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Nucléaire : les allégations mensongères de Jean-Marc Jancovici

Jean-Marc Jeancovici sur France 5 le 11 septembre 2022.

Faute de contradicteurs, Jean-Marc Jancovici continue de dérouler son discours nucléariste à la télé. Celui-ci est pourtant tellement truffé d’erreurs et de raisonnements fallacieux qu’une correction s’avère essentielle.

Lors de l’émission « C Pol », sur France 5, dimanche 11 septembre, Jean-Marc Jancovici a enchaîné les affirmations incorrectes. Les journalistes qui l’entouraient n’ayant pas su le contredire adéquatement, un débunkage en règle s’impose. Le lien de l’émission est ici, et si presque tous ses propos sont discutables, un passage à partir de 44’10’’ est particulièrement aberrant :

  • « Alors pour Zaporijia, qui sont des réacteurs à eau pressurisée, si jamais il y a un pépin sur place, ça ressemblera à ce qui s’est passé à Fukushima. Donc ça, vous aurez un problème local. »

Un « problème local », c’est un accident nucléaire provoquant un relâchement de radioactivité important, conduisant à l’évacuation des populations autour de la centrale dans un rayon d’au moins plusieurs kilomètres. C’est ce qu’a indiqué Olivier Gupta, président de l’association des responsables d’Autorités de sûreté nucléaire d’Europe (WENRA), en août 2022 au journal Les Échos : « Quelles seraient les conséquences d’un accident », demande le journaliste. « Tout dépend du type d’accident, répond M. Gupta. À Fukushima, il a fallu évacuer une zone d’une vingtaine de kilomètres autour du site. »

« En France, il se passera rien »

Rappelons par ailleurs les conséquences de l’accident nucléaire qui s’est produit à Fukushima en mars 2011 : 2 300 morts dans la foulée de l’évacuation des populations pour leur éviter de rester dans les zones radioactives ; des territoires restant contaminés et inhabitables dix ans après l’accident ; un coût de celui-ci compris entre 200 et 660 milliards de dollars, selon différentes estimations. Un « problème local », ça n’est pas rien…

En cas d’accident à Zaporijia, « en France, il se passera rien ». Eh bien si, même si la conséquence prévisible, du fait de l’éloignement du site de nos frontières, paraît très petite : « Dans le pire des scénarios, où toute la radioactivité d’un réacteur de la centrale la plus à l’ouest de l’Ukraine est rejetée à l’extérieur, nous avons trouvé, sur mille séquences météorologiques étudiées issues des dix dernières années, un cas où une partie du territoire français pourrait potentiellement être concernée par des niveaux de radioactivité qui justifieraient une prise de comprimés d’iode », indique Philippe Dubiau, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Refus d’écouter les avertissements

M. Jancovici fait ensuite référence au barrage de Banqiao, en disant : « Si on veut supprimer les problèmes pour les populations locales, on déconstruit tous les barrages. Le plus grand accident de barrage qui ait jamais eu lieu dans le monde, c’est un complexe de barrages qui a eu lieu… C’est un accident qui a eu lieu en Chine dans les années 70. Il y a eu entre 20 et 100 000 morts. » Sauf que ce barrage s’est rompu précisément parce que ses concepteurs, dans la Chine des années 1960, n’avaient pas tenu compte des avertissements lancés par un hydrogéologue. Celui-ci, Chen Xing, avait plusieurs fois dénoncé les failles de conception du barrage, avertissant du danger. Il n’a pas été écouté, et a été écarté du projet. La catastrophe de Banqiao n’est donc pas liée à un danger inhérent des barrages, mais au fait que le refus de prendre en compte la gravité d’un accident possible a conduit à l’accident. Exactement ce qu’essayent de faire les critiques du nucléaire face aux ingénieurs infatués qui prétendent que les accidents radioactifs sont négligeables.

  • « Donc on supprime tous les barrages, on supprime toutes les usines chimiques, Bhopal, AZF, etc. »

Eh bien oui ! Bhopal (en Inde) et AZF (à Toulouse) ont causé en 1984 et 2001 des accidents aux conséquences ravageuses, notamment Bhopal avec plusieurs milliers de morts et des dommages encore sensibles trente ans après. Ces drames industriels ont suscité un renforcement drastique des normes sur les usines chimiques.

  • « On supprime les sucreries, le Kinder Bueno que j’avais dans ma loge. Enfin, on supprime tout. »

La journaliste Salomé Saqué tente de faire face à l’absurde : « Enfin, on ne peut pas comparer du nucléaire avec un Kinder Bueno, quand même ! » Jancovici : « Je suis désolé, l’obésité, vous savez combien ça tue de personnes par an dans le monde ? » Un argument qui laisse entendre que l’ampleur du nombre de morts par obésité dans le monde (2,8 millions par an, selon l’Organisation mondiale de la santé) rendrait inutile de prévenir tout danger pouvant provoquer un nombre de morts inférieur. Ainsi, puisque les guerres n’ont causé (en 2019) « que » 63 000 morts, il ne serait pas indispensable de tenter de les éviter. L’absurdité du sophisme tient à ce que les sociétés ne cherchent pas à se protéger d’une nuisance OU d’une autre, comme s’il fallait choisir entre les deux, mais tentent, malaisément, de les modérer simultanément.

Par ailleurs, la mortalité engendrée par une nuisance n’est pas forcément le reflet de son danger, mais peut-être, au contraire, des efforts plus ou moins grands que l’on fait pour limiter cette nuisance. Ainsi, s’il y a relativement peu d’accidents nucléaires, ce n’est pas parce que le nucléaire n’est pas dangereux, mais parce que l’ampleur de leurs conséquences a conduit à rechercher la plus grande sécurité.

Écologistes, du nucléaire à la malbouffe

Enfin, pour en revenir à l’obésité, si M. Jancovici avait raison, les gouvernements pronucléaires feraient tous leurs efforts pour prévenir l’obésité. Ce n’est en France pas le cas : pendant que les « élites » s’obstinent à vouloir relancer le nucléaire à coups de milliards et d’arguments fallacieux, la politique de santé environnementale reste marginalisée. Et ce sont les écologistes — antinucléaires, n’en déplaise à M. Jancovici — qui plaident aussi le plus vigoureusement contre la malbouffe et l’agriculture industrielle.

  • « Si on croit le Giec, on croit l’Unscear. L’Unscear est exactement le même type d’organisme que le Giec. Ça porte sur les conséquences des accidents nucléaires et ça a produit des rapports qui sont faits exactement avec les mêmes règles. »

M. Jancovici essaye de tirer parti du prestige acquis par le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (Giec) pour en revêtir l’Unscear (Comité scientifique des nations unies pour l’étude des rayonnements ionisants). Mais alors que le Giec, depuis sa création en 1988, a acquis une autorité en raison de la transparence de ses procédures et de sa capacité à exprimer un consensus scientifique, c’est très loin d’être le cas pour l’Unscear.

Cet organisme a en particulier constamment cherché à minorer les conséquences de Tchernobyl, sans éteindre pour autant la controverse scientifique à ce propos. Le bilan lénifiant diffusé par l’Unscear a été vigoureusement contesté par maints groupes de recherche, et n’est même pas repris par les institutions des Nations unies : selon l’ONU, qui a publié en 2006 un rapport conjoint de plusieurs de ses organisations dont l’Organisation mondiale de la santé, « il pourrait y avoir jusqu’à 9 000 décès par cancer, selon une nouvelle étude des Nations unies, le rapport le plus complet à ce jour sur l’impact de la catastrophe sur la santé. ». Pour le directeur même de l’AIEA, « des milliers de personnes mourront de cancers causés par le relâchement de la radioactivité ».

L’analyse complète des propos de M. Jancovici serait par trop fastidieuse. Mais la confusion que ses idées répandent sans contradiction nous font perdre un temps précieux face à l’urgence climatique.

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