Mort de Moana : que vont devenir les orques de Marineland ?

Des militants de l’association One Voice ont manifesté devant le Marineland d’Antibes, le 21 octobre 2023. - © Mathilde Frénois / Reporterre
Des militants de l’association One Voice ont manifesté devant le Marineland d’Antibes, le 21 octobre 2023. - © Mathilde Frénois / Reporterre
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Après la mort de Moana, les militants de l’association One Voice manifestaient le 21 octobre devant le parc Marineland d’Antibes. Ils demandent le transfert des trois orques restantes dans une réserve.
Antibes (Alpes-Maritimes), reportage
La bouée en forme d’orque est brandie au ciel. Elle flotte devant l’entrée de Marineland, à Antibes, le 21 octobre après-midi. C’est avec cette réplique d’air et de plastique que l’association One Voice rend hommage à Moana, l’orque mâle soudainement décédée dans la nuit de mardi à mercredi 18 octobre. Après le recueillement, les manifestants pensent immédiatement au devenir des trois orques restantes — la loi interdisant désormais la reproduction des mammifères marins en captivité dans les delphinariums. Ils demandent un transfert vers un sanctuaire pour Inouk, Wikie et Keijo. Sont-elles condamnées à mourir à petit feu dans les bassins du plus grand parc animalier marin d’Europe ?
Sander Boulaabi a acheté la bouée du cétacé, en souvenir de Moana. À 31 ans, ce coach sportif se dit « militant pour la liberté des orques ». Petit, il a eu un coup de cœur pour le film Sauvez Willy. Depuis, il espère une réserve. « Il faut 1 300 tours de bassins pour qu’une orque nage autant qu’en liberté, comptabilise-t-il. Ces animaux devraient sentir les courants, avoir des contacts avec d’autres individus. »
L’association a lancé une pétition pour « une vraie vie dans un sanctuaire marin » : « One Voice demande le dialogue avec le parc pour trouver des solutions, expose sa coordinatrice de terrain Corinne Bouvot. Un sanctuaire est prêt à les accueillir en Nouvelle-Écosse (Canada). Mais avant il faudra les entraîner, les remuscler, leur apprendre les conditions naturelles. » Une adaptation qui prend du temps.
« Pas de solution miracle »
« L’idée est louable. Mais la mise en pratique est difficile », reconnaît Pierre Robert de Latour, président de l’association Orques sans frontières et comportementaliste spécialiste des rencontres sous-marines d’orques. C’est que le sanctuaire doit répondre à un cahier des charges précis : des eaux pas trop chaudes, ni trop proches des côtes, ni trop éloignées de celles-ci. Il faut éviter tout visiteur curieux en facilitant l’accès aux vétérinaires et aux soigneurs. « Une équipe s’en occupe en permanence. On arrive à une somme d’argent astronomique », dit le spécialiste.
Et les flots ne doivent pas être trop agités. En cas d’intempérie, le filet doit résister. « Pas question de faire deux fois la taille de Marineland [un bassin mesurant 11 mètres de profondeur, 64 mètres de longueur et 32 mètres de largeur]. Il faut que le sanctuaire soit au moins trente fois plus grand qu’un bassin. Et plus profond, prévient Pierre Robert de Latour. Il faut offrir à ces orques captifs des vies moins sordides que dans des blocs de béton avec pour seule stimulation celle des soigneurs. »

Le comportementaliste n’a pas été convaincu par « le petit filet » où était placé Keiko en Islande. L’orque de Sauvez Willy avait été accueillie dans ce sanctuaire marin entre 1998 et 2002. « Il n’y a pas de solution miracle. On a affaire à des orques placées longtemps en captivité, certaines dans un état sanitaire très préoccupant. Il est difficile de les transporter. Quand on les met dans un brancard, leurs organes se compressent. Elles ne survivront peut-être pas au transport juste par leur propre poids. »
Parfois l’orque ne peut attendre. Lolita (renommée Tokitae) est morte en août à 53 ans, quelques mois seulement avant son transfert dans un sanctuaire.
« Vivre une vie d’orque »
Derrière ces questions logistiques se cachent les volontés politiques. En France, la seule législation en ce sens concerne la fin de la reproduction des cétacés dans les delphinariums en 2026. Selon One Voice, les orientations se tourneraient plutôt sur une vente vers un parc japonais. Une information que Marineland ne confirme pas. Le parc n’a pas souhaité répondre à nos questions : « C’est un sujet complexe, mais qui ne peut être traité uniquement sous l’angle de l’émotion », indique-t-il cependant.
Derrière sa pancarte, Régine Canivet manifeste ce samedi. Son premier engagement date de 2013. Moana avait 2 ans. Elle est décédée à 12 ans quand une orque mâle dans l’océan peut atteindre 60 ans (90 ans pour les femelles). « J’ai peur que, malheureusement, la seule liberté soit leur mort, déplore-t-elle. Marineland ne veut pas faire d’effort. » Régine Canivet a « signé et partagé » la pétition pour un sanctuaire : « Il leur faut de l’espace pour vivre une vie d’orque. »
Sander Boulaabi part dans deux semaines en Norvège pour observer les cétacés « dans la nature ». Le grand large comme l’objectif ultime. « On peut aussi les relâcher et retrouver une vie sauvage, envisage le comportementaliste Pierre Robert de Latour. Elles n’ont pas de prédateur. La faim peut être un bon moteur. Mais on ne peut pas espérer les relâcher du jour au lendemain sans un programme de réhabilitation. » La liberté totale n’est qu’un lointain espoir.