’investit pas : il n’y aurait pas de marché.

Depuis bientôt trois ans, j’utilise le slip contraceptif, aussi appelé slip chauffant, une méthode de contraception masculine. Je porte un sous-vêtement 15 heures par jour, fait sur mesure, qui permet de remonter mes testicules des bourses vers le pubis. Leur température augmente alors de 34 à 36 °C. Cette hausse de la température inhibe la formation des spermatozoïdes. La technique est réversible : si j’arrête de porter le slip chauffant, je serai de nouveau fertile au bout de quelques semaines. Après ces mois d’expérience, j’y ai trouvé de nombreux avantages. Pour moi, mais aussi pour les femmes, qui ne devraient pas être les seules à porter la charge contraceptive.

« Le stérilet me fait mal, j’ai dû l’enlever, ce n’était plus possible », « Je ne supporte pas la pilule, ça dérègle mon cycle hormonal et souvent j’ai des nausées. » Ces phrases, je les ai entendues des centaines de fois de la bouche d’amies, depuis que je suis au lycée. Tout comme les études révélant un risque de cancer plus élevé sous différentes contraceptions hormonales. La contraception masculine est-elle la solution ?

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Une méthode encore peu accessible

Je suis un mec : aucun médecin n’a jamais évoqué la contraception avec moi. Et il ne me serait pas venu à l’esprit de poser la question. La norme sexiste veut que les femmes portent à elles seules la charge contraceptive. Dans l’imaginaire collectif, il n’existe aucune méthode masculine autre que le préservatif.

En mars 2017, alors que j’habitais à Rennes pour mes études, je suis tombé pendant la semaine de l’environnement sur un stand d’information de l’association Sexclame. On m’a alors présenté pour la première fois le slip chauffant. Il y avait deux possibilités : le fabriquer soi-même, ou se le faire prescrire par le Dr Mieusset, du CHU de Toulouse, qui y travaille depuis les années 1980. Ma copine m’en a aussi parlé. La solution lui paraissait bonne : pas de traitement pharmacologique à prendre tous les jours, pas d’effets secondaires particuliers. Moi aussi, j’étais convaincu.

Je suis rentré à Strasbourg, ma ville d’origine, pour continuer mes études. Pendant 3 ou 4 mois, je me suis documenté sur internet. Personne ne connaissait ce procédé dans mon entourage. En décembre 2017, j’ai pris ma décision : je voulais me le faire prescrire, pour avoir un suivi médical afin d’être certain de ma stérilité. J’ai trouvé le numéro du secrétariat du Dr Mieusset sur le site du CHU de Toulouse. Difficile d’accorder nos emplois du temps : j’ai obtenu un rendez-vous seulement pour mai 2018. Sans argent, j’y suis allé en autostop. Si je n’avais pas été étudiant, si je n’avais pas eu accès à la semaine de l’environnement de Rennes et à ses réseaux militants, je n’aurais jamais pu me faire prescrire le slip chauffant. Aujourd’hui, celui-ci reste peu accessible : le Dr Mieusset est le seul médecin à le prescrire et à en assurer le suivi médical. Des ateliers locaux permettent également d’apprendre à le fabriquer et l’utiliser, mais sans assurer de suivi médical.

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« À partir de là, j’étais contracepté »

Lors de ma consultation, le médecin a vérifié que je ne présentais aucune malformation et a pris mes mesures. Un mois plus tard, je recevais un exemplaire de slip contraceptif dans ma boîte aux lettres. Le premier jour, je devais le porter 2 heures. Le lendemain 4 heures, le surlendemain 6 heures et ainsi de suite jusqu’à 15 heures. J’échangeais régulièrement avec le Dr Mieusset, par courriel. Concrètement, il y a un trou dans le slip pour faire passer la verge, et la peau du scrotum (des bourses). Ainsi, les testicules sont obligés de remonter. Il faut ensuite faire un nœud pour que l’ouverture du slip soit bien serrée, et que les testicules ne puissent plus passer. Elles sont alors maintenues au niveau du pubis.

Le port du slip contraceptif ne me faisait ressentir aucune douleur. Mis à part lorsque je serrais trop le nœud. Cela pouvait conduire à une légère irritation de la peau du scrotum. J’ai toutefois vite trouvé le bon dosage pour que le nœud ne me fasse plus mal. Je ne ressentais donc plus qu’une gêne, une sensation que j’étais peu habitué à ressentir. Mais rien de comparable à ce dont témoignaient certaines amies à propos du stérilet en cuivre ou de la pilule. Lorsque j’ai réussi à le porter 15 heures dans la même journée, sans observer de difficulté particulière, le Dr Mieusset a lancé la fabrication de quatre autres slips chauffants avec les mêmes mesures. J’allais pouvoir le porter au quotidien.

« Mes spermatozoïdes étaient de moins en moins nombreux, et moins mobiles »

Les slips ont été pris en charge par le laboratoire de recherche du Dr Mieusset, et les consultations par la Sécurité sociale. Je n’ai pas payé un centime. J’ai finalement commencé à en porter tous les jours à partir du 2 octobre 2018. Le docteur m’avait prescrit un spermogramme avant que je commence à porter le slip chauffant. J’avais alors 63 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme. Dans la semaine du 17 au 22 décembre, j’ai réalisé un nouveau test, après deux mois et demi de port du slip. J’avais alors 1,45 million de spermatozoïdes par millilitre. Le seuil de fertilité est de 1 million. J’étais en bonne voie. L’examen de début février 2019 fût le bon. Je n’avais alors plus que 210 000 spermatozoïdes par millilitre. Les seuls qui sont susceptibles de féconder un ovule lors d’un rapport sexuel doivent être mobiles. 10 % l’étaient.

À partir de là, j’étais contracepté. Lors des tests suivants, mes spermatozoïdes étaient de moins en moins nombreux, et moins mobiles. Le dernier que j’ai réalisé à l’heure où j’écris ces lignes date du 12 novembre 2021. Le spermogramme n’a détecté aucun spermatozoïde.

L’industrie pharmaceutique s’en détourne

Le slip chauffant fait maintenant partie de ma vie. Il n’est pas plus contraignant qu’un sous-vêtement classique. Dans mon expérience, il n’a jamais dysfonctionné. Le Dr Mieusset n’a pas souhaité répondre à mes questions pour l’écriture de cet article. Il ne peut pas communiquer ses résultats du fait qu’ils n’ont pas encore été publiés dans une revue scientifique. Mais la technique est déjà considérée comme fiable par l’Association française d’urologie. Et plus de cent personnes ont déjà utilisé cette méthode, selon l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom). Seule une grossesse non désirée a eu lieu, en raison d’une mauvaise utilisation. Pour être certain de ma stérilité, je réalise les spermogrammes prescrits. Sans spermatozoïdes, je suis certain qu’aucune fécondation ne peut avoir lieu. Toujours selon l’Ardecom, « toutes les personnes ayant utilisé cette méthode et qui ont ensuite souhaité procréer y sont parvenues sans difficultés ».

En trois ans, j’en ai parlé à plusieurs dizaines de personnes. Les femmes et les personnes non binaires ont toujours été enthousiastes : « C’est fou que ça ne soit pas plus diffusé, ça paraît très sûr », « J’aimerais bien que mon mec s’y mette, mais c’est pas gagné. » Une étude publiée en novembre 2021 révèle que sur un échantillon de 379 femmes, près de 70 % sont favorables à laisser les hommes gérer la contraception du couple, mais environ 78 % ne se sentent pas suffisamment informées sur le sujet.

« L’industrie pharmaceutique estime qu’il n’y a pas de marché »

Chez les mecs, le slip chauffant fait moins l’unanimité. Beaucoup trouvent ça « intrigant » ou « bizarre ». Lorsqu’ils apprennent qu’il faut le porter 15 heures par jour, ils considèrent que c’est « énorme ». Certains « ne veulent pas toucher à leur engin » ou « ont peur de ne plus réussir à bander », m’a-t-on dit. Bref, ils sont, dans l’immense majorité des cas, bien loin de faire la démarche de le porter. Je ne connais qu’une seule personne qui ait décidé de porter le slip contraceptif.

J’ai l’impression que si cette méthode est mal acceptée, c’est aussi parce qu’elle reste peu connue. Selon les journalistes Stéphane Jourdain et Guillaume Daudin, auteurs de la BD Les Contraceptés, si l’industrie pharmaceutique n’a jamais investi dans la contraception masculine, c’est parce que les entreprises estiment qu’il n’y a pas de marché. Sans argent pour créer des cohortes de milliers d’hommes qui testent le slip contraceptif, difficile d’avoir tout le recul nécessaire. Selon le Groupe d’action et de recherche pour la contraception (Garçon), 5 000 à 10 000 personnes utilisent des contraceptions thermiques en France aujourd’hui. Beaucoup ont recours à l’anneau contraceptif. Ce dernier a la même fonction que le slip chauffant et peut se commander sur internet. Les hommes souhaitant l’utiliser peuvent le présenter à leur médecin généraliste pour organiser le suivi grâce aux spermogrammes. Quand je me suis renseigné il y a trois ans, cette possibilité n’existait pas. On progresse donc, tout doucement.

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