« On empoisonne le monde » : à Lyon, BASF produit un pesticide banni en France

Les Faucheurs volontaires d’OGM marquent le pas devant l’usine BASF à Genay, près de Lyon, mercredi 1er juin 2022. - © Moran Kerinec / Reporterre
Les Faucheurs volontaires d’OGM marquent le pas devant l’usine BASF à Genay, près de Lyon, mercredi 1er juin 2022. - © Moran Kerinec / Reporterre
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Pesticides LuttesIl n’est plus autorisé en France, mais BASF fabrique toujours pour l’exportation le pesticide tueur d’abeilles Régent TS. Les Faucheurs volontaires ont rendu visite à la multinationale le 1er juin.
Genay (Rhône), reportage
D’une main, un apiculteur a répandu une poignée d’abeilles mortes sur une ruche marquée d’une croix blanche. De l’autre, il a actionné un enfumoir à la fumée âcre. Convoi symbolique et funéraire, l’ancienne colonie d’abeilles a été transportée par des Faucheurs volontaires d’OGM sur un brancard devant l’usine BASF à Genay mercredi 1er juin. Situé à une poignée de kilomètres de Lyon, ce site industriel de l’un des plus grands groupes de produits chimiques du monde fabrique 658 pesticides différents. En combinaison de protection intégrale, une petite quarantaine de militants ont marqué le pas devant un cordon de gendarmes dépêchés en urgence. Et pour cause : à l’occasion d’une « inspection citoyenne » — une intrusion illégale dans l’établissement — le 4 mars dernier, la veille d’une action plus imposante, les faucheurs avaient pris en photo des fûts de Régent TS, un insecticide controversé. Ce produit est interdit à la vente en France depuis 2004. Son principe actif, le fipronil, n’est plus autorisé comme pesticide dans l’Union européenne depuis 2017. Il est considéré par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) comme présentant « un risque aigu élevé » pour les abeilles.
Jusqu’à récemment, sa production à destination des marchés étrangers était toujours autorisée : notamment à destination du Brésil, de l’Afrique du Sud et de l’Australie. Un commerce « au mépris des populations locales, s’insurge Jean-Pierre Cellard, ancien président du Syndicat des apiculteurs professionnels Auvergne-Rhône-Alpes (Sapaura). On interdit certaines molécules, mais elles sont encore produites et on va empoisonner le reste du monde quand on ne peut plus le faire en Europe. » Deux mois après leur première incursion dans l’usine, l’apiculteur à la retraite et les faucheurs sont revenus pour dénoncer la fabrication de ce pesticide en dépit de la loi censée y mettre fin.

Théoriquement, la production, le stockage et l’exportation de « produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement » sont interdits depuis le 1er janvier 2022 par la loi Égalim. Cette loi a elle-même été entérinée par un décret d’application publié au Journal officiel le 23 mars 2022, avec une subtilité qui fait toute la différence : « Lorsque l’approbation d’une substance est arrivée à échéance et que son renouvellement n’est pas demandé […] les produits phytopharmaceutiques qui en contiennent peuvent être, à titre transitoire, produits, stockés et mis en circulation en vue de leur exportation jusqu’à une date fixée par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’Agriculture et de l’Environnement. Cette date est déterminée sur la base d’une évaluation de l’impact de l’interdiction de production, de stockage et de mise en circulation en vue de leur exportation des produits contenant les substances concernées. »
« On a l’impression que les lois sont faites pour être contournées »
En clair : une nouvelle étude sur les conséquences économiques de l’arrêt de la commercialisation est nécessaire pour chaque produit chimique, avant de fixer par arrêté interministériel une date définitive d’interdiction totale. Mais le cadre et le calendrier de cette évaluation ne sont pas encore établis, explique le ministère de la Transition écologique à Reporterre : « Les modalités précises (notamment qui va réaliser cette évaluation) de cette évaluation d’impact sont en cours de discussion entre les ministères concernés. Le décret ne prévoit pas de délai pour cette évaluation. » En attendant cette évaluation sans date, la production et l’exportation de Régent TS est « toujours autorisée à titre provisoire », confirme le ministère.

Derrière ce flou, les militants écologistes devinent la possibilité d’une échappatoire pour les fabricants de pesticides. « Le Régent TS a déjà été interdit. Pourquoi faudrait-il désormais tout ce processus pour l’interdire définitivement ? », s’interroge Jean-Luc Juthier, tête de pont des faucheurs sur ce dossier. Médecin à la retraite, Mireille ne cache pas sa colère : « On a l’impression que les lois sont faites pour être contournées. Je suis choquée par la négligence de l’État et ces industriels qui ne font que tricher ! » Sollicité à plusieurs reprises par Reporterre, BASF n’avait pas répondu à nos questions avant la publication de cet article. La société affirme auprès du Progrès que sa production d’insecticide est « légal[e] et déclaré[e] aux autorités françaises ».