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Nourrir 5 000 militants : le défi des cantines autogérées du Larzac

Pour les cantines des luttes, réussir à nourrir un rassemblement de plusieurs milliers de personnes est un défi d’envergure. Reportage au Larzac entre marmites géantes et tonnes de carottes.

Du 3 au 6 août, près de 150 collectifs des luttes locales de France se réunissent au Larzac. La rédaction de Reporterre est sur place pour vous faire vivre ce rassemblement historique.



La Couvertoirade (Aveyron), reportage

Il est 11 heures. Chahutée par les bourrasques, une tonnelle laisse s’échapper la douce et appétissante odeur du houmous. Entreposées en équilibre dans les moindres recoins de la cuisine, un millier d’assiettes soigneusement dressées attendent d’être dégustées. Partout autour, c’est l’effervescence : il y a ceux qui coupent, ceux qui épluchent, ceux qui tartinent.

Ici, ni toque ni tablier, mais un drôle de ballet rassemblant les mains travailleuses de soixante-dix cuistots-bénévoles. « Il y a quelques jours, on faisait à peine vingt-cinq couverts, s’amuse Marie-Joe, un bandana rose en guise de couvre-chef. Bientôt, il faudra en faire 5 000. »

Des protéines de soja sont cuites pour la préparation d’un rougail végétarien. © David Richard / Reporterre

Du 3 au 6 août, le plateau du Larzac accueille une rencontre historique des luttes écologistes. Pour nourrir toutes les âmes affamées attendues, de nombreuses cantines autogérées du sud-ouest de la France ont décidé d’unir leurs forces et leur matériel. Un camion réfrigéré de 50 m³, parfois victime de coupures d’électricité, héberge les denrées les plus fragiles.

Cinq tonnes d’oignons, de carottes, de betteraves et de concombres reposent dans des centaines de cagettes en bois. Terreux, les légumes sont plongés dans de vieilles baignoires faisant office de lavabos XXL, avant d’atterrir sous les couteaux. Presque aussi grandes que des barils, douze marmites géantes cuisent déjà à petits bouillons le dahl prévu pour le dîner.

Des seaux de carotte sont épluchées par les bénévoles pour le prochain repas. © David Richard / Reporterre

« On travaille à tout ça depuis trois mois… et on aurait bien fait de commencer un peu plus tôt », dit Squee, référent des approvisionnements. Toute cette énergie est nourrie par l’envie de ne surtout pas faire appel aux grands industriels. « Et je crois bien qu’on a relevé le défi. »

Les légumes cuisinés ont, pour une grande majorité, été cultivés par de petits producteurs bio de l’Aveyron. Seulement, les paysans ayant rarement des centaines de kilos en provisions, fournir de telles quantités s’est transformé un véritable casse-tête.

L’eau pour la cuisine est chauffée dans ces poêles « Rocket stove ». © David Richard / Reporterre

« Heureusement, certains agriculteurs nous ont facilité la tâche en rassemblant leurs stocks en amont de la vente, détaille Squee. Une entente formidable, qui s’est révélée plus efficace que celle avec le fournisseur Biocoop Restauration, à qui nous avons commandé 1,2 tonne de légumes supplémentaires. »

Symbole de la lutte contre l’accaparement des terres par l’agrobusiness, cette coalition de cantines autogérées, appelée « Midi Croquantes », est appelée à perdurer : « Nous sommes à l’aube d’un soulèvement. Des luttes sont en train de naître, il y aura des tas de rassemblements et des lieux à défendre, dit Marie-Joe. Il faut s’organiser ! »

Paysanne dans le Larzac depuis trente ans, elle a déjà participé à des cantines autogérées, dans la vallée de la Roya. « Que ce soit ici ou à quelques kilomètres d’une frontière, en soutien aux migrants, la cuisine est pour moi une question politique, de justice sociale. »

Ces cagettes servent à alimenter les poêles. © David Richard / Reporterre

Enfoncée dans un canapé, les yeux rivés sur la cigarette qui roule entre ses doigts, Manolie s’autorise un instant de répit : « Participer à une lutte est souvent usant. On donne tout, parfois même notre corps. Il y a un risque d’épuisement, de burn out. » Pour elle, la cantine offre alors « un côté tribu, grégaire ».

Elle apaise les militants, prend soin de leur santé, crée du lien social. Extirpant de son sac à dos un micro, pour rapporter à sa radio associative quelques bribes de vie du festival, elle ajoute : « Et puis, ce n’est pas un don. Les militants participent eux-mêmes à fabriquer la nourriture qu’ils vont ensuite manger. Il n’y a pas de sentiment de dette. »

Atelier lavage de légumes à la cuisine des Résistantes. © David Richard / Reporterre

« Je suis navré, je n’ai pas une minute à vous accorder. » Une montagne de vaisselle dans les bras, Clément file à grandes enjambées. À côté de lui, onze personnes s’affairent à laver les couverts et les assiettes déposées par centaines. « On n’a plus rien là ! », crie Énora à l’autre bout de la tente. « Doucement sur le houmous, on est ric-rac », abonde Camille.

Quelques minutes plus tard, le verdict tombe. Il n’y aura pas à manger pour tout le monde. Approchant des fourneaux, une dame âgée interroge : « Où peut-on aller alors ? » L’air confus, les bénévoles haussent les épaules puis lui indiquent la direction du village le plus proche.

« Des calculs précis ont été faits par mes soins pour quantifier chaque aliment, s’étonne Lenny. Malheureusement, on a oublié d’anticiper les pertes liées à l’épluchage des légumes. »

Dans la cuisine des Résistantes. © David Richard / Reporterre

Petit à petit, la file indienne de ventres gargouillant rétrécit jusqu’à disparaître. Dans une ultime improvisation, les apprentis-cuistots sont parvenus à fabriquer un plat de secours. « Et voilà, sourit Squee, de la Confédération paysanne. Notre cantine est la preuve qu’avec de petits producteurs, on peut faire à manger pour des milliers de personnes. »

Dans son dos, débute déjà la réunion de préparation du dîner. Il est à peine 14 heures, mais les voilà repartis pour une tournée.

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