Nucléaire : les grévistes dénoncent « le chaos » de la sous-traitance

Une cinquantaine de salariés d’Altrad Endel (ici, Frédérik Conseil), filiale spécialisée dans la maintenance nucléaire, s'est mobilisée à Montpellier le 7 février 2023. - © David Richard/Reporterre
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Retraites Social NucléaireLes salariés d’Altrad Endel, n°1 de la maintenance des centrales nucléaires, étaient mobilisés le 7 février. Ils demandent de meilleurs salaires, et alertent aussi contre le dangereux « dépeçage » de leur groupe.
Montpellier (Hérault), reportage
Les drapeaux rouges de la CGT flottent devant l’imposante bâtisse aux dorures orientales. Le siège du groupe Altrad Endel, multinationale des « services à l’industrie », a des airs de caverne d’Ali Baba. Sauf que le PDG et milliardaire Mohed Altrad ne semble pas prêt à partager son trésor. « Momo, sois généreux, écarte un peu les doigts ! » lance un syndicaliste, mégaphone à la main. Mardi 7 février, ils sont une cinquantaine de salariés d’Altrad Endel, filiale spécialisée dans la maintenance nucléaire, mobilisés à Montpellier. Et plus de 1 000 à travers la France.
« Nous demandons une revalorisation de nos salaires digne de ce nom, explique Jean-Philippe Boucher, venu spécialement de Chinon. Pour le moment, le compte n’y est pas. » En fin d’année, la direction du groupe a proposé des augmentations individuelles de 2 %, en deçà de l’inflation, et bien loin des 6 % réclamés par les employés.

Et ce, alors même que le groupe a engrangé des bénéfices. « À l’arrêt des comptes fin août 2022, on avait 10 millions de marge nette et 172 millions sur le compte en banque, remarque Frédérik Conseil, délégué syndical arrivé d’Amiens. Endel aurait aussi versé 1,5 million en cinq mois à la fondation Altrad pour qu’il s’amuse avec le rugby… donc de l’argent à redistribuer, il y en a ! » Le milliardaire est en effet plus connu pour sa (coûteuse) passion pour le ballon ovale que pour sa connaissance de l’atome.
À ses côtés, casquette rouge vissée sur la tête, Thierry opine : « Les métiers de la maintenance nucléaire sont des boulots durs. Soudeurs, tuyauteurs… on peut aussi être exposés à de la radioactivité. Tout ceci mérite une reconnaissance. »
« Marche ou crève »
Depuis avril dernier et le rachat de leur entreprise, Endel, par le géant montpelliérain des travaux publics, les salariés ont vu leurs conditions de travail se dégrader. « On nous en demande toujours plus, sans augmentation salariale ni considération, tranche Frédérik Conseil. Maintenant, c’est “marche ou crève”. Résultat, plein de gens s’en vont à la concurrence. »
« On va le frapper au portefeuille »
Le syndicaliste s’inquiète aussi de l’avenir d’Endel, « peu à peu découpée en morceaux dont les pans les moins rentables pourront être abandonnés », et plus largement du bon fonctionnement des centrales électriques. Car la filiale est n°1 sur le marché de la maintenance nucléaire — EDF a en effet externalisé la majeure partie de cette activité. Ses quelque 3 400 salariés interviennent sur les cinquante-six réacteurs hexagonaux, pour faire des réparations, entretenir les outils…
Ils travaillent en particulier sur les corrosions sous contrainte qui ont mis à l’arrêt une grande partie du parc nucléaire. « Si Altrad casse Endel, comment assurera-t-on demain la maintenance des centrales nucléaires ? » interroge Frédérik Conseil.

La situation des salariés d’Altrad Endel fait écho aux problèmes récurrents que rencontrent les sous-traitants du nucléaire : mauvaises rémunérations, exposition à de la radioactivité, manque de protection, turn-over important. Avec des conséquences potentiellement désastreuses pour la sûreté nucléaire : pour le syndicaliste Gilles Reynaud, interrogé par Reporterre, la logique du « low-cost » qui prévaut parmi les entreprises sous-traitantes « va conduire à des déconvenues ».
En septembre dernier, le député François Ruffin s’était d’ailleurs inquiété du « dépeçage d’Endel » auprès du ministre de l’Économie : « C’est le secteur nucléaire qui va se trouver un peu plus dans le chaos, avec l’un de ses chaînons pour la maintenance qui sera moins sécurisé que fragilisé », avait-il alerté. Pour l’élu de la Somme, mieux vaut une grande entreprise, bien structurée, qui assure l’entretien des réacteurs, qu’une « kyrielle de sociétés qui recourront, in fine, à la sous-traitance de la sous-traitance ». Une interrogation restée, pour le moment, sans réponse du gouvernement.

En attendant, l’incompréhension et la colère montent parmi les salariés. « Mohed Altrad s’est sans doute dit qu’il y a avait du pognon à se faire dans le nucléaire, avec le vieillissement des centrales et les nouveaux EPR, dénonce Frédérik Conseil, mais la maintenance nucléaire ne peut pas répondre uniquement à une logique financière de maximisation des profits. »
Devant les portails dorés gardés par deux vigiles, les salariés ont allumé des pétards et repris en chœur un « On lâche rien » traditionnel des manifestations. Pas de quoi faire venir le milliardaire, auquel les syndicats avaient pourtant demandé un rendez-vous. « On ne va pas s’arrêter là, dit Frédérik Conseil. Dès la fin de l’hiver, quand les réacteurs fonctionneront moins et que les opérations de maintenance reprendront, on remontera au front, et cette fois-ci, on va le frapper au portefeuille. »